Audemars Piguet métamorphose l’espace Niemeyer en fantastique temple grec avec l’artiste Andreas Angelidakis
La prestigieuse maison horlogère invite l’artiste Andreas Angelidakis à prendre possession de l’incroyable coupole d’Oscar Niemeyer à Paris. Jusqu’au 30 octobre, s’y déploie une impressionnante installation métamorphosant l’espace en un joyeux champ pop et queer de ruines inspirées par les temples grecs. Commissionnée par Audemars Piguet Contemporary, l’œuvre monumentale marque les 10 ans d’engagement de la maison auprès des plus grands artistes internationaux et pour la création contemporaine, soit plus 22 collaborations et une soixantaine de passionnantes expositions à travers le monde. Cette première parisienne s’est ouverte à l’occasion de la première édition de la foire Paris+ par Art Basel.
Par Thibaut Wychowanok.
Trésor architectural parisien grandiose et futuriste (tel que l’avant-garde imaginait le futur à la fin des années 60), l’Espace Niemeyer n’est que trop rarement accessible au grand public. Il le redevient jusqu’au 30 octobre grâce à l’initiative d’Audemars Piguet qui, sous le dôme monumental, au sein d’une coupole surréaliste évoquant l’intérieur d’une soucoupe volante, a laissé carte blanche à Andreas Angelidakis. L’artiste grec y présente une exposition-installation tout aussi pharaonique que l’architecture d’Oscar Niemeyer, et pourtant si radicalement antagoniste. Andreas Angelidakis y a “reconstruit” le site d’excavation du temple de Zeus au Parthénon. Une immense colonne, relique du bâtiment d’origine, trône en son centre. Des fragments d’architecture classique semblent s’en être écroulés, se déversant chaotiquement dans l’espace comme des Lego abandonnés par des enfants. Des spots de chantier éclairent l’ensemble ainsi qu’un container moderne, sorte de tente habituellement utilisée sur les sites archéologiques. Mais alors que le bâtiment de Niemeyer, son béton et sa verticalité, évoque une architecture solide et sûre d’elle, les éléments installés par l’artiste grec déjouent toute forme de rigidité. Tout y est mou, souple. La colonne n’est en réalité qu’une bâche imprimée. Les ruines sont des blocs de mousse recouverts de tissu imprimé figurant les colonnes de marbre grecques. Andreas Angelidakis explore cette pratique des “soft ruins” (ou ruines souples) depuis 2003. Des objets que le public est invité à bouger et à assembler à sa guise. Pour se les réapproprier, au-delà du seul regard touristique et béat d’admiration. Ce même public peut également s’asseoir dessus comme on s’assiérait sur l’histoire officielle. Angelidakis invite, littéralement et conceptuellement, à déconstruire notre vision de l’histoire aussi bien antique que contemporaine.
“La première fois que j’ai visité le temple de Zeus, j’étais enfant et accompagné par mes parents, nous explique-t-il. J’étais fasciné. Et puis, dans ma vingtaine, j’y suis retourné pour une tout autre raison. J’avais découvert que c’était un lieu de drague gay. Cette architecture revêtait tout à coup un tout autre sens. Je découvrais un Athènes loin des cartes postales touristiques. J’y rencontrais également des gens considérés comme des outsiders. Des gens qui n’auraient jamais eu la citoyenneté grecque pendant l’Antiquité.” L’artiste, en s’intéressant à l’origine du temple, met au jour la complexité de son histoire et de ses architectures. Il y eut en effet plusieurs temples. Ainsi, celui connu des touristes et célébré par l’histoire officielle n’en est qu’une version simplifiée et expurgée de tout ce qui pouvait déranger. L’édifice resta des années en construction, fut abandonné, finalement achevé des années plus tard, puis détruit… ses formes furent donc plus « molles » qu’il n’y paraît. Sa fameuse colonne fut même habitée par des moines au XIXe siècle. Ils avaient placé en son sommet une “hutte” (kaliva) afin d’y vivre reclus. Ils en furent chassés et on effaça même leur “hutte” des photos officielles. Les outsiders n’avaient pas leur place dans ce lieu symbolique, bientôt touristique. Cette histoire des outsiders, Andreas Angelidakis la raconte également au sein de livres géants, tout aussi mous que l’architecture, disséminés dans l’espace. Il y explore la manière dont l’architecture antique fut détournée et devenue objet de réappropriation par la culture gay pour devenir le décor de clubs et de saunas. Il y décrit également ses errements nocturnes dans la ville à la recherche de rencontres sexuelles. Il y rend un émouvant hommage aux personnes trans agressées et insultées dans cette ville légendaire et célébrée dans le monde entier. Il convoque la vie, face à la pierre et à l’imagerie d’Épinal.
Sur l’un des côtés de la colonne centrale, l’artiste a installé une goulotte de chantier jaune en référence au paysage changeant d’Athènes, particulièrement impacté ces dernières années par la prolifération de locations touristiques. L’antiquité devenu objet de consommation nourrit un néo-capitalisme typique des Airbnb, poussant le principe de gentrification et d’exclusion des populations à son paroxysme. “J’ai suivi une formation d’architecte, explique-t-il. Mais je considère que j’ai produit ma première réalisation lorsque j’étais enfant et que je construisais avec mes cousins des châteaux avec les coussins des canapés.” Le même jeu est à l’œuvre dans l’espace Niemeyer pour que “chaque visiteur puisse commencer à penser par lui-même l’Histoire, et à se raconter ses propres histoires”. L’artiste a ajouté à cet ensemble joyeux une série de projections vidéos et musicales transformant l’expérience en une sortie en club – gay évidemment – puissamment libératrice. “Ce terme ‘soft’ que j’utilise pour mes projets est parfois traduit dans certains argots par ‘queer’”, conclut-il. Ce n’est pas la moindre des victoires que d’avoir queerisé Niemeyer.
L’installation de l’artiste Andreas Angelidakis commissionnée par Audemars Piguet, à l’Espace Niemeyer à Paris, est visible gratuitement jusqu’au 30 octobre 2022. 2, place du Colonel-Fabien, Paris 19e.