12 mai 2023

Comment le label Aaron Esh réinvente le tailoring anglais

Tout juste diplômé de la prestigieuse Central Saint Martins, Aaron Esh fait déjà partie des finalistes du prix LVMH 2023. Concentrant tout son talent dans le vestiaire masculin, le jeune créateur britannique propose une mode aussi élégante qu’urbaine, à porter dans les rues branchées de Londres comme dans les quartiers chics de la capitale française. Pour Numéro, il évoque son parcours, ses inspirations et ses objectifs. 

Quelle inspiration se cache derrière votre collection Aaron Esh automne-hiver 2023-2024 ? 

J’ai construit presque toute ma dernière collection sur une photo de ma petite amie en robe de soirée John Galliano, penchée à une fenêtre de notre appartement en train de fumer une cigarette à 5 heures du matin. La plupart de mes vêtements sont inspirés par les soirées qu’on organise chez nous, auxquelles nos amis viennent habillés comme s’ils se rendaient à un gala. Et j’ai imaginé des tenues qu’ils pourraient porter, je voulais garder ce côté authentique. D’ailleurs, on a même shooté la campagne de la collection dans mon propre appartement, avec tous les mannequins, les photographes, les coiffeurs… c’était fou. Je voulais voir mes vêtements en action dans le lieu qui les ont inspirés. 

 

Qu’est-ce que cette place de finaliste au prix LVMH 2023 représente pour vous ?

Ce n’était même pas encore dans mes objectifs : je ne suis diplômé que depuis l’an dernier ! Bien sûr, je me suis toujours dit que ce serait incroyable de participer au prix LVMH, mais je pensais n’y arriver que dans un futur très lointain. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des personnes incontournables dans le milieu de la mode et je pense que ça m’a donné une sorte de confiance en moi, en nous, en mon label. 

 

Comment voudriez-vous développer votre label à l’avenir ?

Nous nous sommes fixé plusieurs objectifs. Le premier serait, évidemment, l’organisation de notre première présentation ou défilé. On travaille en ce moment avec la société de production Gainsbury & Whiting, qui est notamment à l’origine du fameux hologramme de Kate Moss au défilé d’Alexander McQueen [2006]. Je veux créer quelque chose qui résonnera avec le public présent. On réfléchit aussi au développement de notre fameuse paire de chaussures “Comma Shoe pour en faire notre pièce iconique et nous permettre de développer le label avec. Et puis, on se penche aussi sur la conception d’un vestiaire féminin… mais je vous en dirai plus en septembre !

 

La finale du prix LVMH 2023 se tiendra le 7 juin prochain à la Fondation Louis Vuitton.

Pour Aaron Esh, la mode est une image. D’abord parce qu’il l’utilise en principale source d’inspiration, puisant dans les archives pour concevoir ses vêtements ; mais aussi parce qu’il souhaite, avec sa marque, en créer de nouvelles. De la photo de sa petite amie en robe John Galliano qui inspire sa dernière collection à la campagne publicitaire des skateurs Raf Simons dans les années 90, en passant par les clichés du dernier défilé Alaïa signé Pieter Mulier en janvier dernier : le jeune créateur londonien fusionne toutes ces images et les transforme en collection. D’ailleurs, quand on lui demande quel est son créateur favori, le trentenaire répond “C’est comme me demander mon plat préféré ! Ça dépend de mon humeur, de mes envies, d’où j’en suis dans ma vie”. Car ce dernier puise un peu partout pour réinventer, beaucoup. Et associe même ses matières à des images : le cuir au sexy, la soie à l’élégance… Bref, chez Aaron Esh, tout est visuel. Tout se concentre dans l’élégance d’une coupe et la structure d’un col, dans le pli d’une veste et l’ajustement d’une manche. Une intransigeance sur la coupe qu’il tient peut-être de sa formation de graphiste, abandonnée à ses 27 ans pour rejoindre la prestigieuse Central Saint Martins School de Londres. Là, il dédie près de cinq ans à la conception de son identité, de son image de mode qui fera le succès de son label, explosant les codes du vestiaire masculin pour mieux les réinterpréter. Un veston à boutons se transforme ainsi en dos-nu, un sweatshirt devient une veste structurée, une longue robe de bal un trench cintré… autant de pièces uniques, qui l’ont mené jusqu’au podium des neuf finalistes du prix LVMH 2023. Rencontre.

 

Aaron Esh, jeune créateur britannique finaliste du prix LVMH 2023

 

Numéro : Quand et pourquoi avez-vous créé votre label Aaron Esh ?

Aaron Esh : C’est comme si la décision avait été prise pour moi. L’an dernier, une semaine après l’obtention de mon diplôme à la Central Saint Martins, j’ai reçu une commande de Ssense [plateforme de vente en ligne multimarque] et donc j’ai lancé mon label ! L’idée de transformer ma toute première collection, créée à partir chutes de tissus amassées dans mon studio, c’était plus un rêve que quelque chose de réel à ce moment là. Mais la réalité rattrape vite tout jeune diplômé de mode qui souhaite créer sa marque. Parce que, plus que commercialiser ses créations, on lance littéralement un petit business et on devient entrepreneur. Ce qui me faisait rêver, c’était l’idéal du designer de mode plus que celui du CEO hyper successful. D’ailleurs, j’ai monté mon équipe avec des étudiants et des stagiaires que je connaissais de la Central Saint Martins.

 

Vous avez gardé la même équipe ?

Nous sommes aujourd’hui une petite dizaine d’amis, du même âge et plus ou moins originaires des mêmes quartiers de l’est de Londres. Et je pense que c’est vraiment notre force : depuis le prix LVMH, beaucoup de grands noms du milieu nous ont approchés mais nous avons décidé de continuer à travailler avec les mêmes personnes, de conserver cette dimension authentique et sincère que l’on retrouve jusque dans mes inspirations. 

 

Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?

Je n’en ai pas vraiment, si ce n’est que mon grand-père avait plusieurs laveries dans Londres (rires). Mais je n’étais pas le genre d’enfant qui piquait les robes de sa mère ou les costumes de son père pour s’amuser avec. La mode s’est toujours imposée à moi comme un moyen de partager mon point de vue, mes goûts ; un médium. Je l’envisage un peu comme un livre de cuisine plus que comme une peinture ou toute autre forme d’art. Pour moi, les vêtements sont plusieurs morceaux d’une seule image : à chacun de composer la sienne. Et je m’éloigne de la question !

 

Vous êtes diplômé de la Central Saint Martins de Londres. Que retenez-vous de cette prestigieuse formation ?  

Je ne saurais même pas par où commencer. C’est un endroit très compétitif ; à tel point que je me demandais constamment si je méritais d’y être, surtout face à ces centaines de personnes bien plus douées que moi. Quand j’ai rejoint cette école, je pense que j’étais à un âge [27 ans] où j’étais capable d’encaisser les critiques, voire, où j’en avais besoin pour grandir… Je me disais : si je dois être étudiant en mode, autant être le meilleur. Je voulais qu’on me dise “ça c’est c’est nul !” pour repartir travailler sur une autre pièce. Cette compétitivité et cette exigence m’ont tout appris, des bases d’une présentation de mode à la couture intérieure d’un vêtement en passant, bien sûr, par le bon goût. Encore aujourd’hui, je me demande pour chacun de mes vêtements s’ils remplissent toutes les règles que l’on m’a enseignées.

Aaron Esh : réinventer les code du vestiaire masculin

 

Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur la mode masculine ?

Parce que j’aime explorer le tailoring, les coupes et la structure des vêtements masculins. Depuis quelques années, je trouve que Jonathan Anderson a amorcé une révolution en élargissant leur vestiaire et en créant de nouvelles envies mode chez les hommes. Pour mes dernières collections, j’étais notamment très inspiré par la définition du mot “Allure”, qui peut traduire ce charme puissant, mystérieux et fascinant qu’une personne comme Alain Delon dégage, par exemple. Et je trouve que la mode masculine a ce je-ne-sais-quoi qui permet de jouer entre le sexy, le mystérieux, le fascinant… de travailler, justement, l’allure. 

 

Comment définiriez-vous votre marque de mode en quelques mots ?

Une mode londonienne chic et élégante, faite avec des matières et des coupes luxueuses, mais pour un vestiaire totalement ancré dans notre quotidien. C’est les vêtements que l’on porte pour sortir… ou en gueule de bois (Rires). Les pièces de ma dernière collection sont un bon exemple, car elles sont inspirées par mes amis venus boire des martinis à la maison, habillés comme s’ils allaient monter les marches du MET ! Mon label représente vraiment cette idée de reprendre les codes de la mode de luxe pour concevoir une garde-robe portable, enracinée dans la réalité.

 

Comment concevez-vous vos vêtements ?

Tout se joue dans les essayages. Mais, d’abord, c’est trouver cet incroyable vêtement vintage Alaïa – qu’on n’achète pas car trop cher (Rires), mais qu’on utilise en référence pour le re-designer. Et le choix des matières se fait justement plus à partir de ces inspirations que pour des questions de technique. Par exemple, une pièce en cuir pour se sentir sexy, une pièce en soie pour une soirée élégante… Je choisis vraiment les matières pour l’univers qui s’en dégage. En suite, on passe beaucoup, beaucoup de temps sur les essayages, qui sont une étape clé dans la conception de nos vêtements car leur force réside justement dans les coupes et la structure. Prenez par exemple notre pull en jersey : au toucher, cette matière semble presque luxueuse alors qu’en réalité, elle ne l’est pas du tout. Et la structure, rythmée de découpes géométriques, lui donne toute sa dimension élégante.