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ILS ONT FAIT 2015: rencontre entre l’architecte Christian de Portzamparc et le pâtissier Pierre Hermé
Immense architecte, Christian de Portzamparc a réalisé à Séoul l’un des plus grands flagships de la maison Dior. Maître du monde pâtissier, Pierre Hermé y a installé un café d’exception. Rencontre entre deux grands créateurs de notre temps.
par Thibaut Wychowanok.
Numéro : En quoi cette aventure coréenne avec Dior se distingue-t-elle de vos précédents projets ?
Christian de Portzamparc : Je me suis senti extrêmement libre. Dans cette vaste rue dédiée au shopping si particulière de Séoul, toutes les enseignes proposent de grands bâtiments, séparés les uns des autres, telles d’immenses boîtes. Pour une fois, j’ai senti la possibilité de faire abstraction du contexte. Ma première idée a donc été de réaliser une œuvre en contraste avec cette rigueur. Une œuvre exceptionnelle et théâtralisée, sculpturale et dessinée, comme si j’étais au milieu d’une galerie d’art un peu froide. Cela va bien sûr à l’encontre de ma manière habituelle de travailler, si attentive au site et au contexte urbain. Non pas pour le copier et le respecter, mais pour lui donner vie, ou lui apporter une nouvelle dynamique.
Pierre Hermé : L’idée d’installer un Café Dior est venue de Sidney Toledano [P-DG de Christian Dior Couture]. Nous étions déjà implantés à Séoul, mais l’intérêt d’une telle collaboration est de sortir de l’uniformisation de nos boutiques pour proposer une expérience singulière, des desserts réalisés sur le moment et servis immédiatement, et une expérience architecturale inédite. Je reste impressionné par le travail effectué sur les six étages, autant à l’intérieur par Peter Marino qu’à l’extérieur par Christian de Portzamparc. Peter Marino a su intégrer différentes influences et jouer avec la richesse des matières pour donner naissance à un lieu chaleureux et moderne. Quant à l’architecture extérieure, les grands drapés blancs qui constituent la façade n’en finissent pas de me fasciner.
Christian de Portzamparc : Le fait que le thème de cette construction soit Dior m’a autorisé, et même encouragé, à lancer de nouvelles expérimentations : une architecture qui évoquerait la souplesse du tissu. La façade est constituée de grandes coques blanches qui font référence – sans être littérales, je l’espère – à l’idée du drapé, à la dissymétrie qu’apporte le mouvement. Je me souviens de mon émoi face aux créations de Christian Dior, à sa nouvelle manière de dessiner les robes et les volumes. J’ai eu accès aux dessins, aux toiles et aux drapés des années 70, et cela m’a beaucoup inspiré.
Défendez-vous, à l’instar de la maison Dior, une certaine idée de l’“excellence française” à l’étranger ?
Pierre Hermé : Je défends avant tout l’idée de partager un goût façonné par mes envies. Dans l’absolu, je ne sais pas s’il est français. Mon savoir-faire est français, sans aucun doute. Notre science de la pâtisserie est unique et, contrairement à la cuisine, il n’existe pas une multitude de variantes dans mon domaine, même si je n’oublie ni la pâtisserie orientale ni les spécialités nationales. L’Asie n’a pas la plus grande culture du dessert par exemple, même si celle-ci se développe au Japon sous la forme de cadeaux. On offre beaucoup de macarons, de petits fours secs et de cakes. Une certaine idée du luxe me paraît mieux répondre à mon ambition. L’attention portée à chaque détail est essentielle : la sélection des ingrédients, l’environnement dans lequel le produit est mis en vente, l’emballage et la qualité de service. C’est une évolution très importante par rapport à la pâtisserie de quartier. Mais votre question m’interpelle… Parce qu’avez-vous déjà entendu parler de l’“excellence américaine” ? Non ! C’est très français. La France est un pays de tradition et de savoir-faire.
Christian de Portzamparc : En effet. Nous-mêmes, les architectes, nous avons tous partagé une même expérience et une même culture, celles issues des concours et d’un enseignement de très grande qualité en France. Mais entre Dominique Perrault, Jean Nouvel, Rudy Ricciotti et moi, je vois beaucoup plus d’énormes différences que de similitudes. Je comprends l’excellence française, peut-être, en repensant à ma découverte du Japon, il y a trente ans. J’y ai admiré une culture traditionnelle remarquable, alliée à une véritable soif d’innovation. C’est peut-être cela, d’ailleurs, que nous avons en commun : un ancrage fort dans toutes les formes artistiques (littérature, peinture, musique…) qui pourtant ne nous empêche pas de regarder vers l’avenir. Les Allemands et les Anglais ont également une tradition et une culture, me direz-vous… Alors comment définir ce “truc”, cette spécificité française ? Peut-être est-ce notre capacité à éviter le kitsch et le ridicule. Tous ces jurys qui décident des constructions en France, malgré tous leurs défauts, nous préservent du n’importe quoi. Contrairement à Dubai, où l’on sent qu’il n’y a plus aucune règle, on ne laissera pas faire un architecte qui se prendrait pour Jeff Koons, avec ses provocations et sa montagne d’argent. Vous pouvez toujours ranger une œuvre d’art dans votre cave au bout de cinq ans, quand elle ne vous amuse plus. Mais pas un bâtiment. Nous avons préservé une sagesse et un sens des responsabilités. Du point de vue de l’architecte français, il y a aussi, je crois, une attention particulière portée au lieu, et une manière de regarder la ville comme un espace marqué par le temps. La ville apparaît finalement comme un calendrier où le passé se transforme et où le futur devient un joyau merveilleux. On ne rase pas l’ancien, on le fait revivre. Mais je pose encore une fois la question, pensez-vous que les architectes français que je vous ai cités partageraient avec moi cette philosophie ? Rien n’est moins sûr.