Mama Shelter Lisbonne : recette d’un succès de l’hôtellerie made in France
De Los Angeles à Belgrade en passant par Prague, Toulouse, et plus récemment Rome et Paris La Défense, le Mama Shelter s’est affirmé en quatorze ans en véritable institution dans le milieu hôtelier. Depuis son premier établissement ouvert dans l’est parisien, la chaîne fondée par Serge Trigano et ses fils possède déjà seize hôtels. Dernier en date : le Mama Shelter Lisbonne, qui inaugurait début avril dernier son rooftopdans la capitale portugaise.
Par Matthieu Jacquet.
Une façade tapissée de carreaux vert bouteille colore discrètement la grande avenue Alexandre Herculano, dans les hauteurs de Lisbonne. C’est en plein quartier du Rato, à quelques pas du jardin botanique et de la Praça Marquês de Pombal, l’une des places emblématiques de la ville, que le Mama Shelter ouvrait, en janvier, les portes son seizième établissement. Un nouveau défi pour la chaîne hôtelière française au succès florissant, déjà présente dans six métropoles de l’Hexagone (Lyon, Lille, Toulouse, et trois bâtiments à Paris), mais aussi à Londres, Prague, Belgrade, jusqu’à Los Angeles et Rio de Janeiro. Dès le rez-de-chaussée, le Mama Shelter Lisbonne accueille résidents et touristes de la capitale portugaise avec un babyfoot, un Photomaton et les produits dérivés de l’enseigne. Richement décoré, le restaurant leur tend aussi les bras, ouvert matin, midi et soir, avec une carte mettant à l’honneur des produits locaux, jusqu’au brunch du dimanche qui fait la réputation des Mama partout dans le monde. Autour de cette table se déploient 130 chambres, réparties sur huit étages, et surtout, la pépite du lieu : un magnifique rooftop avec une vue panoramique sur toute la ville et le Tage. Après plus de deux ans de travaux, cet espace privilégié et l’arrivée des beaux jours offrait une occasion en or à l’hôtel d’officialiser son ouverture. Excellente inspiration : alors que la neige tombait dans de nombreuses régions de France, le premier week-end d’avril, pour l’inauguration, le soleil baignait la cité aux mille couleurs. Sous ce ciel d’azur, l’événement avait des airs de réunion de famille : tous les managers des Mama étaient de la partie, entourés de nombreux amis fidèles de l’institution fondée en 2008, parmi lesquels, les visages familiers du designer Philippe Starck ou de l’animateur Stéphane Bern.
Si, au fil des ouvertures, le Mama Shelter conserve ses éléments signature, chacun de ses hôtels dispose de particularités qui tiennent compte du pays, de la ville et du quartier dans lesquels il est implanté. Inauguré en juillet 2021 à quelques pas du Vatican, l’établissement de Rome est le premier à bénéficier d’un spa et d’une piscine intérieure qui s’inspire des thermes historiques de la capitale italienne, tandis que le Mama Shelter La Défense, ouvert il y a trois mois dans le quartier d’affaires de l’ouest parisien, dispose de cinq ateliers privatisables, dotés de la technologie dernier cri, prévus pour accueillir les séminaires des entreprises alentour. Au Mama Shelter Lisbonne, la culture du pays et de la ville se traduisent aussi bien dans la décoration que dans la carte du restaurant. Designer des hôtels de la chaîne depuis près de six ans, Benjamin El Doghaïli s’est notamment inspiré des azulejos, les fameux carreaux de faïence décorés qui font la particularité de l’artisanat portugais, de la proximité avec la mer Méditerranée et du grand nombre de marchés dans la ville. Trônant au centre du restaurant – organisé en plusieurs pôles –, l’espace brasserie est matérialisé des piliers couverts de carrelage rose ou vert, un mur de coquillages cuivrés et un bar en marbre surplombé une tringle où sont suspendus des poissons en céramique. Au fond de la salle se situe un espace “cantina”, on aperçoit, dans l’encadrure d’une porte, les cuisiniers affairés à la préparation des repas. Enfin, l’espace dégustation s’agrémente de dizaines de tables, banquettes, fauteuils confortables et coussins imprimés, cultivant une ambiance chaleureuse, jusqu’au petit patio prolongeant la pièce, dont le large miroir incurvé, couvrant tout le mur adjacent, réverbère la lumière.
“J’avais envie que les clients se sentent eux-mêmes comme des poissons”, plaisante le designer, qui s’est inspiré des trottoirs de la ville et du marbre bleu et blanc qui la caractérise pour concevoir le motif ornant la moquette des chambres. Les toilettes qui ont contribué à faire la réputation du Mama, bénéficient aussi d’une attention particulière, recouvertes de carrelage noir et blanc et séparées par des portes ébène et agrémentées de nombreux miroirs, décor opulent qui invite le visiteur au selfie. Les écrans présents dans les lieux témoignent d’ailleurs du rapport étroit qu’entretient l’hôtel avec ses clients, diffusant les selfies qu’ils prennent dans l’établissement. Accrochés sur chaque côté des piliers carrelés de rose, on peut toutefois regretter qu’ils occultent en partie du beau travail artisanal habillant le restaurant. Derrière cette décoration maximaliste, la chaîne affirme son ancrage dans son le pays en mobilisant de nombreux artistes locaux. On leur doit l’ensemble des motifs distillés du sol au plafond, en passant par les banquettes, les tabourets, ou les suspensions en osier éclairant le bar du rooftop, jusqu’à la faune aquatique en céramique présente au-dessus du bar, sculptée par Bordallo Pinheiro. Quant à la carte du restaurant, elle défend, selon les propriétaires, une “réinterprétation portugaise de la brasserie française” en proposant, en plus, des tapas et pizzas servis dans chaque Mama Shelter, des plats locaux comme le poulpe grillé, la morue gratinée, ou le ceviche, spécialité de la région.
Seizième Mama Shelter dans l’histoire de l’institution et sixième en Europe sans compter la France, l’hôtel lisboète est loin d’être l’ultime projet de la chaîne, dont le groupe Accor est devenu actionnaire majoritaire en 2020. Forts de leur succès, Serge, Jérémie et Benjamin Trigano continuent à prospecter dans des villes susceptibles de plaire à sa clientèle. En 2023, l’institution ouvrira ainsi des hôtels à Bucarest, Dubaï, Tunis, mais aussi à Rennes, Dijon et Nice pour la France, avec l’objectif d’aligner, d’ici deux ans, un ensemble de 26 établissements, répartis dans trois continents. Comme le fondateur septuagénaire le déclarait lui-même, avec émotion, lors de son discours d’inauguration du Mama Shelter Lisbonne, “l’important est avant tout d’écouter son cœur et de suivre son instinct”.
Mama Shelter Lisboa, R. do Vale de Pereiro 19, Lisbonne.
Si aujourd’hui la réputation du Mama Shelter n’est plus à faire, rien pourtant ne prédestinait la chaîne à un succès si rapide et à une telle expansion, en France comme à l’international. Il y a quatorze ans, Serge Trigano (ex-propriétaire du Club Med créé par son père) prend le pari, avec ses fils Benjamin et Jérémie, d’investir un parking désaffecté de l’est parisien en face de la salle de concert La Flèche d’or, dans le 20e arrondissement, quartier peu attractif à l’époque, pour y construire le premier hôtel Mama Shelter dont il confie à Philippe Starck la décoration intérieure. Le risque paie : au fil des années, le quartier ne cesse de se gentrifier, accueillant des clients toujours plus nombreux, pour un simple repas ou pour un séjour. L’ambiance du lieu est l’un de ses atouts majeurs, car, dès le départ, le lieu propose des espaces de détente pour chaque moment de la journée, organise des soirées avec DJ sets les week-ends, des événements le dimanche – adaptés aussi bien aux adultes qu’aux enfants, babyfoot et bouées à l’appui. L’hôtel mise également sur des idées originales comme l’offre spéciale “Sexcation” pour une nuit torride, où les couples se voient accueillis dans leur chambre par une coupe de champagne et une boîte inattendue renfermant plumeau, vibromasseur, huile de massage ou encore DVD pornographiques. Dans chaque Mama Shelter, la qualité de l’accueil – attentif sans être trop guindé ni intimidant –, reflète à elle seule tout l’esprit de l’entreprise : la notion de famille, incarnée par son trio managérial, Serge Trigano et ses fils. Cette philosophie s’applique même à la cuisine, qui, sans être gastronomique, propose des produits de qualité, sans prétention, accompagnés par un service agréable, prévenant et toujours à l’écoute du client. Les prix abordables de la carte – une trentaine d’euros pour une entrée et un plat et une quarantaine d’euros pour le brunch – comme ceux des chambres – de 150 à 400 euros la nuit, selon les prestations proposées – attirent une clientèle très variée, des touristes plus ou moins aisés aux habitants de la ville, du quartier voire de la région, qui viennent volontiers s’y retrouver autour d’une table. Comme le rappelle Serge Trigano lors de l’inauguration du Mama Lisbonne : “La philosophie du Mama est d’apporter des bulles de bonheur aux clients”.