28 mai 2024

Les secrets de la Boat Race, la plus célèbre course d’aviron

Chaque année, les équipes d’aviron des universités britanniques d’Oxford et de Cambridge s’affrontent lors d’une course sur la Tamise, à Londres, sous les yeux de millions de spectateurs et téléspectateurs. Débuté en 1829, cet événement très prisé opposant les deux prestigieux établissements d’éducation supérieure révèle quelque chose de l’essence et de la genèse des sports.

Par Delphine Roche.

Réalisation Pieter Hugo.

Article modifié le 9 octobre 2024

De l’Angleterre aristocratique aux public schools : la naissance des Jeux Olympiques

 

Le sport est une activiteÌ si communeÌment preÌsente dans nos socieÌteÌs qu’elle semble avoir toujours existeÌ. Nombreux sont les reÌcits consacreÌs aÌ€ l’AntiquiteÌ relevant la preÌsence, en GreÌ€ce puis dans l’Empire romain, de la boxe, de la lutte et d’autres disciplines. Dans l’imaginaire collectif, les Jeux Olympiques actuels sont donc les dignes heÌritiers des jeux PanhelleÌniques. Il s’aveÌ€re toutefois que le sport et ses valeurs sont neÌs au 19e sieÌ€cle, et dans l’Angleterre aristocratique. C’est ce qu’expliquent deux sociologues, Norbert Elias et Eric Dunning, dans leur ouvrage devenu une reÌfeÌrence, Sport et civilisation – La violence maiÌ‚triseÌe (1994) : “Le type de loisir aristocratique ou ‘mondain’ que deÌsignait surtout le terme de ‘sport’ dans l’Angleterre de la premieÌ€re moitieÌ du 19e sieÌ€cle gagna d’autres pays, ouÌ€ les eÌlites nationales correspondantes l’adopteÌ€rent.â€

 

Les public schools, ces eÌcoles anglaises d’excellence, ont joueÌ un roÌ‚le preÌpondeÌrant dans l’engouement que connut le sport au Royaume-Uni sous l’eÌ€re victorienne. Selon la leÌgende, l’intuition extraordinaire de Thomas Arnold, directeur de l’EÌcole de Rugby, sise dans la ville du meÌ‚me nom, fut d’inteÌgrer les jeux collectifs pratiqueÌs par les classes populaires des zones rurales aux activiteÌs “extracurriculaires†de ses eÌtudiants issus de la haute socieÌteÌ. Ce directeur hors pair aurait saisi, avant tout le monde, les vertus que le sport, duÌ‚ment organiseÌ et disciplineÌ, pouvait inculquer aux eÌlites du pays : le fair-play, la compeÌtitiviteÌ, l’esprit d’eÌquipe, le leadership, le gouÌ‚t de l’effort. 

 

Parmi les admirateurs de Thomas Arnold, figurait un certain Pierre de Coubertin. Historien et peÌdagogue français, le baron est surtout connu pour avoir restaureÌ les Jeux Olympiques, dont la premieÌ€re eÌdition de l’eÌ€re moderne se tient symboliquement aÌ€ AtheÌ€nes en 1896. InspireÌ par le modeÌ€le anglais, il a eÌgalement Å“uvreÌ aÌ€ l’inteÌgration du sport dans les eÌcoles françaises. Toutefois, la vision de Pierre de Coubertin, eÌlitiste et fondeÌe sur l’excellence, se heurte alors profondeÌment aux valeurs reÌpublicaines et eÌgalitaires de peÌdagogues français militant pour une tout autre vision de l’eÌducation physique. Le fantasme ultime du baron eÌtant, selon un article de l’historien et speÌcialiste du sport Patrick Clastres, paru dans Revue française d’histoire des ideÌes politiques (eÌd. Picard, 2005), “l’eÌtudiant d’Oxford feÌru d’helleÌnisme et champion de rowing [“avironâ€], capable de traverser les deÌserts et les foreÌ‚ts d’Afrique.â€

L’aviron ou le sport favori de l’Angleterre

 

Brillant, eÌduqueÌ, cultiveÌ, et athleÌ€te accompli : en 2024, le champion d’aviron des grandes universiteÌs anglaises incarne toujours cet homme ideÌal, ce parfait gentleman. Sport d’eÌquipe, de plein air et d’endurance, l’aviron jouit d’une tout autre populariteÌ outre-Manche que celle qu’il connaiÌ‚t en France. L’eÌveÌnement roi, dans ce domaine, est la Boat Race, la course annuelle que disputent (depuis 1829 pour les garçons, et 1927 pour les filles), Oxford et Cambridge, les deux plus anciennes et plus prestigieuses universiteÌs britanniques, fondeÌes respectivement en 1249 et 1209. Pas moins de 250 000 personnes assistent chaque anneÌe physiquement aÌ€ cet eÌveÌnement qui se tient fin mars aÌ€ Londres, sur la Tamise, dont la couverture teÌleÌvisuelle assureÌe par la BBC atteint une audience de sept millions de teÌleÌspectateurs.

 

La Boat Race : un événement majeur suivi dans le monde entier 

 

Dans ce cadre hautement compeÌtitif et treÌ€s seÌrieux, l’engagement des eÌtudiants-athleÌ€tes est absolu. ApreÌ€s une seÌlection opeÌreÌe en septembre, les eÌquipes s’entraiÌ‚nent deux fois par jour sauf les lundis, et les week-ends entiers, alternant entre exercices en salle sur les rameurs et pratique sur l’eau. Si les activiteÌs sportives aÌ€ Oxford et aÌ€ Cambridge releÌ€vent essentiellement du loisir, les athleÌ€tes participant aÌ€ la Boat Race sont, eux, logeÌs aÌ€ une tout autre enseigne – leurs clubs, contrairement aÌ€ la plupart des autres sports, sont doteÌs de coachs professionnels aÌ€ plein temps. 

 

Le niveau d’exigence est tel que les effectifs comptent souvent d’anciens athleÌ€tes olympiques ou seÌlectionneÌs en eÌquipe nationale. Inversement, certains eÌtudiants passeÌs par ces clubs inteÌ€grent ensuite la GB Rowing Team, l’eÌquipe nationale d’aviron. Des circulations existent eÌgalement avec la Ivy League (ensemble de huit prestigieuses universiteÌs priveÌes ameÌricaines), tout aussi feÌrue d’excellence. C’est ainsi que Lenny Jenkins s’appreÌ‚te aÌ€ disputer cette anneÌe sa premieÌ€re Boat Race, apreÌ€s avoir fait partie de l’eÌquipe de l’universiteÌ de Yale. 

 

 

Dans l’eÌquipe d’Oxford, s’ajoutent parfois aÌ€ notre pratique quotidienne jusqu’aÌ€ sept heures de cours, sans compter les examens et les devoirs.†– Harry Glenister

 

 

“J’ai gagneÌ une meÌdaille d’or pour la Grande-Bretagne aux Championnats du monde des moins de 23 ans, et mon reÌ‚ve, pour la suite, eÌtait de faire partie de l’eÌquipe olympique de la Nouvelle-ZeÌlande, dont je suis originaire, explique-t-il. Mais alors que les eÌliminatoires ne se passaient pas treÌ€s bien pour moi, j’ai reçu la notification que j’eÌtais admis aÌ€ Oxford, dans l’un des Master’s Degrees les plus exigeants, ouÌ€ le taux d’admission est parmi les plus bas. Je me suis dit que j’avais pu participer aÌ€ des Championnats du monde, aÌ€ la course de Harvard contre Yale, aÌ€ la ReÌgate royale de Henley… Si je ne faisais pas les jeux Olympiques, la Boat Race, d’un niveau similaire, eÌtait une treÌ€s belle façon de conclure ma carrieÌ€re dans l’aviron.†

 

Son coeÌquipier Harry Glenister, qui a concouru pendant cinq ans au sein de l’eÌquipe nationale anglaise avant de rejoindre le Oxford University Boat Club (OUBC) suite aÌ€ une blessure, souligne les deÌfis poseÌs par la Boat Race : “Je dirais que l’entraiÌ‚nement est aussi exigeant qu’en eÌquipe nationale, ouÌ€ nous faisions trois sessions par jour, contre deux aÌ€ Oxford, mais le kilomeÌtrage parcouru en une semaine est le meÌ‚me. En tant qu’athleÌ€te de la GB Rowing Team, je ne faisais que m’exercer et reÌcupeÌrer. Dans l’eÌquipe d’Oxford, s’ajoutent parfois aÌ€ notre pratique quotidienne jusqu’aÌ€ sept heures de cours, sans compter les examens et les devoirs.â€

Un sport avec l’exigence pour maître-mot 

 

Si les universiteÌs ameÌricaines sont connues pour accepter des eÌtudiants, et meÌ‚me leur offrir des bourses, sur leurs seuls meÌrites sportifs, s’accommodant facilement de reÌsultats scolaires tout juste suffisants, cette philosophie n’existe pas aÌ€ Oxford et aÌ€ Cambridge, ouÌ€ les athleÌ€tes ne jouissent d’aucun privileÌ€ge particulier. “Il n’y a aucun passe-droit ici, les eÌtudiants sont admis uniquement sur leur meÌrite scolaire, confirme Sean Bowden, chief coach (“entraiÌ‚neur principalâ€) de l’OUBC. Les reÌactions vis-aÌ€-vis de l’engagement dans le sport sont mitigeÌes, car de nombreux enseignants pensent que les athleÌ€tes seront moins concentreÌs sur leurs cours. Les eÌquipements sportifs fournis sont assez basiques, nous ne sommes clairement pas dans le meÌ‚me monde que Harvard ou Princeton. Et pourtant, au cours des quarante dernieÌ€res anneÌes, je dirais que nous avons formeÌ une vingtaine de champions olympiques : des athleÌ€tes sont passeÌs par notre programme et ont connu par la suite le succeÌ€s au plus haut niveau.â€

 

Oxford, situeÌe aÌ€ 90 kilomeÌ€tres au nord de Londres, compte environ 152 000 habitants. Les baÌ‚timents des nombreuses faculteÌs qui y prennent place s’eÌtendent sur toute sa superficie, particulieÌ€rement dans son centre historique propret. CaracteÌriseÌe par son architecture meÌdieÌvale remarquablement entretenue, la ville eÌvoque irreÌsistiblement l’atmospheÌ€re des films Harry Potter, et pour cause : de nombreuses sceÌ€nes de la saga ont effectivement eÌteÌ tourneÌes sur place. Dans ce contexte propice au calme neÌcessaire aux eÌtudiants, le site du complexe sportif de l’universiteÌ, l’Iffley Road Sports Centre, bordeÌ par la nature, comprend essentiellement des pistes d’athleÌtisme et une piscine de 25 meÌ€tres.

 

L’OUBC y dispose de ses propres installations : une vaste salle de musculation ouÌ€ chaque machine est estampilleÌe du logo du club, des tanks – ces bassins eÌquipeÌs de rames permettant de travailler la technique du mouvement dans un lieu couvert –, les bureaux adjacents des coachs et des encadrants. Dans la salle de musculation, un vaste miroir est recouvert des mots d’ordre inculqueÌs aux athleÌ€tes : “respectâ€, “professionnalismeâ€, “heÌritageâ€, “mentaliteÌâ€, “eÌ‚tre ensembleâ€, “progreÌ€sâ€, “forceâ€, “engagementâ€, “communicationâ€, “tout donnerâ€, “responsabiliteÌâ€. Un tel deÌploiement de discipline mentale est-il propre au sport de façon geÌneÌrale ? AÌ€ l’aviron ? AÌ€ une tradition historique qu’il s’agit d’honorer ? Un peu de tout cela.

Oxford versus Cambridge : une compétition acérée entre deux prestigieuses universités  

 

Depuis la Fleming Boathouse de Wallingford, aÌ€ 31 kilomeÌ€tres d’Oxford, sur une portion paisible de la Tamise, les barques longilignes s’eÌlancent pour une seÌance de pratique sur l’eau. Dans le mouvement de propulsion, la puissance musculaire individuelle devient harmonie collective. Ces bateaux longs et fins conçus en fibre de carbone, peÌ€sent moins de 100 kg et accommodent huit rameurs, souvent immenses et charpenteÌs, dont le poids total avoisine les 700 kg. Chaque mouvement, meÌ‚me minime, de l’un d’entre eux affecte donc fortement l’eÌquilibre de l’embarcation. L’esprit d’eÌquipe prend ici tout son sens : huit corps reÌpeÌ€tent et recherchent inlassablement le mouvement parfait capable de les fusionner en un seul corps collectif. 

 

PousseÌe des jambes, attaque de l’eau par la rame, souplesse de rotation du haut du corps… pour vaincre la reÌsistance de l’eÌleÌment aquatique, chaque deÌtail compte. Alors que les rameurs manient chacun un aviron aÌ€ baÌ‚bord ou aÌ€ tribord et reculent aÌ€ l’aveuglette, ils sont guideÌs par leur barreur assis aÌ€ la poupe dans le sens de la marche du bateau. Cette personne de gabarit poids plume (55 kg) oriente les geÌants via son casque-micro, relaie les directives du coach, corrige des mouvements inadeÌquats. Un roÌ‚le absolument crucial, et un profil diffeÌrent de celui des rameurs. “Notre mission n’est pas tant l’entraiÌ‚nement physique que l’eÌtude du parcours de la course et une forme de leadership, puisque nous deÌcidons du trajet aÌ€ emprunterâ€, explique Louis Corrigan, l’un des barreurs de l’OUBC.

 

Le roÌ‚le est si crucial qu’il a permis aÌ€ l’eÌquipe de Cambridge d’arracher la victoire en 2023. Dans la Goldie Boathouse situeÌe sur la rivieÌ€re Cam, qui abrite une salle de musculation et les services administratifs du Cambridge University Boat Club (CUBC), la Salle des capitaines, ouÌ€ sont exposeÌs les tropheÌes, est tapisseÌe de plaques meÌtalliques commeÌmorant chaque eÌdition de la course depuis ses deÌbuts en 1829. Les noms de tous les membres de l’eÌquipe masculine y figurent sous une mention lapidaire : WON (“gagneÌeâ€) ou LOST (“perdueâ€). Pas de meÌdaille de bronze ni d’argent dans cette compeÌtition cruelle. “C’est tout ou rien, on gagne ou on perd. Il n’y pas d’entre-deux, pas de nuanceâ€, commente, fataliste, le chief coach Rob Baker, en poste depuis 2018.

 

Il faut entrer dans des deÌtails tactiques pour comprendre le caracteÌ€re eÌdifiant de la dernieÌ€re victoire de Cambridge, qui permet aÌ€ l’universiteÌ de mener aujourd’hui la course avec 86 triomphes contre 81 pour Oxford. “Sur le papier, en 2023, nous eÌtions des challengers, explique Sebastian Benzecry, doctorant en film studies et preÌsident du CUBC, qui concourt cette anneÌe pour sa quatrieÌ€me Boat Race. Oxford avait une eÌquipe treÌ€s forte, qui comportait des anciens compeÌtiteurs olympiques, un membre de l’eÌquipe nationale du Canada, et quelques Anglais qui avaient concouru pour les U23, les Mondiaux des moins de 23 ans. Sur la portion de la Tamise sur laquelle se deÌroule la course, le courant le plus porteur se situe au milieu du fleuve. Les deux eÌquipes doivent se tenir d’un coÌ‚teÌ et de l’autre de ce courant, en en restant le plus proche possible, en attendant de pouvoir passer en teÌ‚te. Mais l’anneÌe dernieÌ€re, les conditions meÌteÌorologiques eÌtaient particulieÌ€rement difficiles. Notre barreur a alors eu une ideÌe treÌ€s risqueÌe, juste avant Hammersmith Bridge : il a compleÌ€tement coupeÌ le virage pour venir se positionner sur le bord, preÌ€s de la rive, voyant que le courant, aÌ€ ce moment-laÌ€, y eÌtait plus fort. La course existe depuis preÌ€s de deux cents ans, et ce genre de situation a duÌ‚ se produire, en tout et pour tout, trois fois. Cela nous a permis d’emporter la victoire, et c’eÌtait treÌ€s excitant de participer aÌ€ un moment qui restera assureÌment graveÌ dans l’histoire de l’aviron.â€

Une discipline difficile qui forge de futurs champions

 

Londonien pur jus passeÌ par Princeton pour son premier cycle universitaire – la Ivy League ne permettant pas la poursuite de l’aviron lors du deuxieÌ€me cycle, ses brillants athleÌ€tes, guetteÌs et approcheÌs par Oxford et Cambridge (qui se sont entendues pour ne jamais leur proposer d’argent), tentent ensuite d’inteÌgrer l’une ou l’autre –, Sebastian connaiÌ‚t depuis son adolescence et ses deÌbuts sportifs les 6,8 kilomeÌ€tres de la course, moins familiers aÌ€ ses coeÌquipiers qui les deÌcouvrent lors de plusieurs stages organiseÌs au fil de l’anneÌe. D’est en ouest, le parcours serpente entre les districts de Putney et Mortlake, dans la partie sud-est de Londres. Deux eÌnormes virages, des courants forts et capricieux, ainsi qu’une meÌteÌo impreÌvisible, rendent l’eÌpreuve particulieÌ€rement difficile – plusieurs naufrages ont d’ailleurs deÌjaÌ€ eu lieu. 

 

Loin de ce type de terrain, le CUBC s’entraiÌ‚ne toute la saison aÌ€ Ely, aÌ€ 26 kilomeÌ€tres de Cambridge. Sur une eÌtendue treÌ€s calme de la rivieÌ€re Great Ouse, les effectifs parcourent souvent des distances de 20 kilomeÌ€tres aÌ€ 6 heures du matin. La taÌ‚che du chief coach Rob Baker, comme celle de Sean Bowden aÌ€ Oxford, est ardue : il faut ameÌliorer la technique de rame, et mesurer les performances graÌ‚ce aux outils teÌleÌmeÌtriques installeÌs au niveau de chaque aviron, afin de constituer peu aÌ€ peu l’eÌquipe de titulaires qui pourra prendre place, le 30 mars, dans le Blue Boat (aÌ€ Oxford comme aÌ€ Cambridge, tel est le nom du bateau de course principal, par opposition aÌ€ ceux des eÌquipes de reÌserve).

 

L’eÌquipe changeant chaque anneÌe en fonction des admissions et des fins de parcours universitaires, inculquer le style propre aÌ€ Cambridge – des gestes vraiment longs et amples qui projettent le haut du corps treÌ€s en avant, puis treÌ€s en arrieÌ€re – n’est pas une mince affaire. Il faut, avec diplomatie, savoir expliquer aÌ€ des athleÌ€tes de treÌ€s haut niveau comment revoir entieÌ€rement un geste qu’ils ont reÌpeÌteÌ des millions de fois depuis plus de dix ans, pour s’inteÌgrer dans un collectif. L’an prochain, suite aux Jeux Olympiques de Paris, un flot de compeÌtiteurs, meÌdailleÌs ou non, viendra se deÌverser dans les effectifs. 

 

“Les athleÌ€tes les plus ambitieux sont aujourd’hui eÌvidemment dans les programmes olympiques, mais l’anneÌe prochaine, certains consideÌreront que leur carrieÌ€re internationale a toucheÌ aÌ€ sa fin, explique Rob Baker. Ils se diront alors qu’il est temps d’acqueÌrir une compeÌtence professionnelle, or, ici, nous leur permettons de beÌneÌficier d’un reÌseau d’anciens eÌleÌ€ves prestigieux : les personnes dont les noms sont graveÌs sur les plaques de la Salle des capitaines sont des pointures dans leur secteur. La Boat Race est donc un joli pont vers la vie professionnelle.â€

La pratique de l’aviron aÌ€ un tel niveau dans les universiteÌs britanniques est totalement lieÌe aÌ€ l’eÌlitisme anglais†– Noam Mouelle

 

Il peut paraiÌ‚tre proprement masochiste de s’imposer quarante heures d’entraiÌ‚nement par semaine, dont certaines dans un froid glacial, en paralleÌ€le d’une pression scolaire intense. Si l’amour du sport fait tout surmonter, l’aviron est malgreÌ tout reconnu comme l’une des disciplines ouÌ€ la souffrance est extreÌ‚me. Celle-ci participe aÌ€ souder aÌ€ jamais les eÌquipes milleÌsimeÌes des universiteÌs d’Oxford et de Cambridge. Ainsi qu’aÌ€ creÌer une classe d’eÌlite. Doctorant en physique, le Français Noam Mouelle a commenceÌ l’aviron en reÌgion parisienne puis inteÌgreÌ l’eÌquipe nationale, avec laquelle il a participeÌ aux Championnats du monde des moins de 23 ans en 2022. 

 

Mais son sport, en France, ne connaiÌ‚t pas la meÌ‚me populariteÌ qu’outre-Manche, et aucun eÌquivalent de la Boat Race n’existe dans l’Hexagone. InteÌgrer l’universiteÌ de Cambridge lui permet donc de poursuivre son reÌ‚ve de participer aux Jeux Olympiques de 2028, tout en acqueÌrant une compeÌtence professionnelle. “La pratique de l’aviron aÌ€ un tel niveau dans les universiteÌs britanniques est totalement lieÌe aÌ€ l’eÌlitisme anglais, analyse-t-il. Un historien vient nous parler chaque anneÌe de notre sport, et, apparemment, les public schools se sont lanceÌes dans la pratique de l’aviron, il y a environ deux cents ans, car cette discipline preÌparait les aristocrates aÌ€ occuper des hauts postes de la Royal Navy, de la meÌ‚me manieÌ€re qu’un aspirant geÌneÌral de l’armeÌe de terre se devait de maiÌ‚triser l’eÌquitation. Oxford, Cambridge et les public schools se sont donc investies dans l’aviron.†

 

Si ces universiteÌs accueillent aujourd’hui des eÌtudiants de profils et de nationaliteÌs divers, la Boat Race participe aÌ€ la formation d’une eÌlite qui n’occupe plus aujourd’hui les hauts postes des armeÌes, mais plutoÌ‚t ceux des entreprises et des instituts de recherche. Elle peaufine l’archeÌtype du leader aÌ€ toute eÌpreuve dont reÌ‚vent les eÌconomies de marcheÌ libeÌrales, mondialiseÌes et concurrentielles. Tel est le cas aujourd’hui de nombreuses pratiques sportives de haut niveau, les valeurs de deÌpassement de soi et de reÌsilience trouvant leur plein eÌcho, bien suÌ‚r, chez les cadres supeÌrieurs du monde entier.