Rencontre avec Regina Demina : “J’ai envie d’être une caillera en jupons”
Regina Demina dévoilait en avril dernier son premier album “Hystérie”, un recueil de chansons aux mélodies douces et textes crus. A cette occasion Numéro a rencontré la chanteuse et artiste pour discuter musique, empowerment, et amours passionnelles.
Propos recueillis par Léa Zetlaoui.
Un des thèmes récurrents de cet album est l'amour, évoqué avec beaucoup de douleur et de violence. Pourquoi avoir choisi de montrer cet aspect des relations amoureuses – qui est d'ailleurs beaucoup plus réaliste que ce que l'on entend d'habitude?
Ces textes racontent des amours passionnelles, même si j'espère que toutes ne sont pas comme ça. La passion, c'est quelque chose qui secoue. Il y a aussi une forme de sublimation : ne pas vivre des choses horribles pour ne rien en faire. J'ai au moins sorti quelque chose de cette expérience. Mais je n'ai pas non plus envie de réduire le propos de l'album exclusivement à la passion que j'ai vécue. Je souhaite que les gens puissent s'approprier les textes et y projeter leur propre histoire. Mais globalement l'album raconte plutôt des passions tristes.
Mais avec quand même une touche très girly et très crue, sans pour autant que l'on puisse vous catégoriser.
Oui j'ai envie d'être une caillera en jupons et froufrous. Ce sont mes esthétiques.
Lors d'un évènement, vous avez interprété le titre Couzin en vous livrant à une chorégraphie de pole dance. Comment en êtes-vous arrivée à pratiquer cette discipline?
Le strip-tease m'a permis de payer mes cours de théâtre à Paris et ma naturalisation française. Sans ça, je n'aurais pas pu faire d'études. Chacun se bat avec ses armes : je suis souple et j'ai des longues jambes, donc je pouvais faire du strip-tease. Je ne le recommande pas à quelqu'un qui aurait d'autres moyens de s'en sortir car c'est un milieu très difficile. Dans mon cas, pour avoir accès aux études et à la culture, et avoir que je voulais, j'ai dû pratiquer cette activité.
C'est une activité qui reste très stigmatisée, c'était difficile à assumer?
C'était difficile à assumer – et même au sein des écoles que je pouvais me payer grâce au strip-tease – car cette activité est très mal vue et je n'en parlais pas. C'était très humiliant et hypocrite. Mais désormais, j'en parle car il y a un une fois de plus un processus d'empowerment. En France, les gens sont coincés et fossilisés dans cette vision de la Nouvelle Vague. Par exemple, Cardi B assume pleinement d'avoir fait du strip-tease. Elle est ce qu'elle aujourd'hui grâce à cette expérience. Nous, on veut des gens tout proprets.
Vous parliez d'accéder à la culture et savoir, en quoi cela fut-il difficile pour vous?
Je suis issue d'un certain milieu et j'ai grandi dans une cité. Lors de mes premiers cours de théâtre, je n'avais aucune référence. Et les professeurs me renvoyaient constamment à ça, alors que j'allais justement à l'école pour chercher ces références. Puis, je n'avais pas les codes, ce qui m'a fermé beaucoup de portes. En France, les milieux culturels sont des milieux d'entre-soi assez bourgeois. C'est pour ça que les circuits nationaux sont très importants, ils permettent à ceux qui ne sont pas issus de ces milieux privilégiés de travailler dans la culture et d'en vivre.
Vous semblez ne pas garder un très bon souvenir de ces écoles… Vous avez étudiez justement dans un établissement national, Le Fresnoy, qui permet aux jeunes d'artistes de produire leurs œuvres. Cette formation vous a-t-elle plu?
Oui Le Fresnoy s'apparente plus à une résidence d'artistes qu'à une formation propre. Cest la première fois que j'avais accès à du matériel, des studios de cinéma et de sons et autant de budget pour réaliser des projets. Grâce à ce que j'ai produit là-bas, j'ai eu un prix pour une pièce et j'ai eu de la visibilité.
En France, on aime catégoriser les artistes : chanteur, danseur, acteur… pourtant vous naviguez entre toutes ces disciplines, comment en êtes vous arrivée à toutes les mélanger?
Effectivement, en France on catégorise tout. Pour moi, cela reste de la création et de l'interprétation. Quand je regarde les blockbusters américains ou le Saturday Night Live, on voit les acteurs qui chantent et dansent parfaitement. Et c'est brillant! C'est ce que j'ai envie de faire. Je trouve que c'est super de porter des textes en proposant aussi une interprétation avec mon corps. Ça densifie le propos.
Vous réalisez vos clips également ?
Je les écris, je travaille la photographie et les storyboards, mais je préfère me faire diriger, pour pouvoir juste interpréter. Je n'ai pas la volonté de vouloir faire tout toute seule. Déjà parce que c'est trop dur et puis j'aime ce que les autres m'apportent.Il y a clips réalisés pour l'album que j'ai coréalisé avec des personnes différentes.
Finalement, ne seriez-vous pas votre propre œuvre, que vous explorez à travers tous ces médiums?
Je ne sais pas si je le pense comme ça, mais j'aime que ce soit une arborescence, un puzzle. Par exemple certains morceaux de l'album proviennent d'une de mes pièces et je les ai retravaillées pour être un peu plus pop. Un des clips reprend des vidéos d'une des pièces que j'ai faite… Mais oui, j'aime que l'on retrouve plusieurs de mes créations dans des formats différents et à des occasions différentes.
Vous avez pu réaliser des performances au Palais de Tokyo, l'art contemporain vous a-t-il ouvert des portes?
J'ai pu jouer certaines de mes pièces via les circuits de l'art contemporain qui étaient plus accessibles que ceux du théâtre par exemple. Je suis très contente que l'art contemporain m'ait aidée et offert une visibilité, et j'aime garder un pied dedans pour les inspirations, les références et la liberté que cela m'apporte, mais j'aspire à toucher des publics plus larges. Et ce qui est intéressant avec la musique c'est que c'est un média pop qui touche beaucoup de monde.
Hystérie par Regina Demina
Disponible sur les plateformes de téléchargement.
Numéro : Votre premier album s’appelle Hystérie, pourquoi avoir choisi ce nom ?
Regina Demina : Cet album a été produit dans un moment hystérique de ma vie. Évidemment, nous ne sommes plus à l’époque de Charcot, néanmoins il y avait cette émotion très forte liée à l’amour et au désir qui vient des viscères, du ventre.
C’est un mot très fort, trop souvent associé à une folie typiquement féminine.
Complètement. Reprendre ce mot c’est un processus d’empowerment, comme celui qui consiste à se réapproprier des insultes.
Votre façon de chanter des choses très crues et dures avec une voix et des mélodies très douces évoque les univers de Mylène Farmer ou Serge Gainsbourg… qu’est-ce qui vous intéresse musicalement dans ces contrastes ?
Les deux personnes que vous citez sont effectivement des références pour moi, donc il doit y avoir une forme d’imprégnation. Et ça me séduit de travailler en contrepoint. J’aime la douceur, mais ce qui m’émeut catarthiquement ce sont des choses dures ou tristes. Je n’ai pas envie d’être dans le pathos, je trouve que c’est manichéen et pas très intéressant. La musique c’est de l’entertainment et un support pour que d’autres personnes puissent se projeter. Moi personnellement, je veux écouter des choses tristes mais formulées ou portées d’une manière qui est agréable à entendre.
Dans votre album vous parlez souvent d’un monde en feu, apocalyptique, en particulier sur les titres Fantasia ou Pyromane, d’où provient ce désir de voir tout brûler?
Lors de la sortie de mon premier EP, beaucoup de gens ont écrit que j’étais énervée parce que je m’étais fait tromper alors que j’étais dans une histoire très violente avec quelqu’un qui avait du pouvoir en raison de son origine sociale. Il ressemble à une caillera minable, mais en fait il est très riche. Et à ce moment-là j’avais envie que tout brûle et moi avec.