17 jan 2020

Mac Miller : le rappeur disparu au sommet de son art

Sortis quelques semaines avant la disparition du rappeur en septembre 2018, les douze titres inédits de l'album “Circles” se dégustent avec beaucoup d’amertume. Suite logique de l’album “Swimming”, ils s'imposent comme l’épilogue d’une vie trop courte. Des poèmes en clair-obscur tiraillés sans cesse entre une euphorie candide et un spleen ultra-moderne.

Les portraits photographiques de Mac Miller qui constellent Google sont à l’image de sa discographie. La maladresse innocente de ses pauses se reflète dans ses six albums spontanés et libérés des contraintes de style. Ses yeux tantôt écarquillés, tantôt mi-clos, comme fermés par un énième pétard, évoquent à la fois la surprise d’avoir accédé si vite au statut de star du rap US et sa poursuite de la quiétude. Ses sourires narquois et ravis illustrent les morceaux survoltés – de Donald Trump à Knock Knock –, entre ego trip racoleur et narcissisme goguenard (peut-être) pas assez satirique. Quant à l’expression triste qu’il adoptait en écrasant sa lèvre supérieure avec son poing, le regard rivé au sol, elle demeure symptomatique de son œuvre : des poèmes en clair-obscur tiraillés sans cesse entre une euphorie candide et un spleen ultra-moderne.

Malcom James McCormick, dit Mac Miller, a été retrouvé inanimé à son domicile de Studio City, à Los Angeles, en septembre 2018. Il n'avait que 26 ans. Trop humble pour accepter les louanges, trop blasé qu’il n’y ait qu’une seule place de rappeur blanc, il avait toujours refusé son statut de “nouvel Eminem”. Pensé comme la suite logique de l’album Swimming sorti quelques semaines avant sa disparition, et conçu comme l’épilogue d’une vie trop courte, l’album Circles se déguste avec beaucoup d’amertume. Une pâtisserie gorgée de souvenirs que l’on n’ose pas engloutir, sachant pertinemment qu’elle est la dernière du paquet… Mais on la dévore d’une traite, finalement, pour retrouver la saveur “Mac Miller”. Une voix écorchée qui colporte la rumeur d’un mal-être grandissant, des productions récréatives et hallucinées qui mêlent la ferveur d’A Tribe Called Quest à la fantaisie d’Outkast, les salves crépitantes d’un Logic et le débit lancinant d’un Kendrick Lamar… Mac Miller était tout cela à la fois. Depuis un moment déjà, le natif de Pittsburgh avait délaissé le rap explosif pour des morceaux downtempo un peu plus soul, un peu plus acoustiques, un peu plus noirs.

Jon Brion, son coproducteur, a parachevé Circles, album posthume et première salve du “pack héritage” de tout artiste disparu. On connaît la chanson, d’autres titres délibérément oubliés resurgiront ici et là car la mort n’arrête pas le capitalisme. Encore moins dans l’industrie culturelle. Circles est à la fois sombre et lumineux sans vraiment que l’on comprenne à quel moment il est l’un ou l’autre. Un opus introspectif, rétrospectif par moment, qui invite enfin l’auditeur dans la tête de Mac Miller – un monde que l’on croyait hermétique. En filigrane, un mal-être inconscient qui persistait depuis la sortie de son tout premier album Blue Slide Park (2011), pulvérisé par le magazine Pitchfork à l’époque : “1/10, une version incroyablement fade et intolérable de Wiz Khalifa.” Le journaliste Jordan Sargent exècre alors ce jeune homme qui court après la gloire, l’argent et les femmes de petite vertu entre quelques fêtes enfumées par le cannabis… Mac Miller aura beaucoup de mal à se remettre de cette critique acerbe. Comme si la constitution d’un alter ego faisait office de gilet pare-balles dans le milieu du rap.

 

Autrefois Easy Mac dans les soirées de freestyle, le rappeur se fait repérer à 18 ans par le label Rostrum et sort dans la foulée la mixtape K.I.D.S puis explose sur YouTube un an plus tard. En novembre 2011, Blue Slide Park se classe directement numéro un du Billboard  – pour le plus grand plaisir de Pitchfork – et braque les projecteurs sur le jeune rappeur qui semble avoir le monopole du cool. Suivront des collaborations à n’en plus finir : Tyler, The Creator, Kendrick Lamar, Bilal, CeeLo Green, Flying Lotus, Blood Orange, Anderson .Paak, ou encore Ariana Grande dont il s’éprend. Avec Circles, opus de rap alternatif minimaliste aux productions soignées et efficaces, la chanson remplace souvent la prose. Une mélancolie longue de 48 minutes et une jaquette sobre et élégante qui cristallise nombre de ses portraits photographiques. Les yeux rivés au sol, la main couvrant son œil gauche et une partie de son front, Mac Miller semble regretter son ultime dose, au sommet de son art.

 

Circles [Warner Records] de Mac Miller, disponible.