Qui est Angélica Garcia, la “cousine vampire de Rosalía” ?
De passage au Popup du label de Paris la semaine dernière, la chanteuse américaine Angélica Garcia, adoubée par Barack Obama et le New York Times, défendait son tout dernier et émouvant album Gemelo. Reconnexion avec ses racines latines, reconstruction de soi, exploration de son style… Pour Numéro, celle qui se définit comme « la cousine vampire de Rosalía », revient sur son jeune parcours et ses passions.
Propos recueillis par Camille Bois-Martin.
Lorsqu’elle entame sa carrière musicale en 2016, la Californienne Angélica Garcia fait de son art une exploration de soi. Se reconnectant avec ses racines latines, elle chante en anglais et en espagnol et rend hommage à sa culture mexico-salvadorienne au gré de titres à l’esthétique DIY et avant-gardiste. Dans les pas de la superstar RosalÃa, elle façonne un univers coloré, qui trouve rapidement un écho aux États-Unis.
Au point d’être inclue, en 2020, dans la fameuse playlist best-of annuel de Barack Obama et d’intégrer les pages du prestigieux New York Times ce printemps, à l’occasion de la sortie de son troisième album, Gemelo, dévoilé ce vendredi 7 juin 2024. Un opus ambitieux, au sein duquel Angélica Garcia déploie un éventail de voix et de rythmes (entre pop chamanique, électro et musique latine), qui composent un univers ensorcelant. Surtout, il s’agit de son premier disque presque entièrement enregistré en espagnol : une décision lourde de sens pour la chanteuse américaine, qui entame ainsi un nouveau chapitre de sa jeune et prometteuse carrière. Rencontre.
L’interview de la chanteuse Angélica Garcia pour son nouvel album Gemelo
Numéro : Vous avez grandi dans une famille mexicaine et salvadorienne à Los Angeles, dans le quartier d’El Monte. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Angélica Garcia : Ma maison d’enfance était chaleureuse, avec toujours beaucoup de passages de mes cousins ou de mes grands-parents… Ma mère est mexicaine et mon beau-père est un Américain orginaire du Kansas. Donc il y avait une sorte de mélange assez drôle entre ma famille latine et lui. Mais j’ai surtout grandi dans une famille très artistique, qui m’a toujours incitée à écrire et à chanter… On chantait des chansons traditionnelles mariachi et ranchero, qui m’influencent encore beaucoup aujourd’hui. Je ressens beaucoup de proximité avec mes racines latines. Je me sens très connectée avec cette culture, mais je n’en comprends pas encore tous les ressors. Je dirais que je suis surtout un mélange de sous-cultures américaines – car j’ai beaucoup déménagé. Virginie, Angelino, Kansas, Texas, New York… Un beau melting-pot !
Les thèmes de votre album sont donc très spirituels. Qu’est-ce que cela raconte de votre musique ?
Je suis très attirée par les questions de guérison et de libération. En ce sens, la musique est quelque chose de très sacrée : c’est comme un transfert d’énergie entre des inconnus, c’est une façon de partager des émotions enfouies.
Avec toutes ces émotions couplées, comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?
C’était très intense. Pour Color de Dolor, c’était difficile car il fallait que j’atteigne une voix à la fois douce et complexe. J’avais l’impression de tourner en rond sans parvenir à être juste. Mais quand j’ai réussi, c’est comme si tout s’alignait enfin. Alors que, inversement, on a enregistré El Que en une seule prise ! C’était d’ailleurs si intense que je n’ai pas pu chanter pendant deux jours après. Ça m’a vraiment pris toute mon énergie.
Gemelo est votre premier album presque entièrement chanté en espagnol. Pourquoi était-ce important pour vous ?
L’espagnol est ma langue maternelle. Mais, même si mes grands-parents m’ont toujours parlé en espagnol, on parlait anglais dans mon foyer, à l’école… Un jour, j’ai fait écouter mon album Cha Cha Palace [2020] à ma grand-père, que j’ai écrit comme un hommage à ma famille et à mes origines. Mais elle n’a compris aucune de mes chansons, qui étaient toutes chantées en anglais. Ça m’a alors frappée : je célébrais une partie de mon identité, en utilisant les codes et le langage d’une autre. J’ai donc décidé de chanter quasi uniquement en espagnol – les premiers mots que j’ai appris étaient d’ailleurs des prières, que j’avais l’habitude de réciter avec ma grand-mère. J’ai aussi l’impression que la langue anglaise est très pointue et coupante : j’aime la comparer à un combat d’épée, car c’est une question d’agilité et de technique. Alors que l’espagnol est très poétique, c’est une langue avec laquelle on se laisse porter…
“C’est difficile de s’écouter lorsque personne ne vous comprend. Mais j’avais une vision.†Angélica Garcia
Que signifie le titre de votre album, Gemelo ?
En Espagnol, Gemelo se traduit par “jumeauâ€. J’ai longtemps cherché un titre pour cet album, car j’ai vécu sa préparation comme un processus de deuil. Parfois, notre corps passe par tellement d’émotions que notre esprit finit par prendre le dessus afin de nous guider à travers les défis et les étapes. C’est ce que le terme de Gemelo signifie pour moi : la dépendance et le lien entre notre corps physique et notre spiritualité.
Pouvez-vous me parler de ce processus de deuil ?
J’étais dans une période de ma vie assez difficile. Lorsqu’on souffre, et ce même si on est très entouré, c’est toujours un moment pivot afin de parvenir à trouver sa propre voix et sa véritable identité. D’autant plus lorsque notre entourage, et la société de manière générale, nous attribuent des rôles précis, pour nous protéger, en théorie, mais que ces derniers deviennent un obstacle au développement personnel. Alors j’ai décidé d’arrêter d’écouter les autres, et de m’écouter moi. Cela est passé par l’exploration de l’histoire de mes ancêtres, par l’apprentissage de l’espagnol et par la réévaluation de ma féminité… Et alors que tout le monde me conseillait de reprendre les études, j’étais persuadée que ce n’était pas ma voie. C’est difficile de s’écouter lorsque personne ne vous comprend. Mais j’avais une vision.
“Je dirais que je suis la cousine vampire de RosalÃa, que l’on aperçoit dans le coin d’une soirée avec les autres artistes gothiques…†Angélica Garcia
Aujourd’hui, la musique latine connaît un énorme succès, avec des artistes comme RosalÃa, Kali Uchis… Comment vous positionnez-vous dans ce paysage musical de plus en plus foisonnant ?
C’est très excitant. J’adore que ce soit de plus en plus accepté de pouvoir écouter de la musique dans de multiples langues, qui plus est des langues que l’on ne parle pas forcément. Et puis, il faut aussi dire qu’une fois qu’on lance un rythme de musique latine, tout le monde finit par danser ! Personnellement, je ne sais pas encore où je me positionne. Je dirais que je suis la cousine vampire de RosalÃa, que l’on aperçoit dans le coin d’une soirée avec les autres artistes gothiques…
Depuis vos débuts en 2016, votre style a beaucoup évolué. Comment le décririez-vous aujourd’hui ?
J’adore les choses poétiques et les talismans. Parfois, je suis attirée vers certaines pièces comme par des aimants. Des pièces qui ont l’air d’avoir une âme et une vie avant moi. J’aime les looks qui me font me retourner une deuxième fois, pour les observer. J’adore les textures, les pièces qui ont une valeur personnelle et culturelle. J’aime réinventer des vêtements, leur donner un sens nouveau.
“Quand Obama a mis l’un de mes morceaux dans sa playlist, je me suis réveillée avec des dizaines de messages et je me souviens avoir paniqué, en me disant : Est-ce que quelqu’un est mort ?†Angélica Garcia
En 2020, Barack Obama vous a intégrée dans l’une des ses fameuses playlists. Est-ce que ça a impacté votre carrière ?
On m’en parle très souvent. C’est vraiment arrivé de nulle part… On ne pitche pas Obama ! Je me suis réveillée un matin avec des dizaines de messages et je me souviens avoir paniqué, en me disant mais, est-ce que quelqu’un est mort ? Qu’est-ce qu’il se passe ? C’était assez fou, j’imagine le prédisent dans sa salle de sport, en train d’écouter ma musique [Rires].
Vos clips diffusent une esthétique très travaillée. Comment les imaginez-vous ?
J’ai toujours adoré travailler sur l’image. Quand j’écris ou que j’enregistre des chansons, je sais que je tiens quelque chose lorsque j’arrive à visualiser le clip dans ma tête, à me raconter une histoire. Ce qui est très cool aussi avec les clips, c’est qu’ils ne sont jamais vraiment comme on les imagine à la fin ! Et c’est toujours très fun de les enregistrer. Je pense notamment à la chorégraphie que l’on a imaginée pour la vidéo de Color de Dolor était incroyable. Il faisait très sombre et froid dehors, quand nous avons tourné le clip, et j’étais entourée de quatre danseurs qui me lançaient super haut et fort en l’air. Je n’arrêtais pas de me dire : « C’est donc ça mon travail ? » [Rires] C’est fou ce qu’on peut faire pour sa passion !
Gemelo (2024) d’Angélica Garcia, disponible.