Venise, Münster et Documenta : quels sont les grands évènements de l’été 2017 ?
Événement rarissime, trois des manifestations les plus importantes du monde de l’art se tiendront, cette année, simultanément : la Biennale de Venise, la Documenta de Kassel et le Skulptur Projekte de Münster. Le millésime 2017 s’annonce exceptionnel.
Par Éric Troncy.
Phénomène rare, cet été, les trois plus grandes expositions périodiques européennes d’art contemporain auront lieu simultanément… la Biennale de Venise a lieu tous les deux ans, la Documenta de Kassel tous les cinq ans et, last but not least, le Skulptur Projekte de Münster tous les dix ans. En termes statistiques, il est donc assez exceptionnel de profiter d’une telle floraison de points de vue sur l’art. Car c’est cela qui fait actuellement, plus encore que par le passé, la singularité de ces expositions : elles offrent des points de vue concertés sur l’art de notre époque. Et malgré une pléthore de manifestations dont les années 80 n’auraient même pas osé rêver, elles sont aujourd’hui quasiment les seules. En effet, en se multipliant, les expositions ne se sont pas diversifiées. Et si l’activité artistique des années 80 et 90 s’est construite autour, ou à partir, d’expositions collectives au commissariat affirmé (sur la scène new-yorkaise dans les années 80, sur la scène britannique dans les années 90), cette approche s’est franchement raréfiée. Ainsi, les expositions de groupe sont désormais au mieux “thématiques”, et il n’y a plus guère que les artistes eux-mêmes pour rassembler des œuvres apparemment hétéroclites et d’auteurs divers, avec l’ambition d’exprimer quelque chose de beaucoup moins scolaire, à l’instar de The Third Mind organisé par Ugo Rondinone, fin 2007, au Palais de Tokyo.
Ces grandes expositions périodiques, elles, ne sont pas thématiques, mais articulent un regard sur l’art à un moment donné de son histoire – regard qui engage avant tout le ou les commissaires qui les créent. Avec le temps, elles ont pris des proportions hollywoodiennes, dans leur production comme dans leur caractère événementiel. Elles ont ajouté à leur fonction celles de “stimulateurs” du tourisme et de rendez-vous supplémentaires dans la vie des collectionneurs. Commissaire de la Documenta X en 1997, Catherine David avait, un peu plus tard, analysé cette évolution : “L’édition de 1982 (Documenta VII), dirigée par Rudi Fuchs, marque la fin du règne des ‘Documenta de papa’, qui se faisaient avec des moyens moins importants financièrement, et n’avaient pas encore fait l’objet d’une forte institutionnalisation. Ensuite, durant les années 80, la Documenta n’a été en mesure de résister ni à l’industrialisation, ni au tourisme culturel, ni à la médiatisation à outrance et à l’instrumentalisation presque complète de l’art qui s’est effectuée un peu partout à cette époque.” De son côté, Catherine David, elle, avait catégoriquement refusé de rendre publique – jusqu’au jour de l’exposition – la liste des artistes qu’elle allait inviter à la Documenta de 1997, soulignant que : “Une exposition, ce n’est pas une course hippique. […] Il fallait montrer que ce n’était pas une foire. Je ne voulais pas qu’on vienne interférer, spéculer.”
Et en effet, si les foires nous renseignent, certes, sur l’état de santé du marché et ses préférences esthétiques, elles ne sauraient exprimer un point de vue, articuler une pensée sur l’art. Mais, peut-être parce qu’elles sont les seules autres manifestations itératives qui rassemblent un très grand nombre d’œuvres dans un même endroit au même moment, elles semblent appartenir au même ensemble d’événements, envisagés comme des cahiers de tendances, visant à guider le goût des collectionneurs – et tant pis si, dans les foires, les œuvres coexistent de façon hasardeuse. Cette année, c’est la Documenta qui ouvre le bal, dans une surprenante version délocalisée. Depuis sa création en 1955, il est assez inédit, en effet, que cette exposition ait lieu ailleurs qu’en la ville de Kassel (200 000 habitants tout au plus), qui regarde désormais avec bienveillance le quelque million de visiteurs qui déferlent tous les cinq ans (860 000 entrées payantes en 2012). Pourtant, avant cette déferlante annoncée à Kassel le 10 juin (et jusqu’au 17 septembre), c’est à Athènes, en Grèce, que s’ouvrira, le 8 avril, le premier volet de cette manifestation (jusqu’au 16 juillet). Ainsi en a décidé son commissaire, Adam Szymczyk, né en Pologne en 1970 et ancien directeur de la Kunsthalle Basel. Avec cette exposition, globalement intitulée Learning from Athens, il entend qu’on s’interroge sur les contextes respectifs de la création de cette manifestation, en Allemagne, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et dans la situation économique et politique que connaît la Grèce aujourd’hui. Une trame politique dont on se demande bien comment elle servira de socle à une exposition d’art : il faudra voir sur place comment, dans tout cela, pourront jaillir des formes relevant de l’esthétique et de l’histoire de l’art.
C’est presque le contre-pied de cette logique qu’a pris, sans le savoir, la commissaire de la Biennale de Venise, qui revient, avec une régularité de métronome tous les deux ans. Si les pavillons nationaux, et leur compétition couronnée d’un prix, ont souvent la préférence de la critique, cette Biennale est aussi constituée d’une exposition de groupe. Cette année marquera la 57e édition (du 13 mai au 26 novembre) de cet événement créé en 1893, en commémoration du mariage du roi Humbert I er et de Marguerite de Savoie. La commissaire Christine Macel, née à Paris en 1969 et conservatrice au musée national d’Art moderneCentre Pompidou, a donné à son exposition un titre très éloigné de celui de Documenta : Viva Arte Viva. Une telle exclamation en forme de slogan, célébrant l’art et rien d’autre, paraîtra insolente aujourd’hui où les grandes expositions semblent devoir afficher des ambitions politiques – peut-être en raison de leur culpabilité à être si populaires et à émarger désormais à la catégorie du tourisme culturel ou du jet-setting interplanétaire. Avec son titre, Viva Arte Viva promet en tout cas d’exprimer un point de vue sur l’art qui sortira de l’académisme.
Le plus recommandable de ces rendezvous estivaux est, de toute évidence, Skulptur Projekte, qui se tiendra à Münster du 10 juin au 1er octobre. La 5e édition seulement d’une exposition pourtant créée en 1977, mais qui préfère se faire rare. Elle fut inventée par l’ancien directeur du musée Ludwig de Cologne, Kasper König, qui en est toujours le directeur artistique (pour cette édition, il s’est entouré de Britta Peters et de Marianne Wagner). La particularité de cet événement est de se tenir dans l’espace public et de n’être consacré qu’à la sculpture – même si ses formes connaissent désormais une franche variété. Une trentaine d’artistes sont donc conviés, pas uniquement à exposer mais à se confronter à la ville, c’est-à-dire à la fois à l’espace urbain et à son histoire, mais aussi à ses usagers et résidents.
C’est lors de l’édition de 1977 que Katharina Fritsch a installé dans les rues marchandes, non loin de la cathédrale, sa Madonna à taille humaine, uniformément jaune : ses mains en prière ont rapidement été saccagées. Des éditions précédentes, 39 sculptures ont été conservées et maintenues en place, et Münster, ville de 300 000 habitants, peut se réjouir d’avoir dans ses rues, ses parcs ou sur ses places des œuvres de Dan Graham, Bruce Nauman, Donald Judd, Jorge Pardo ou Rosemarie Trockel. Comme Documenta, et de façon tout aussi surprenante, un volet de Skulptur Projekte se tiendra également dans la ville de Marl, 91 200 habitants, située à 200 kilomètres de Kassel. Comme pour Kassel et Athènes, la comparaison des deux villes est déjà en soi une forme de préliminaire à l’exposition et Kasper König explique que : “Les identités respectives choisies après la Seconde Guerre mondiale par les deux villes pourraient difficilement être plus différentes : reconstruction et continuité à Münster, nouveau commencement pour Marl.” Rapidement toutefois, il évoque aussi des raisons plus poétiques – ou pragmatiques –, précisant que : “Les traces et les fantômes des éditions précédentes sont devenus un important attrait local pour tous les intéressés.” Les œuvres, il est vrai, impriment à l’espace public un souvenir plus dense qu’aux espaces blancs interchangeables des musées. Mais les propositions, elles aussi, changent de nature. Ainsi l’artiste américain Michael Smith (né en 1951), invité de cette édition, envisage-t-il d’installer une station d’information sur les tatouages destinée aux personnes de plus de 65 ans, et de mettre en relation les seniors intéressés avec des tatoueurs locaux…
Comme les choses sont bien faites et que la vie des arts est aujourd’hui essentiellement un calendrier, ces trois blockbusters estivaux sont pris en tenaille entre deux des plus grandes foires d’art contemporain en Europe. Art Basel commencera le 15 juin, quelques jours à peine après les inaugurations de Kassel et de Münster, tandis que Frieze Art Fair, à Londres, ouvrira ses portes le 5 octobre, quand ces expositions auront presque toutes fermé. Les grandes expositions nous renseignent sur l’état de l’art, et les foires sur l’état du marché. Sachant qu’à présent, les deux ont fusionné…
Comme les choses sont bien faites et que la vie des arts est aujourd’hui essentiellement un calendrier, ces trois blockbusters estivaux sont pris en tenaille entre deux des plus grandes foires d’art contemporain en Europe. Art Basel commencera le 15 juin, quelques jours à peine après les inaugurations de Kassel et de Münster, tandis que Frieze Art Fair, à Londres, ouvrira ses portes le 5 octobre, quand ces expositions auront presque toutes fermé. Les grandes expositions nous renseignent sur l’état de l’art, et les foires sur l’état du marché. Sachant qu’à présent, les deux ont fusionné…