Qui est Clément Cogitore, l’artiste célébré du Festival de Cannes au Palais de Tokyo ?
Lauréat du prix 2016 de la Fondation Ricard, le Français Clément Cogitore instille dans ses films aux allures de documentaires une dose d’étrangeté ou de fantastique poussant le spectateur à s’interroger. Et si rien de tout cela n’était vrai ? Rencontre.
Par Thibaut Wychowanok.
On l’avait remarqué comme réalisateur virtuose à Cannes en 2015. Son premier long-métrage Ni le ciel ni la terre était alors sélectionné à la Semaine de la critique et nominé pour la Caméra d’or. Mais c’est bien en tant qu’artiste contemporain que Clément Cogitore a été couronné récemment du prix 2016 de la Fondation d’entreprise Ricard. Invité du Palais de Tokyo (en 2011 et 2016) comme des César où il a concouru dans la catégorie du meilleur premier film, le Français de 33 ans navigue avec aisance entre les eaux de l’art et du cinéma. Il est en effet l’un des rares artistes contemporains à avoir transformé l’essai sur grand écran, mobilisant pour Ni le ciel ni la terre un budget de 2,5 millions d’euros, un casting solide emmené par Jérémie Renier, un scénario haletant (des soldats français disparaissent mystérieusement la nuit dans une vallée afghane) et une mise en scène précise.
Mais qu’il s’agisse d’art ou de cinéma, les films de Clément Cogitore partagent un même aspect quasi documentaire. Que les images soient tournées, semblent trouvées ou issues d’archives, tout a l’air vrai. Dans son court-métrage Bielutine (2011), le Français filme ainsi deux collectionneurs de 80 ans dans un appartement moscovite en forme de tombeau aux merveilles. Entre des toiles d’araignée, un corbeau et un chat, on découvre les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art : Titien, Véronèse, le Greco, Léonard de Vinci… “Le film ne dit jamais ouvertement que ce sont des mythomanes, même si je sais, en tant que réalisateur, que 80 % de ce qui est dit à la caméra est faux. Au spectateur de s’interroger sur ce qui est vrai, ce qui est faux et sur ce qu’il accepte de croire.”
Le rapport du spectateur au vrai et à ce qu’il est prêt à croire semble être, d’ailleurs, une source intarissable de surprise pour l’artiste. “Lorsque j’ai fait relire le scénario de Ni le ciel ni la terre, se souvient Cogitore, des scènes de guerre ont paru totalement irréalistes aux lecteurs. Pourtant, elles étaient inspirées par des récits que des officiers de terrain m’avaient faits. J’ai alors compris quelque chose de très amusant. Le public croit à votre histoire non pas en fonction de sa proximité avec la réalité – celle de la guerre par exemple, mais en fonction des films qu’il a déjà vus sur le sujet et de l’idée qu’il s’est faite de la guerre au cinéma. On croit que c’est vrai parce qu’on l’a déjà vu dans un film. Nous assistons à une fascinante perversion du réel par la fiction.”
Cette obsession pour la question de la croyance, cette nécessité qu’a l’homme de tenir quelque chose pour vrai sans en avoir, parfois, la moindre preuve tangible, forme le cœur de l’œuvre de Cogitore. Dans Ni le ciel ni la terre, toujours, un capitaine de l’armée française (Jérémie Renier) reste incrédule face à un jeune Afghan persuadé que des militaires ayant mystérieusement disparu ont été emportés dans leur sommeil par Allah : “Comment tu peux être sûr de quelque chose que tu ne vois pas, que tu n’as jamais vu ?” l’interroge-t-il. La croyance rationaliste se heurte de front à la croyance religieuse. “J’essaie de rendre réel le fait que l’on vit tous dans une réalité nourrie de croyances, explique l’artiste. Personne n’y échappe car, pour l’esprit humain, le réel ne suffit pas et ne suffira jamais. De là naît notre besoin d’expliquer l’inexplicable, le mystère du monde et notre propre présence sur terre. Cette mythologie crée ensuite toute forme de communauté.”
Le 7e art lui-même forme, pour Clément Cogitore, une telle communauté. “Le cinéma, c’est I want to believe! explique l’artiste. Nous nous réunissons, réalisateurs et spectateurs, autour d’un pacte de croyance. Le réalisateur s’est documenté, a travaillé la cohérence des décors et la psychologie des personnages. Il a pensé les raccords pour rendre le tout crédible. Le spectateur, lui, pénètre dans une salle obscure pour voir des acteurs. Il sait qu’il entre dans un monde de fiction. Mais il sait aussi qu’il a envie d’y croire.” Le cinéma comme royaume de la croyance ne pouvait former une meilleure terre d’accueil pour les obsessions de l’artiste. “Le cinéma a aussi cette capacité à produire de l’émotion et même une sidération chez le spectateur, plus encore que la vidéo, commente-t-il. Il me permet de créer chez lui un état d’être et d’esprit nouveau, de lui faire atteindre un état d’hypnose.” Quittant leur réalisme apparent, les images de Cogitore créent en effet peu à peu le doute, questionnent le réel et vont chercher du côté de l’étrange et du fantastique. Elles emportent peu à peu dans un rêve au temps étiré. Elles forment alors, pour reprendre les mots d’Isabelle Cornaro, invitée cette année à sélectionner les artistes nominés pour le prix de la Fondation Ricard, le “chant si singulier, poétique et onirique” de l’artiste.
Clément Cogitore est représenté par la galerie Eva Hober, www.evahober.com
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