Thebe Magugu, le créateur sud-africain qui célèbre la richesse de son pays
En attendant notre transformation en avatars dans le métavers, Numéro Homme taille le portrait de visages bien réels : ceux de la fine fleur des jeunes créateurs de la mode masculine. Réunis à Paris devant l’objectif d’Erwan Frotin, ces designers du futur endossent les pièces de leur propre vestiaire et révèlent les inspirations, les parcours, les réflexions et les engagements novateurs qui sous-tendent leur succès. Focus sur le designer sud-africain Thebe Magugu qui, à travers son label homonyme fondé en 2016, rend hommage à l’histoire de son pays, de sa famille et au foisonnement émergeant de la nouvelle génération d’artistes et créateurs qui en sont issus. Présentée en septembre dernier, sa collection printemps-été 2022 parle du sort réservé aux lanceurs d’alerte qui luttent contre la corruption des policiers et des politiciens.
Il y a une certaine délicatesse chez Thebe Magugu, qui émane autant de sa personne que de ses créations. À 29 ans, celui-ci s’est imposé avec brio dans son domaine en seulement quelques années. “J’ai grandi dans la ville minière de Kimberley, dans le centre de mon pays. Le monde de la mode m’a longtemps semblé inaccessible. Mais j’ai toujours été encouragé par ma mère, qui pensait que s’habiller d’une jolie robe ou d’un joli manteau était une forme de respect pour les autres. Je me souviens que, lorsque nous avons eu accès aux chaînes câblées, j’ai été subjugué par un défilé de Marc Jacobs pour Louis Vuitton, sur Fashion TV. Mais j’ai longtemps pensé que cet univers resterait hors de ma portée.” Cependant, puisqu’il faut croire en ses rêves, Thebe Magugu s’inscrit à la remarquable Lisof School of Fashion, à Johannesburg, l’une des meilleures d’Afrique, où il étudie la création de mode, mais également la photographie et la communication. “J’ai été refusé à la Central Saint Martins [à Londres], mais je n’avais de toute façon pas les moyens financiers d’y aller.” C’est en 2015 qu’il donne son nom à un label, d’abord orienté vers le prêt-à-porter féminin. Un terrain d’expression qu’il souhaite engagé. Chacune de ses collections raconte donc une histoire de son continent. “L’Afrique a énormément de choses à raconter. Qu’il s’agisse de la corruption, des sorciers guérisseurs ou des espionnes sud- africaines pendant les années 70 ou 80. Tout cela m’inspire. Il y a encore beaucoup de légendes à explorer.”
Afin de nourrir sa mode et son imaginaire, ce dernier fonctionne comme un chercheur : il s’astreint à un véritable travail de documentation avant chacune de ses collections. “La mode est devenue mon moyen d’expression. Je suis, dans la vie, plutôt timide et introverti, mais tout cela s’évapore lorsque je m’immerge dans mes collections.” Sur ses portants, cela donne une silhouette affranchie des conventions : les robes, en maille légère, sont cintrées, portées près du corps et ornées d’imprimés colorés, les tee-shirts polos gagnent en centimètres pour se transformer en robes courtes, les chemisiers se portent boutonnés jusqu’en haut tandis que les costumes restent parfaitement ajustés. Son imprimé fétiche, le “Sisterhood”, figurant deux silhouettes se tenant par la main, est, quant à lui, célébré tout au long de ses collections.
Récompensé en 2019 du prix LVMH – il est le premier créateur africain à être ainsi distingué –, Thebe Magugu a depuis lors enrichi son univers, proposant désormais des pièces masculines. “L’opportunité de développer un vestiaire homme a eu lieu lorsque le salon Pitti Uomo, à Florence, m’a invité à présenter une sélection de pièces masculines, en juillet 2021. J’ai trouvé ça très excitant !” Cette collection, baptisée “Doublethink”, a été influencée par le livre de la journaliste d’investigation Mandy Wiener, The Whistleblowers, qui évoque la corruption des policiers et des politiciens en Afrique du Sud, et ceux qui la dénoncent. Couleurs et imprimés vifs, longs pulls en maille découpés en biais, trench-coats déstructurés et bottes de cow-boy : l’esprit fantasque et délicat du designer ne connaît décidément pas de contraintes.