Rencontre avec Yseult : « Je me donne pour mission de montrer au monde entier que la beauté est plurielle »
Découverte il y a dix ans dans l’émission Nouvelle Star, la chanteuse française Yseult a réussi une mue spectaculaire. Refusant les formatages de la musique mainstream, elle a fondé son label et imposé son univers ambitieux et ensorcelant, entre textes puissants et mélodies mélancoliques aux sonorités pop et trap. Mannequin signée chez Elite et ambassadrice internationale de L’Oréal Paris, l’auteure-compositrice-interprète âgée de 29 ans est aussi une voix, un visage et un corps qui comptent dans la mode. Flamboyante, elle fait partie de celles qui luttent pour une plus grande inclusivité et qui incitent chacun à affirmer sa puissance. Fière, impériale et libre, elle pose aujourd’hui pour Numéro et se confie sans fard.
Coiffure : Étienne Sekola chez Marie- France Thavonekham Agency. Maquillage : Clotilde Puvis de Chavannes avec les produits Byredo chez Saint Vincent MGMT. Manucure : Magda S. Set design : Alexandre Roy. Assistant photographe : Kevin Drelon. Assistant réalisation : Léo Rouault. Production : Aurea Productions.
L’interview de la chanteuse Yseult sur la musique et la mode
Numéro : Vous avez sorti il y a peu un single nommé Perdue. Comment est né ce morceau ?
Yseult : Cette chanson est née à Los Angeles, au beau milieu d’un salon avec une vue sur les collines. À mes côtés, Marlin, un compositeur, et une autrice, Nilusi. Nous l’avons composée tous les trois sous le soleil de Californie et ça s’est fait naturellement. Nous étions dans une sorte de bulle qui a permis de créer ce petit bijou précieux. Grâce à mon styliste, Jonathan Huguet, j’ai ensuite rencontré Nancy Grant [la productrice de Xavier Dolan], et aussi Fred Gervais, le réalisateur du clip de Perdue, au Maroc, où je lui ai fait écouter la chanson durant un dîner au bord d’une piscine. Il a eu une vision, un gros coup de cœur pour cette chanson et a accepté de réaliser la vidéo. Il a écrit le scénario pendant plusieurs mois et nous avons shooté le tout à Montréal avec une équipe touchante et bienveillante.
Que dit le clip de Perdue ?
Il prend la forme d’un poème visuel, racontant une passion délétère dans une relation amoureuse toxique. Illustrant un quotidien à la fois doux et violent, il a pour idée de raconter, dans sa forme la plus simple, cette intimité, cet amour qui, souvent, nous brise et qui, parfois, nous libère.
Dans votre titre Corps, vous chantez : “J’ai perdu la tête/ Où est le chemin de ma maison ?/ Quoi qu’il advienne/ Je retrouverai les clés d’la raison/ J’ai perdu la tête.” Quand et comment vous êtes-vous trouvée, en tant que femme et artiste ?
Il n’est pas facile de trouver le temps, l’envie ou même la force de travailler sur soi. Ça fait peur et on perd souvent courage avant de franchir la ligne de la guérison, car nous craignons le processus qui consiste à faire face à nos démons, à nos traumas. J’ai fait le pas… car je tiens à la vie. J’aime la vie, j’ai foi en la vie et je m’y accroche coûte que coûte pour aller mieux, car je ne veux plus subir la vie. Je fais un travail sur ma personne au quotidien, car je veux être une meilleure version de moi-même et je sais que cet état d’esprit-là, c’est le travail d’une vie, donc j’accepte le fait de travailler sur moi-même en permanence et cela me donne une stabilité pour pouvoir déjà être moi-même et aussi embrasser ma vulnérabilité.
« La musique permet de panser des maux, mais seulement de les panser et pas de les guérir. » Yseult
Vous avez récemment collaboré, sur le titre Wine, avec le chanteur nigérian Rema… Comment l’avez-vous rencontré ?
Son producteur, qui s’appelle London, m’a envoyé la chanson avec la voix de Rema déjà posée dessus. J’ai eu un coup de cœur immédiat, dès la première écoute. J’ai booké un studio à Paris et j’ai enregistré ma partie très rapidement. J’aime écrire et chanter la tristesse, mais j’aime aussi célébrer ma sexualité à travers des textes plus mordants et explicites. Après la session studio, j’ai envoyé l’enregistrement à London et il a surkiffé. Il l’a ensuite adressé à Rema qui, à ce moment-là, était au Nigeria. Je l’ai rejoint, nous avons fait connaissance et ça a été
un coup de cœur. La suite, vous la connaissez. Je me retrouve dans son dernier album, Rave & Roses, avec des artistes internationaux comme 6Lack et AJ Tracey !
La musique est-elle la meilleure des catharsis ?
Oui et non. Oui parce que ça permet de panser des maux, mais seulement de les panser et pas de les guérir. Donc il y a toujours quand même cette cicatrice qui est là et qui peut parfois se rouvrir lorsqu’on est justement dans une période de création, parce qu’on a besoin de puiser là où ça fait mal. La musique me permet de me sentir écoutée, comprise et soutenue par tous les gens qui traversent la même chose, et ça me touche toujours autant de voir que mes chansons font écho, même si c’est le temps d’une chanson, le temps d’un instant.
« Pour moi, un artiste se doit d’être libre et d’être à la tête de sa microentreprise. » Yseult
Pourquoi avoir fondé votre propre label, I Have No Fucking Idea, après un passage chez Polydor ?
Parce que j’ai toujours eu une mentalité entrepreneuriale, et j’ai toujours embrassé mon leadership. J’aime avoir le contrôle sur mes projets artistiques ainsi que sur toute la partie business liée à cette activité. J’apprécie le fait de pouvoir comprendre dans leur ensemble les rouages et les usages, comment cette industrie musicale fonctionne. Disposer de mon propre label me permet d’avoir une vision beaucoup plus hybride et personnalisée. J’ai eu du mal à trouver des collaborateurs qui pouvaient comprendre et surtout développer ma vision. J’ai donc préféré créer ma société pour pouvoir appliquer ma façon de voir, tout en travaillant avec des indépendants. C’est la meilleure idée que j’ai eue de ma vie parce que je tiens à ma liberté. Pour moi, un artiste se doit d’être libre et d’être à la tête de sa microentreprise parce que c’est important de s’intéresser à cet aspect.
ll y a quelques années vous aviez qualifié votre style musical d’Y-trap. Comment définiriez- vous votre musique ?
L’Y-trap, c’était une sorte de crossover que j’avais fait entre la variété française et la trap ado. Les années passant, j’ai choisi d’expérimenter la variété française d’une autre manière en créant des images moins pop et plus contemporaines. Aujourd’hui, le nouveau projet sur lequel je travaille glisse vers des sonorités qui mêlent la techno et le pop-rock. Donc on va dire que je suis en train d’expérimenter des styles musicaux qui sont plus extrêmes, et ça fait sens car ça fait partie de moi, de ma personnalité. Et je n’ai pas encore eu l’opportunité de pouvoir partager cette facette de moi.
« Je me donne pour mission de montrer au monde entier que la beauté est intérieure et plurielle. » Yseult
Vous êtes ambassadrice internationale de L’Oréal Paris. Quel message avez-vous envie de faire passer ?
Je me donne pour mission de montrer au monde entier que la beauté est intérieure et plurielle. Je suis fière et émue de faire partie d’une grande famille comme L’Oréal Paris, entourée de femmes puissantes comme l’actrice Viola Davis, une icône, Kendall Jenner, Eva Longoria ou encore Cindy Bruna qui me prend sous son aile. Un esprit de sororité émane de cette grande famille. Avec elles, je tiens à faire passer un message d’amour, d’inclusivité, de paix et d’acceptation de soi à travers L’Oréal Paris.
Vous avez défilé pour Balenciaga ainsi que pour Alexander McQueen – maison pour laquelle vous avez aussi posé dans une campagne. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Cela signifie qu’il est possible de créer des vêtements à la portée de tous et de toutes. Bien évidemment, l’étape suivante c’est surtout de rendre la mode accessible au-delà des podiums, parce que la réalité, c’est qu’il y a de la demande mais très peu d’offre. En vérité, l’offre est assez inexistante et il serait sage de s’asseoir autour d’une table et de discuter pour trouver une solution et faire en sorte que le plus grand nombre ait accès à la mode. Elle est censée être universelle, donc il est important qu’elle soit accessible à toutes les tailles.
« La relation que j’ai avec la mode reste encore aujourd’hui très conflictuelle, car même si j’ai la chance que l’on me fasse des tenues sur mesure pour certaines occasions, cela reste très difficile de trouver des vêtements à ma taille. » Yseult
Je crois que votre look Balenciaga, lors du défilé printemps-été 2024, est né d’une vraie collaboration entre Demna et vous…
J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Demna en tête à tête pour pouvoir discuter de mes besoins et il a été totalement à l’écoute. Il y a vraiment eu une collaboration entre nous, parce que chaque tenue a été créée sur mesure. Chacune d’elles est unique, et je me sens à l’aise dans les vêtements qui ont été créés et m’ont été proposés.
Comment vivez-vous le fait de faire partie d’un moment de plus grande ouverture et de plus grande inclusivité dans la mode ?
Je voudrais remercier toutes les mannequins qui ont ouvert la voie pour que je puisse naviguer dans ce monde. Et remercier également tous les acteurs qui ont participé au fait que je puisse rencontrer des créateurs aussi incroyables que Sarah Burton, Demna ou Casey Cadwallader. J’aimerais remercier tous les designers qui m’ont fait confiance, et surtout Olivier Rousteing qui a été le premier à m’ouvrir les bras de la mode et de la haute couture. La relation que j’ai avec la mode reste encore aujourd’hui très conflictuelle, car même si j’ai la chance que l’on me fasse des tenues sur mesure pour certaines occasions, cela reste très difficile de trouver des vêtements à ma taille.
Quelle place occupe la mode dans votre vie et dans votre univers musical ?
Je dirais que ça occupe 90 % de mes projets. Dans mon travail, j’aime collaborer avec des artistes – et je considère les créateurs de mode comme des artistes. Pour moi, les photos et les vidéos font partie intégrante de mes projets et l’élément de mode y est toujours présent.
« Mon plus grand rêve ? Trouver la paix. » Yseult
Comment décririez-vous votre look ?
C’est difficile, parce que ma taille fait que j’ai un accès à la mode assez limité et je ne peux donc pas définir mon look selon ce que je porte tous les jours. La réalité fait que je ne peux pas toujours porter ce que j’aimerais. J’aspire à avoir un certain style, mais malheureusement je ne peux entrer dans rien.
Avez-vous des icônes de mode ?
Je dirais la chanteuse Barbara, parce que j’aime bien le fait qu’elle s’habille tout le temps en noir comme si elle essayait de disparaître alors qu’en réalité elle est juste brillante, c’est une artiste de malade. J’adore sa silhouette un peu dramatique. J’aime aussi Édith Piaf, ses sourcils très fins et ses petites robes noires. Je pense que, sans s’en rendre compte, toutes les deux ont eu un véritable impact dans la mode.
Quelles sont vos influences du moment ?
Madonna, Marina Abramovic et Britney Spears.
Que diriez-vous à la Yseult adolescente ?
De ne jamais courber l’échine face aux hommes, je dis bien jamais !
Quel est votre plus grand rêve ?
De trouver la paix !
Perdue (2023) d’Yseult, disponible. La chanteuse sortira son nouveau single, Suicide, le 12 avril 2024.