Rencontre avec Nine d’Urso : “Être comédien, c’est avoir la chance de pouvoir faire tous les métiers du monde”
Alors qu’elle se glisse actuellement dans la peau de la mystérieuse mannequin Colette dans la nouvelle série Disney+ Cristóbal Balenciaga, la magnétique actrice Nine d’Urso se confie à Numéro sur la mode, le cinéma et la vie.
Propos recueillis par Camille Bois-Martin.
Diplômée depuis seulement trois petites années du conservatoire de Lille, Nine d’Urso n’en est qu’au début de sa carrière d’actrice mais elle semble promise, à 28 ans, à un beau chemin dans le cinéma français.
Avec son visage si familier, dont les traits évoquent ceux de sa célèbre mère Inès de la Fressange, ses débuts dans le mannequinat et ses talents d’actrice, Nine d’Urso attire tous les regards… Il suffit de la voir se mouvoir dans la série Cristóbal Balenciaga, actuellement diffusée sur Disney+, pour tomber sous le charme de son aura.
Elle y interprète la mannequin et muse du couturier, Colette, avec une grâce innée. Après cette aventure, on la verra dans deux autres productions ambitieuses : la troisième saison de The Head (2024), et le nouveau film d’Olivier Assayas, Hors du temps (prévu pour le 19 juin 2024), aux côtés de Vincent Macaigne. Pour toutes ces raisons, Numéro est allé à la rencontre de cette jeune actrice au sourire éclatant, sous la grisaille d’un après-midi de janvier, dans un café très chic de l’île de la cité, à Paris…
L’interview de Nine d’Urso, actrice à l’affiche de la série Cristóbal Balenciaga
Numéro : On vous rencontre aujourd’hui dans un café de l’île de la Cité. C’est très chic et parisien…
Nine d’Urso : J’ai choisi un endroit méga chic, un peu titi parisien ! (Rires) Je ne viens pas souvent dans ce quartier. J’avais juste un rendez-vous à côté après. Certes, je suis parisienne mais j’ai une vision de Paris assez bizarroïde car j’ai grandi dans le cinquième arrondissement sans jamais vraiment en sortir, avant de déménager à Lyon puis à Lille. Je suis encore en pleine découverte de la ville !
Dans la série Cristóbal Balenciaga vous interprétez une icône parisienne : la mannequin Colette, l’une des muses du couturier, qui reste très mystérieuse. Comment avez-vous préparé ce rôle ?
Le peu de documentation que l’on a sur elle se trouve dans les carnets de la première d’atelier, qui n’en disait pas toujours beaucoup de bien d’ailleurs. Elle était très exigeante et professionnelle… Mais elle a eu un impact sur la forme des vêtements imaginés par Cristóbal Balenciaga, car elle avait le dos voûté et l’os iliaque très avancé, ce qui lui a inspiré ses silhouettes en S, qui sont comme un hommage à sa physionomie. J’ai regardé énormément de photographies de Colette ainsi que les quelques vidéos que l’on a d’elle, qui m’ont aidée à travailler mon allure, parce qu’on ne défile pas de la même façon en 1937 qu’à la fin des années 40. Au début, elle marchait les mains le long du corps. Elle ne savait pas trop comment se tenir et puis, après la guerre, elle prend des poses plus sculpturales. J’ai essayé de reproduire tout ça.
Que saviez-vous de l’histoire de la maison Balenciaga ?
Pour être honnête, je connaissais vraiment peu de choses. Avant le tournage, j’ai lu une biographie, et je dois avouer que c’est Cristóbal qui m’a totalement fascinée. Pour reprendre les mots d’Hubert de Givenchy, c’est comme s’il était à la fois le prêtre et le dieu de la religion mode de l’époque. C’est comme si personne n’arrivait à être à sa hauteur d’exigence, ce qui le laissait perpétuellement déçu.
Y-a-t-il des scènes de la série qui vous ont particulièrement marquées ?
J’ai passé beaucoup de temps derrière le moniteur, à observer les autres tourner. Et je dois dire que la scène de la mort de Wladzio [compagnon et associé de Cristóbal Balenciaga] où Alberto San Juan [l’interprète de Cristóbal Balenciaga] ravale le son de ses pleurs m’a bouleversée. Puis, globalement, toutes les scènes qui ont suivi celle-ci ont été très émotionnelles parce qu’on adorait tous Thomas Coumans [l’acteur de Wladzio], et qu’il n’était plus là, alors que depuis le début on était la même équipe pour filmer les défilés. Ça sentait la fin du tournage, l’ambiance était assez pesante : on était tous habillés en noir – moi je ressemblais à une grande huître avec ma robe-capuche, mais à une huître de luxe ! (rires)
Sur le tournage de Cristóbal Balenciaga, je ressemblais à une grande huître avec ma robe-capuche, mais à une huître de luxe !”
Vous êtes vous-même proche du milieu de la mode et du mannequinat…
Ce métier m’intrigue beaucoup, mais je me contente simplement de le regarder de loin. Certes, quand j’étais plus jeune j’ai fait quelques photographies pour un parfum Bottega Veneta et quelques missions en tant que mannequin cabine mais tout ça, c’est surtout le monde de ma mère.
La mannequin Colette et votre mère Inès de La Fressange incarnent chacune à leur façon l’élégance à la française. Selon vous, c’est quoi le chic hexagonal ?
Ces derniers temps, on croise tout un tas de personnes très particulières dans les rues de Paris : ce sont celles qui ont vu la série Emily in Paris. On les reconnaît notamment parce qu’elles sont toutes très belles et très impressionnantes, toujours tirées à quatre épingles. Tout est parfait, des cheveux à la robe en passant par la chaussette, qui s’arrête pile à la bonne hauteur. Mais je dirais qu’il manque un tout petit peu de négligé, ce je-ne-sais-quoi de nonchalant qui fait que tout n’est pas parfaitement parfait, ni entièrement sous contrôle. Pour moi, l’élégance c’est ce rouge à lèvres mis sans s’être arrêté devant une glace, qui dépasse un peu sur la dent, ou ces petits cheveux qui partent dans tous les sens. Finalement, c’est se dire que c’est un peu hors de sa portée… Ça a à voir avec une forme de politesse je trouve, qui est de ne pas être seulement concentrée sur soi. Moi, je serais incapable d’atteindre un tel niveau de perfection vestimentaire !
J’adore aller à un défilé avec ma mère (Inès de la Fressange) parce que c’est comme y aller avec une petite encyclopédie.”
Comment décririez-vous votre style ?
J’ai une chance énorme qui est que j’ai à ma disposition un magasin fabuleux, c’est-à-dire le placard de ma petite sœur et celui de ma mère. Violette [d’Urso, écrivaine] conserve tous ses vêtements depuis ses sept ans car elle est persuadée qu’ils finiront par revenir à la mode – et le pire, c’est qu’elle a souvent raison ! Son appartement ressemble à une gigantesque archive personnelle d’elle-même. Moi, je prends juste ce qu’il y a de plus confortable chez ma mère et chez ma sœur. Et comme elles ont toutes les deux un super look, à la fin, ça rend pas trop mal. Donc merci Inès et Violette ! Ah oui, et merci Dior aussi, qui m’a prêté ce magnifique pantalon que je devrais d’ailleurs déjà leur avoir rendu… En y réfléchissant, mes tenues ne m’appartiennent pas du tout. (Rires). Ça me fait penser à ce qu’une amie me dit souvent : pour elle, si je n’avais pas ma mère et ma sœur, je m’habillerais probablement en vêtements techniques de chez Décathlon. Le pire, c’est qu’elle a totalement raison.
Par votre mère et vos métiers, vous évoluez depuis longtemps dans le monde de la mode. Qu’est-ce que vous adorez et qu’est-ce que vous détestez dans ce milieu ?
J’adore aller à un défilé avec ma mère parce que c’est comme y aller avec une petite encyclopédie. Elle me dit exactement quoi regarder. Parce que moi, évidemment, je suis surtout impressionnée par tout ce qui brille alors qu’elle, elle regarde les coutures parfaites, la guipure qui est incroyablement faite, la passementerie… Tout ce savoir-faire, ce réservoir de gestes centenaires que la mode protège et fait perdurer, mais qu’on oublie souvent au profit du facteur un peu “waouh” qui entoure le milieu. Le monde de la mode peut pâtir parfois de sa propre image, et finalement mettre en péril ce qu’il défend.
J’ai l’impression qu’être comédien, c’est avoir la chance de pouvoir faire tous les métiers du monde.”
Vous avez fait une classe préparatoire, l’ENS, avant de finalement rejoindre le conservatoire de Lille. Comment avez-vous réussi à trouver votre voie ?
C’était chaotique ! (Rires) J’ai commencé mes études de théâtre quand j’étais en année de césure à l’ENS. Je me suis dit que c’était seulement pour un an, juste pour voir. Puis finalement je n’ai jamais arrêté. Je ne sais pas si j’ai trouvé ma voie, mais en tout cas c’est ce qui m’épanouit. C’est difficile de vivre de ce métier.
Le métier d’actrice vous fait-il peur ?
Je pense que tous les acteurs ont peur de ne pas être à la hauteur. Mais on fait tous semblant. Il y a une grande envie d’être aimé, de toujours donner son maximum pour rendre justice à tous les autres métiers qui entourent la production d’un film, d’une série ou d’une pièce de théâtre.
Vous ne pensez donc pas faire ce métier toute votre vie ?
J’ai l’impression qu’être comédien, c’est avoir la chance de pouvoir faire tous les métiers du monde. C’est un peu le bonheur des indécis ! C’est apprendre pendant trois mois à faire des froissés parfaits pour la série Cristóbal Balenciaga, avant d’acquérir des connaissances ultra précises sur le traitement des eaux usées pour la prochaine saison de The Head… Puis prendre en urgence des cours de tennis pour le film d’Olivier Assayas, car j’ai dit à la directrice de casting lors de l’audition que je savais très bien en faire ! J’adore tous les mondes différents dans lesquels je m’immerge à chaque fois. Mais j’ai aussi appris très jeune que notre vie peut être bouleversée du jour au lendemain, et que tout ne peut pas être prévu à l’avance.
La série Cristóbal Balenciaga (2024) avec Nine d’Urso est disponible sur Disney+. Le film Hors du temps (2024) d’Olivier Assayas, avec Nine d’Urso, Vincent Macaigne et Nora Hamzawi, au cinéma le 19 juin 2024. La saison 3 de The Head est prévue pour 2024.