Rencontre avec le jeune créateur Charles de Vilmorin, étoile montante de la mode
Jeune, beau et très talentueux, Charles de Vilmorin fait partie des créateurs dotés d’un univers fort, immédiatement reconnaissable. Poétique et surréaliste, sa vision inspirée se nourrit également de la sensibilité des jeunes musiciens qui l’entourent, et injecte une magie véritablement unique dans ses collections couture. Autant que dans les vitrines de Noël des Galeries Lafayette Haussmann, dont il a imaginé l’univers vibrant et féérique qui les décore cette année.
Propos recueillis par Delphine Roche.
Rencontre avec le jeune et talentueux créateur Charles de Vilmorin
Numéro : Vous n’avez jamais cessé de développer votre propre label, même lorsque vous étiez directeur artistique de Rochas, de 2021 à 2023. Comment avez-vous procédé ?
Charles de Vilmorin : Rochas me prenait évidemment beaucoup de temps. J’étais souvent en Italie pour suivre la fabrication des collections. Je n’organisais plus de défilés, je présentais mes pièces uniquement via des vidéos et des photographies. Depuis que j’ai quitté Rochas, je me consacre vraiment à développer ma marque.
Sentez-vous qu’il existe un réel soutien aux créateurs indépendants, de la part des professionnels ?
Absolument, que ce soit de la part de la presse ou de la Fédération, je ressens un réel soutien.
Vous faites partie des créateurs qui bénéficient d’une vraie communauté autour d’eux : vous êtes entouré de musiciens pop avec lesquels vous collaborez. On se souvient notamment de votre très belle vidéo pour la saison automne-hiver 2021-2022, avec les chanteurs Bilal Hassani et Joanna.
J’ai davantage d’amis dans la musique que dans la mode, et ils m’inspirent énormément. C’est vraiment un milieu que j’adore. Sans vouloir me vanter, je pense également avoir une bonne oreille, car beaucoup d’artistes que j’ai vraiment découverts à leurs tout débuts, et qui sont devenus mes amis, ont connu plus tard un véritable succès. Je vais souvent voir des concerts, je suis très curieux dans ce domaine.
Votre collaboration avec des musiciens semble vraiment organique, on sent qu’il s’agit d’une création commune.
J’aime que les artistes incarnent réellement ce qu’ils ont envie d’incarner. De ce point de vue, le vêtement peut leur apporter une aide, et il est donc important pour moi de discuter avec eux, en amont d’un projet, pour respecter leur créativité. Au moment de cette vidéo avec Joanna, je savais déjà quelle chanson elle souhaitait interpréter. Je lui ai montré le lieu où j’imaginais tourner le film, et je lui ai demandé ce qu’elle voulait incarner. Nous sommes vite partis sur cette idée d’oiseau, qui a donné son thème à la collection.
Votre univers est très poétique, voire parfois surréaliste, ce qui doit contribuer à faciliter votre entente avec des artistes. Votre dernier défilé couture incluait notamment des sculptures à l’effigie d’animaux – oiseaux, cheval –, portées par des mannequins…
Pour moi, créer un univers est primordial. De façon très naturelle, j’injecte une dimension théâtrale dans mon travail. Ces sculptures étaient des sortes de visions : j’ai eu cette idée au moment où nous avons travaillé ensemble sur le clip du morceau Givré du chanteur Vartang en duo avec Shy’m, dont vous étiez la réalisatrice. Je ne sais plus si je vous l’avais dit alors, mais j’avais eu cette vision d’une sculpture de cheval que je n’ai pas pu mettre en œuvre pour le clip, faute de temps. Ensuite, j’ai travaillé avec un ami sculpteur qui a donné corps à mes visions. Il n’y avait pas vraiment d’histoire concrète derrière. C’était plutôt un geste un peu surréaliste, à la Cocteau.
Pensez-vous qu’on vous laisserait la liberté de développer un univers si poétique à la tête d’une maison ?
Justement, j’espère sincèrement que j’aurai de nouveau l’opportunité d’apporter ma vision à une maison. Aujourd’hui, cela ne me fait absolument pas peur, car j’ai tellement appris au sein de Rochas. Si une telle occasion se présente à l’avenir, je prendrai les choses différemment, et j’oserai beaucoup plus imposer ma vision. Je pense que j’arrive à un stade où j’ai vraiment besoin d’être complètement sincère. J’ai adoré présenter mon défilé couture en juillet, je suis très content de la façon dont tout s’est déroulé. Mais avec un peu de recul, je prends conscience que j’aurais aimé lui donner une dimension beaucoup plus performative. J’ai été très marqué par les défilés d’Hussein Chalayan, ceux d’Alexander McQueen ou encore de Viktor & Rolf, qui comportent réellement cette dimension de performance.
Pour moi, créer un univers est primordial. De façon très naturelle, j’injecte une dimension théâtrale dans mon travail. Les sculptures de mon dernier défilé étaient des sortes de visions. C’était un geste un peu surréaliste, à la Cocteau.
Votre dernier défilé évoquait la pureté des vestales, avec ses maquillages très subtils, ses grands volumes blancs et le fait que certains mannequins défilaient pieds nus.
En effet, j’avais envie de moins de couleurs, de moins d’imprimés… On me connaît pour l’abondance de couleurs, de motifs, des maquillages parfois clownesques. Cette fois, j’ai préféré de grands volumes blancs, des tissus drapés à même les corps.
Certains de vos mannequins étaient des hommes, cela vous semble-t-il essentiel aujourd’hui de décliner une vraie proposition couture au masculin ?
Tout à fait. Pour les hommes, la couture s’est longtemps limitée à une offre tailleur sur mesure. Or je trouve que cela a du sens de leur proposer une couture aussi théâtrale que celle qu’on conçoit pour les femmes. Ce n’est même pas un combat ou un message à faire passer, c’est juste très naturel à mes yeux. Les garçons que je connais n’hésitent pas à s’habiller de façon très affirmée, notamment s’ils sont musiciens et doivent choisir des tenues de scène.
Inès de la Fressange a défilé pour vous en juillet, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Cela s’est produit il y a deux ans environ, et nous nous sommes tout de suite bien entendus. J’aime son côté classique français, parisien, hyper assumé et en même temps hyper décalé. J’adore ce genre de personnalité. C’était aussi une façon d’envoyer un message, car le fait que j’aie un nom à particule génère souvent une sorte de quiproquo : on pense que je suis richissime et que tout a été facile pour moi, ce qui n’est pas le cas. Faire défiler Inès de la Fressange était une sorte de réponse à cela : j’ai un nom de bourge, et alors, je m’en fous. Je n’ai pas à m’en justifier.
En octobre, vous étiez le président du jury mode du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires d’Hyères. Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
J’étais très honoré que Jean-Pierre Blanc me demande de présider le jury cette année. Cela a été une expérience incroyable. J’ai toujours trouvé ce festival inspirant. Il y règne une énergie très bienveillante envers la créativité. C’était une parenthèse merveilleuse. Les finalistes du concours de mode avaient le même âge que moi, j’étais donc vraiment dans un échange avec eux, plutôt que dans le jugement. Nous sommes restés en contact, je vais bientôt revoir Igor Dieryck [lauréat du Grand Prix du jury et du prix du Public] pour lui donner des conseils et lui parler des erreurs que j’ai commises à mes débuts, afin qu’il puisse les éviter.
À la Villa Noailles, vous aviez agrémenté votre spectaculaire exposition d’une fresque peinte sur un mur. Vos dessins évoquant autant Cocteau qu’Egon Schiele, que l’on retrouve souvent dans vos imprimés, sont-ils une partie essentielle de votre créativité ?
C’est une dimension de plus en plus importante pour moi, que je développe en parallèle de mon travail de mode, notamment dans le cadre d’une invitation des Galeries Lafayette, pour les fêtes de fin d’année. J’expose ainsi mes lithographies dans le magasin de Dijon jusqu’au 11 janvier – six œuvres originales tirées chacune à 30 exemplaires signés et numérotés. J’assure également la direction artistique des vitrines du magasin du boulevard Haussmann, à Paris. Dans ce cadre, j’ai également réalisé une collection capsule, et je signe des collaborations avec d’autres marques.
Vous avez imposé votre signature en vous lançant tout de suite dans la couture. Aimeriez-vous désormais décliner votre univers dans le prêt-à-porter ?
Le prêt-à-porter m’intéresse, effectivement, et j’ai eu l’occasion de m’y essayer lors d’une collaboration avec 24S. À l’époque, j’avais croisé quelques personnes qui portaient un foulard ou une chemise que j’avais créés, et j’en avais été très ému. J’aime l’idée d’utiliser la couture pour raconter des histoires, et le prêt-à-porter pour que les gens puissent aussi s’approprier ces histoires. C’est un des projets sur lesquels je travaille.
Le décor »Noël de mes rêves » de Charles de Vilmorin pour les Galeries Lafayette Haussmann, jusqu’au 31 décembre 2023.