3 nov 2022

Minecraft et Burberry, Need for Speed et Versace… pourquoi la mode infiltre les jeux vidéo

Après Louis Vuitton ou Balenciaga, Burberry se risque pour la première fois dans l’univers du jeu vidéo : la marque londonienne propose une expérience immersive en collaboration avec Minecraft, le phénomène aux 140 millions d’utilisateurs. Que signifie cette invasion de la mode dans le jeu vidéo ?

J’ai tellement hâte que mon personnage gambade une épée à la main dans un long trench beige !” Dans la section commentaires de la vidéo Freedom to Go Beyond, les internautes ironisent à propos de la collaboration improbable entre Burberry et Minecraft, jeu vidéo culte de construction qui permet d’explorer un monde de pixels que chacun peut détourner à sa guise. Dans cette vidéo, les gamers découvrent en effet la sphère Burberry, un royaume virtuel totalement inédit dans lequel ils peuvent pénétrer grâce à bonus additionnel téléchargeable. Pour la première fois de son histoire, la célèbre maison de luxe londonienne s’associe à une franchise de jeux vidéo pour créer une expérience immersive. Et pas n’importe quelle franchise, puisqu’il s’agit de Minecraft, œuvre star qui cumule près de 140 millions d’utilisateurs depuis sa sortie en 2011. Si certains accueillent joyeusement ce bonus, d’autres voient d’un mauvais œil cette invasion tentaculaire de la mode dans le monde du jeu vidéo…

 

1. Le gaming : un marché qui brasse 155 milliards de dollars

 

Novembre 2019. La maison Louis Vuitton crée la surprise en annonçant sa collaboration exclusive avec Riot Games, éditeur du jeu vidéo League of Legends, titre majeur sorti dix ans plus tôt qui va considérablement démocratiser les sports électroniques multijoueurs et rassembler une véritable communauté de fans. Partageant un jargon spécifique, passant des heures en ligne, ils encensent un nouveau type de gourous : les gamers professionnelsvéritables sportifs de haut niveau qui rapportent des millions de dollars à leurs équipes respectives. Pour ce partenariat, Louis Vuitton a développé un écrin exclusif destiné à accueillir la “Summoner’s Cup”, le trophée décerné aux champions du monde, qui s’est imposé comme le prix le plus prestigieux de la catégorie “e-sport”. Objectif de ce coup de com’ ? Saisir la manne que représente le marché asiatique, aussi fan de Louis Vuitton que de League of Legends.

 

En 2021, les recettes de l’industrie du jeu vidéo s’élèvent à plus de 155 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Si l’on annonce une récession historique du marché en 2022 (- 1,2%), le secteur vidéoludique dispose néanmoins d’une force de frappe impressionnante, affichant deux milliards d’utilisateurs, toujours plus jeunes et toujours plus engagés. Et tandis que les consoles et plateformes se multiplient, offrant des  contenus rivalisant d’innovations et de variétés, l’univers du jeu vidéo bénéficie d’un changement de statut inattendu. Plus qu’un divertissement, il s’envisage désormais comme une profession à part entière, voire un ersatz virtuel de la vie réelle… Objet d’analyses comportementales détaillées, il fournit de précieuses informations aux marques. D’autant qu’avec l’essor du streaming, il est aujourd’hui possible d’atteindre les joueurs “passifs”. Phénomène récent, le jeu vidéo, à l’instar des autres sports, se regarde, sans forcément qu’on y participe. Et certaines retransmissions de compétitions comptabilisent plus de 100 millions de vues sur Internet…

2. Un vestiaire digital signé des plus grandes marques de mode

 

Plébiscité par le rappeur Travis Scott, pour la toute première fois, comme scène d’une série de concerts virtuelsFortnite collabore pour la première fois avec une grande maison de mode en 2021. Cette année-là, Balenciaga, sous la houlette de son directeur artistique Demna, débarque sur le jeu de tir culte pour relooker les personnages. Au sein d’une boutique virtuelle – où tout se paye en argent bien réel – les joueurs peuvent dès lors habiller de pièces avant-gardistes leur personnage préféré. Aujourd’hui, c’est au tour du label américain Ralph Lauren d’inaugurer une collection numérique de vêtements et d’accessoires, lancée elle aussi dans la boutique de Fortnite. Un rôle de prescripteur de tendances plutôt inattendu pour un programme au scénario basé sur la survie des protagonistes. Désormais posséder un vêtement siglé se revendique autant dans le monde réel que dans le virtuel à travers son avatar immatériel. Un univers de tous les possibles, où l’on peut enfin s’offrir les looks de ses rêves, qu’ils soient délirants et fantasmés ou de simples prolongements virtuels.

 

Versace, Puma, Palace… En décembre 2022, cette fois, c’est la ville fictive de Lakeshore dans le jeu Need for Speed Unbound, jeu de courses de voitures clandestines lancé en 1994, que les marques vont prendre d’assaut. On pourra y croiser Medusa, un personnage qui “incarne le glamour de la femme Versace” et surtout une collection exclusive composée de 10 pièces. Ces nouveaux partenaires de renom ont été sélectionnés par Toni-Blaze Ibekwe, qui supervise les partenariats avec les marques de mode présentes dans le jeu. “Dans Need for Speed Unbound, les joueurs et les joueuses peuvent recréer leur propre style et représenter leur propre personnalité, explique-t-elle. Nous brouillons les frontières entre contenu du monde réel et contenu numérique. J’espère que les fans oseront exprimer leur créativité et reproduire leurs choix dans la vie réelle.” Une vision qui fait directement écho aux partenariat entre Louis Vuitton et Riot Games en 2019, lors des championnats du monde de League of Legends, matérialisé à travers des nouveaux skins (customisations de personnages), mais aussi une collection capsule créée par Nicolas Ghesquière en personne, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton. L’éditeur avait même monté de toutes pièces un groupe de musique virtuel, True Damage, dont le look hip-hop streetwear futuriste était entièrement pensé par la marque de luxe française.

Les personnages fictifs du jeu vidéo “Need for Speed Unbound” en collaboration avec Puma, Palace ou encore Versace. Disponible le 2 décembre.

3. La mode du futur est-elle entièrement virtuelle?

 

Le jeu vidéo est-il vraiment sur le point de fusionner avec le monde réel ? Dès 1992, un auteur sème le trouble. Dans son roman cyberpunk Snow Crash [Le Samouraï virtuel], Neal Stephenson met en scène une Amérique dystopique régie par la mafia et les sectes religieuses. Les plans stratégiques d’un magnat des médias sont contrariés par un hacker maîtrisant le “Métavers”, une sorte de vie alternative virtuelle. Des années plus tard, c’est un certain Mark Zuckerberg, PDG de Meta [Facebook] qui insiste pour propulser la population dans un Metaverse futuriste : nous pourrions nous-mêmes nous dématérialiser en prenant la forme d’un avatar et nous projeter, quand bon nous semble, dans un environnement virtuel 3D. Les interactions sociales, professionnelles, et autres y seraient sans limites. Un reflet de notre réalité où chacun pourrait alors s’offrir un vêtement ou un accessoire de luxe digital, pour quelques dollars, et satisfaire son besoin de reconnaissance via son avatar. Potentiel qui n’a évidemment pas échappé aux maisons de mode – entre autres – qui s’insinuent dans le quotidien des jeunes générations biberonnées aux mondes virtuels et à la représentation digitale de soi-même. L’industrie du luxe, dont le socle de valeurs se fonde sur l’artisanat et l’émotion procurée par un objet tangible, propose désormais d’acquérir des vêtements que l’on ne portera pas. Des créations statutaires uniquement destinées à des skins de jeu vidéo, des projections de soi dans le monde digital.

 

En réalité, la mode n’a pas eu besoin des jeux vidéo pour devenir virtuelle. Arte diffusait en décembre 2020 et janvier 2021 via ses programmes Twist et Tracks deux sujets insolites sur une mode d’un nouveau genre appelée cyber fashion, destinée non plus à des avatars digitaux mais à des personnes bien réelles ! Celle-ci ouvre de nombreuses perspectives. D’abord, par l’aspect expérimental de ces créations fantaisistes, insolites ou extraordinaires, qui pourront par exemple être constituées de feu ou d’eau. Mais aussi par leur caractère écoresponsable. Metaverse ou pas, l’heure est au vestiaire virtuel, aux vêtements téléchargeables stockés dans le cloud que l’on sortirait pour un rendez-vous digital ou une quête médiévale dans un jeu vidéo…