Le jeune créateur Raul Lopez raconte son ascension, de Hood by Air à son label Luar
Créateur de mode finaliste du prix LVMH 2023, Raul Lopez, fondateur de Luar, affiche un parcours extraordinaire, qui débute en 2006 à New York quand il cofonde avec Shayne Oliver le label Hood by Air. Pour Numéro, le designer américain d’origine dominicaine revient sur son histoire, de son enfance à Brooklyn à ses débuts dans l’industrie et à sa récente reconnaissance.
par Léa Zetlaoui.
Raul Lopez, de Hood by Air à Luar
Le lundi 1er 2023, sous les crépitements incessants des flashs des photographes, une foule prestigieuse de stars de la mode, de la musique et du cinéma montait les marches du prestigieux Metropolitan Museum of Art pour assister à l’incontournable Met Gala, qui inaugure l’exposition annuelle de mode du musée new-yorkais, dédiée cette année au couturier Karl Lagerfeld, directeur artistique des maisons Chanel et Fendi disparu en 2019.
Ce soir-là, la maison Balenciaga s’est distinguée en conviant à sa table non pas des célébrités (comme ce fut le cas en 2021 avec Rihanna et Kim Kardashian), mais quatre designers émergents et leur muse. Parmi eux, Raul Lopez, fondateur de Luar, accompagné de la top model Paloma Elsesser, vêtue d’une robe en satin bleu nuit dont les épaules sculpturales ornées de cristaux Swarovski sont un hommage à une robe Chanel haute couture automne-hiver 1999.
En réalité, qualifier Raul Lopez de « créateur émergent” serait une erreur. Si jusqu’à récemment, il restait plutôt discret quant à ses débuts, on sait désormais qu’il a cofondé en 2006 avec Shayne Oliver un des labels les plus disruptifs de ces 20 dernières années, Hood By Air. Cinq ans plus tard, il quitte l’aventure Hood By Air pour lancer en 2011 sa propre marque de mode, Luar (une anagramme de son prénom), célébrant autant le glamour hérité de ses racines dominicaines, qu’un style streetwear puisé dans le New York des années 80 et 90 et une théâtralité chère à la haute couture française.
Il faudra attendre dix ans pour que Raul Lopez accomplisse enfin sa mue. Le 11 septembre 2021, alors qu’il fait son retour à la Fashion Week de New York après un hiatus de deux ans, le designer américain présente un défilé Luar printemps-été 2022 salué à l’unanimité par le public. Il faut dire que cette collection ne pourrait mieux incarner ce que l’on attend de la mode contemporaine : des silhouettes genderfluid qui fusionnent à la perfection streetwear et glamour, tailoring sexy et coupes exagérées (en particulier des épaules surdimensionnées et des longueurs extrêmes), le tout rehaussé de détails couture ou ludique. Les défilés Luar printemps-été 2023 et automne-hiver 2023-2024 le confirmeront durant l’année suivante, Raul Lopez semble avoir enfin trouvé la formule magique pour s’imposer comme un immense créateur de mode.
Et alors que rien ne semble arrêter son ascension, Raul Lopez accède enfin à la reconnaissance de l’industrie en novembre 2022 lors de la cérémonie des CFDA. Face à Stuart Vevers de Coach et Telfar Clemenss dont le sac Telfar est un succès fracassant, le sac Ana de Luar (déjà adopté par Dua Lipa et Charli XCX) lui permet de décrocher le prix American Accessory Designer of the Year. Quelques semaines plus tard, en février 2023, le prix LVMH annonçait Luar parmi les 22 demi-finalistes de son édition 2023. En mars, Raul Lopez est l’un des neufs créateurs de mode retenus pour la finale, qui aura lieu le 7 juin 2023 à la Fondation Louis Vuitton. Pour Numéro, le designer revient sur son histoire extraordinaire, de son enfance à Brooklyn à ses débuts dans l’industrie de la mode et à sa récente reconnaissance.
Interview de Raul Lopez, finaliste de Prix LVMH 2023
Quel est votre premier souvenir mode ?
Je me rappelle de ma mère et ma grand-mère qui travaillaient toutes les deux dans l’industrie textile en tant que couturières, quand elles nous confectionnaient des vêtements à la maison. Voir ces morceaux de tissus, devenir des habits que nous portions enfants. J’étais conscient que l’argent ne coulait pas à flot, mais nous avions de l’allure.
Vous êtes américain d’origine dominicaine, où avez-vous grandi ?
Oui, j’ai grandi dans une famille d’origine dominicaine à Williamsburg, Brooklyn. Ma communauté [dominicaire, ndlr] garde un lien très fort avec sa culture et ses racines. Quand j’étais jeune, chaque année, je passais trois mois en République Dominicaine, ce qui a beaucoup influencé ma vision de la mode aujourd’hui.
Quels créateurs de mode vous ont inspiré ?
Le premier défilé de mode que j’ai vu dans ma vie était un show de Christian Lacroix. Il m’a vraiment ébloui. C’est après ça que je me suis dit ‘C’est fou, c’est ce que je veux faire’.
C’est l’aspect théâtrale des défilés de Christian Lacroix qui vous a plu ?
Oui, ce sens du dramatique et du spectacle. J’ai l’impression qu’à l’époque les shows étaient davantage un moyen de raconter des histoires. Et c’est ce que je veux faire aujourd’hui. J’ai une vision très old school de la mode quand il s’agit de concevoir mes collections et mes défilés, car tout doit fonctionner ensemble pour raconter une même histoire afin d’immerger le public dans un univers.
Les débuts de Raul Lopez avec Hood by Air
Comment avez-vous débuté votre carrière de créateur de mode ?
Avant Hood By Air, je créais des vêtements pour moi et pour des amis. Je n’ai pas pu étudier dans une école de mode, donc j’ai tout appris par moi-même, à la maison, grâce à des livres de mode et avec les machines à coudre de ma mère. Concevoir mes propres vêtements était aussi un moyen de me démarquer. Et ils plaisaient aux gens que je fréquentais puisque beaucoup d’entre eux voulaient les acheter. À l’époque, je faisais partie de la scène ballroom de New York et je trainais sur Christopher Street, un quartier du West Village où tous les gays et les queers se retrouvaient.
C’est à cette époque que vous avez rencontré Shayne Oliver ?
Oui ! Shayne et moi sommes devenus amis parce que nous avions tous les deux des looks bizarres. Un an ou deux après notre rencontre, nous avons commencer à fabriquer nos premiers t-shirts, chez moi à même le sol, puis nous allions dans un magasin de skate à Chinatown pour les vendre. Un peu après nous avons imaginé des hoodies complètement dingues, qui ont plu à Seven New York, une petite boutique de mode super cool située à Soho, qui nous a commandé une collection complète.
Quel âge aviez-vous?
Nous avions 18 ans. Certes, nous avons commencé très tôt, mais bous étions sûrs de ce que nous voulions faire.
À l’époque de Hood By Air, Shayne Oliver était le seul à représenter la marque et faire des interviews. Pourquoi ?
Parce que je suis timide et je préfère être dans les coulisses, car j’ai toujours eu peur que ma langue ne fourche. Shayne était beaucoup plus talentueux pour s’exprimer. Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver au point d’accepter de faire des interviews comme celle-ci.
Luar, une marque de mode américaine entre streetwear et couture
Pourquoi avoir choisi d’appeler votre marque Luar et non pas utiliser votre nom complet ?
J’ai tout de suite envisagé ma marque comme le reflet de ma propre vie, c’était donc naturel d’inverser mon prénom. À mes débuts, c’était aussi une façon de tromper les gens. Je ne voulais pas que l’on sache immédiatement que j’étais un créateur d’origine latino.
Aviez-vous des appréhensions quant à la perception que l’industrie de la mode et les clients pourraient avoir de votre marque à cause de vos origines ?
D’une certaine façon oui, mais pas seulement. Je voulais que la marque soit reconnue avant que je ne le sois moi-même. Luar est profondément lié à mes racines new-yorkaises et dominicaines, et c’était en quelques sortes le problème car je ne voulais pas que ma personnalité imprègne l’image que l’on pourrait en avoir.
Selon moi, avec Hood By Air, Shayne et vous aviez déjà contribué à changer les mentalités et rendre plus visible les communautés LGBT et POC.
Mais nous n’avons jamais bénéficié d’aucune forme de reconnaissance. Comme si l’industrie de la mode refusait d’admettre à quel point nous avons contribué à repousser ses limites. Encore aujourd’hui, il m’arrive de m’énerver quand l’industrie, les entreprises américaines et même le monde, entier utilisent toutes sortes de termes tels que “communauté“, “queer“ ou “POC“ ou n’importe quels nouveaux mots, pour simplement décrire ce que nous sommes. Ils ne comprennent pas depuis combien de temps nous cultivons ce changement. Par exemple, le streetcasting, qui est à la mode aujourd’hui, mais ne l’était pas à l’époque de nos shows Hood By Air. Nous trouvions nos mannequins dans la rue, les restaurants ou les “cités” et peu importe qu’ils soient dealers de drogues ou prostitués, pour nous ils étaient tous beaux et nous voulions qu’ils fassent partie de nos défilés.
D’ailleurs Hood by Air dégageait cette énergie très pure et brute ,alors que chez Luar, on ressent une atmosphère davantage couture et théâtrale.
Oui, je suis tout à fait d’accord ! Je me souviens qu’un jour, Shayne et moi étions assis dans un bar et il m’a dit « tu es latino, tu dois être le nouveau John Galliano et tu dois faire des robes parce que tu aimes les femmes, tu as grandi avec des filles et tu as besoin de le faire’. Tous mes amis savent que je suis une reine des accessoires. J’aime les sacs, j’aime les lunettes, j’aime la panoplie complète, mais je craignais d’être catégorisé. Jusqu’au jour où j’ai finalement été honnête avec à moi-même.
Quand avez-vous compris qu’être fidèle à vous-même était la clé du succès ?
Quand j’ai fait une pause [entre 2019 et 2021, ndldr.] au cours de laquelle j’ai vraiment réfléchi à ce que j’avais accompli jusque-là, et à comment construire cette marque. J’ai finalement réalisé ce qu’il manquait à Luar, à savoir les accessoires. Et d’un coup, je me suis rappelé tout ce que Shayne m’avait dit. Quand j’ai enfin été capable de réfléchir aux choses, et pas seulement y penser, j’ai commencé à travailler sur mon premier sac.
Le sac Ana de Luar, succès d’un it-bag
Justement, votre sac est un énorme succès. Vous avez même remporté le prix American Accessory Designer of the Year au CFDA 2022
Ouais, c’est quelque chose. C’est même fou, car la compétition était rude.
Comment avez-vous conçu ce sac Ana?
J’avais en tête toutes ces femmes qui m’ont ouvert des portes et aidé à suivre mon chemin. Évidemment, je les ai toujours appréciées, ainsi que tout qu’elles m’ont enseigné, mais je ne leur rendais pas vraiment hommage. Comment donner à ma grand-mère, à ma mère, à mes tantes et toutes ces femmes qui travaillent dans ces usines, quelque chose qu’elles chériront de la même façon que je les chéris ? Un accessoire que tout le monde pourrait porter, apprécier et qui donne fière allure ? Pour la poignée je me suis inspirée du style mod des années 50 et 60, tandis que sa forme façon attaché-case des années 80 et 90 est un hommage à ma mère.
Concevoir un sac identifiable immédiatement grâce son design, sans avoir besoin d’un logo, est un véritable exploit.
Oui c’est vrai Je savais que je devais créer un sac iconique que tout le monde reconnaîtrait, et en même temps qui rehausserait un look et inciterait les gens à vous complimenter. Et aussi, comme j’adore porter des sacs vintage, j’étais d’autant plus motivé par l’idée de créer le mien, destiné à être porté pendant des années. De la même façon que tout le monde connaît les sacs Speedy de Louis Vuitton et Saddle de Dior.
Et c’est ainsi que naquit le sac Luar.
Voilà. Et durant cette pause de quelques mois, j’ai étudié ce que font les grandes maisons de mode et comment elles le font, afin de pouvoir l’implémenter sur ma propre marque. Et tout est vraiment une question de détails Par exemple, les pièces sportswear de ma collection automne-hiver 2023, peuvent aussi bien être portées par une riche femme en week-end à Aspen, qu’une fille qui traine dans le quartier.
Selon moi, les jeunes créateurs américains se lancent avec des designs et des prix accessibles. Alors qu’en France, ils s’alignent sur ceux des maisons de luxe. On achète votre sac, ou celui de Telfar, parce qu’ils affichent un prix inférieurs à 300 $.
Quand j’ai conçu ce sac, j’avais en tête qu’il soit beau, bien fait et accessible. Il n’a aucun défaut et même s’il n’est pas vraiment accessible à tout le monde, il l’est toujours plus qu’un sac à 1 600 $ avec construction identique. Et c’est ce prix qui encourage davantage de gens à l’acheter et à rejoindre la communauté Luar.
Oui car à prix égal, les clients choisiront toujours la pièce signée d’un grand nom. Donc, en tant que jeune marque mieux vaut être plus abordable pour fédérer rapidement.
Oui exactement. Mon directeur artistique est français et a une formation très classique, acquise auprès de grandes maisons parisiennes. Il me répétait souvent que le prix du sac devait être plus élevé, jusqu’au jour où il a compris que si le sac fonctionnait, c’est justement parce que beaucoup de gens pouvaient se l’offrir. J’aurais aimé plus jeune qu’il existe un sac comme celui-ci, qui a du style et sur lequel tout le monde dirait ‘oh, c’est un sac de créateur, dessiné par un designer absolument génial ’ ce que je suis évidemment.
Bien sûr que vous êtes génial !
Aussi, je vais vous raconter une histoire qui montre la beauté et l’ampleur de Luar aujourd’hui. J’avais rendez-vous à l’hôtel Costes à Paris, où j’ai vu cette Française, tirée à quatre épingles, qui avait au bras un magnifique sac Birkin d’Hermès, mais aussi un sac Luar en bandoulière. Je me suis dit qu’elle ne devait même savoir que c’était moi, Raul Lopez, qui avais dessiné ce sac.
Elle a tout simplement acheté votre sac parce qu’il lui plaisait.
Exactement, juste parce que c’était un joli sac et qu’elle l’aimait bien.
La finale du Prix LVMH 2023 se tiendra le 7 juin prochain à la Fondation Louis Vuitton.