Le fondateur du label Encré défend son nouvel EP : “Si le monde de la mode est un enfer celui de la musique est encore pire”
Fondateur du label de mode Encré, Charlie Faron se rêve en star de la pop qui ferait le tour de la France dans une vieille Renault Kangoo. À 25 ans, le Lyonnais présente son second EP de six titres, Super Positions, et y parle d’amour, d’angoisses et de violences…
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Depuis son plus jeune âge, Charlie Faron compose la musique qu’il n’entend pas ailleurs. Celle qui comble un manque. Et s’il a toujours eu beaucoup de mal avec l’extravagance, il s’abandonne enfin à toutes les fantaisies dans ses morceaux de pop “parfois un peu funk”, entre Lomepal et le mystérieux chanteur Moussa. Passé par un quartier tranquille du New Jersey – ersatz du Wisteria Lane de la série Desperate Housewives –, c’est bel et bien en français qu’il évoque tour à tour l’amour, la violence, l’angoisse et les problèmes d’érection. Des morceaux aussi épurés que les broderies insolentes d’Encré, le label de mode qu’il a fondé en 2017. Il a longtemps cherché un hoodie noir avec une inscription dans le dos… Le Lyonnais ne s’en cache pas : il adore les interviews. C’est donc en toute confiance qu’il s’adresse à Numéro, à quelques semaines de la sortie de son second EP, Super Positions, disponible le 21 avril. Rencontre.
Numéro: Avec Encré, vous proposez des pièces minimalistes brodées d’illustrations insolentes parfois inspirées du tracé d’un tatoueur. Pourquoi cette marque est-elle nécessaire ?
Charlie Faron: Malheureusement, je ne pense pas qu’elle le soit. En 2023, nous n’avons pas besoin de produire davantage. En revanche, je crois sincèrement qu’elle propose quelque chose de nouveau qui crée du lien social et décomplexe les gens. Je me contente de faire de l’art… sur des vêtements. Des propositions minimalistes comme vous dites. Et j’ai toujours essayé d’être le plus clean possible car je déteste la fast fashion. Le public d’Encré est relativement jeune et j’ai toujours conservé la même ligne directrice. Avec le temps, je crois avoir de moins en moins envie d’écrire des phrases grivoises sur des hoodies. Mais apparemment c’est ce qui plaît. Comme un bon morceau de pop. Et je suis plutôt d’avis de donner aux gens ce qu’ils veulent.
“On m’a toujours dit que le milieu de la mode était un véritable enfer… c’est parce que les gens ne connaissent pas celui de la musique. Il est vingt fois pire ! Ce n’est que malveillance et coups bas à longueur de journée.”
Seriez-vous capable de faire un choix entre votre label de mode et votre activité de musicien ?
Je suis persuadé que les deux peuvent coexister. Mais si je ne devais garder qu’une seule chose… ce serait la musique. Cela reste évidemment entre nous, ne le dite surtout pas à mes investisseurs ! [Rires]
90% des artistes que j’interroge sont en dépression ou en burn-out. Le monde impitoyable de la musique vous a-t-il détruit vous aussi ?
Disons que j’ai connu davantage de désillusions que de moments de réussite. Mettez-vous à ma place : vous préparez un EP pendant un an, vous le faites produire par un expert… et paf ! Ça ne marche pas. Vous cravachez et démarchez les labels depuis plus d’un an, personne ne veut de vous. Et vous avez tout financé vous-même ! Vous prenez une grande claque. Vous avez perdu 15 000 balles. Il faut vraiment être un peu masochiste pour produire un second disque… Moi, je n’avais plus l’argent nécessaire mais je me suis démerdé pour trouver la somme. J’avais peur, j’ai encore peur d’ailleurs. Mais il y a toujours eu cette petite voix dans ma tête qui chuchotait : “Tu l’auras un jour ce disque d’or…”
Quelle critique vous a le plus dévasté ?
“Votre musique manque de personnalité”. Une phrase prononcée par certains labels. Ils ont parfaitement le droit de le penser. Mais c’est difficile à entendre. Cela m’a vraiment affecté. J’ai mis tout ce que j’avais dans ce disque mais j’ai toujours eu du mal à trouver le juste milieu entre le tube pop et ce que j’aime réellement. En musique, on ne voit pas tout ce qui se passe en coulisses. Le public ne retient que la scène, la promotion et le succès. On m’a toujours dit que le milieu de la mode était un véritable enfer… c’est parce que les gens ne connaissent pas celui de la musique. Il est vingt fois pire ! Ce n’est que malveillance et coups bas à longueur de journée.
Les plateformes ont rangé votre précédent EP, Pensées, dans la catégorie “variété française”. Étiez-vous surpris ?
Au début, j’admets avoir eu un peu de mal à comprendre… Selon moi, ce disque était plutôt pop voire un peu funk. D’autant que j’ai horreur de la variété française: elle ne me touche pas du tout. Je la respecte ! Mais j’ai vraiment du mal à en écouter. Si je devais vraiment choisir un artiste dont je suis fan, il n’aurait rien à voir avec la musique que je compose aujourd’hui. Ce serait plutôt le groupe Bon Iver ou le chanteur britannique Ben Howard. Je pourrais écouter son titre Esmeralda pendant des heures.
J’ai l’impression que les relations amoureuses et sexuelles constituent une part importante de votre processus créatif.
C’était le cas pendant un long moment, mais ce nouvel EP abandonne ces sujets. Mon premier disque en parlait de façon assez crue mais, lorsque je le réécoute, je me demande pourquoi j’exprime quelque chose qui a déjà été dit 1000 fois. Puis ma vie personnelle, je crois aussi que les gens s’en foutent un peu. [Rires] Dans ce nouvel EP, je parle de violences conjugales, de problèmes érectiles et de crises d’angoisse. Des sujets dont on ne parle pas assez à mon goût. La musique m’a permis de me créer ma propre bulle, pas forcément de franchir tous les obstacles.
Votre casquette d’entrepreneur ne dévore-t-elle pas votre statut d’artiste ?
C’est exactement ce qu’il se passe lorsque je discute avec mes partenaires. Car je suis l’artiste… mais c’est aussi moi qui paye. Si le risque financier n’existait pas, je partirai sans doute beaucoup plus loin. Initialement, la pochette de l’EP devait être un gros plan de mon propre téton. L’idée à fait débat au sein de l’équipe. Apparemment cela représentait un véritable danger pour la mise en ligne sur les plateformes de streaming qui auraient pu la censurer. Je crois que j’en épuise beaucoup en répétant à longueur de journée : “Alors, on en est où ? On en est où ? On en est où ?”. Certains on l’habitude de travailler avec des artistes qui n’en ont rien à foutre et suive simplement les indications. Ce n’est pas mon cas.
Super Positions de Charlie Faron, disponible le 21 avril.