La nouvelle Nike Blazer par l’artiste Garance Vallée
Afin d'honorer l'héritage de son modèle iconique, la Blazer, Nike a fait appel à plusieurs créatrices et artistes d'Europe pour le réinterpréter. Numéro a rencontré l'une d'entre elles : l'artiste et architecte française Garance Vallée.
Propos recueillis par Matthieu Jacquet.
En 1973, deux ans à peine après sa création, le label Nike invente et commercialise un modèle qui changera l’histoire de la basket : la Blazer. Lacets blancs, semelle en gomme, logo Nike en grand sur le flanc, cette chaussure montante devient l’une des premières à être pensée spécialement pour les joueurs de basketball, mais aussi la première chaussure Nike à être dessinée pour les femmes. Désormais iconique, son style épuré et intemporel a donné lieu à bon nombre de réinterprétations par le label au fil des décennies. Dans le cadre de son programme de personnalisation “Nike by You”, le label américain a invité en ce début 2020 plusieurs femmes artistes et créatrices européennes à proposer leur propre version de la Blazer qui sera commercialisée début février. En France, c’est la jeune artiste et architecte Garance Vallée qui s’est attelée à cet exercice, choisissant de jouer sur les nuances de matières plutôt que les couleurs. Pour Numéro, elle revient sur son processus et sa pratique artistique.
Numéro : Nike a fait appel à vous parmi plusieurs artistes femmes du monde entier pour repenser le design de sa chaussure Blazer à travers un programme exclusif. L’histoire de la Blazer, l’une des premières chaussures de basketball jamais créées, vous a-t-elle inspirée particulièrement ?
Garance Vallée : D’abord, j’ai une affinité très personnelle avec Nike, dont je porte les chaussures depuis longtemps. J’ai donc été très motivée par le fait qu’ils me donnent carte blanche pour faire naître une idée, qui s’inscrira ensuite dans l’histoire très riche du label. La Blazer est une paire très consensuelle, qui est partie du vestiaire assez spécifique du basketball pour être ensuite adoptée par tous. C’est une chaussure qui efface les genres, les catégories et les écarts entre les personnes. Tout le monde peut se reconnaître dans sa simplicité. Elle n’a pas besoin de beaucoup d’artifices pour séduire, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a donné lieu à tant de collaborations intéressantes.
Qu’avez-vous imaginé pour votre propre interprétation de ce modèle phare du label ?
Mon but était d’aller à l’essentiel et de rester très humble, à l’image du modèle. J’ai voulu sortir de l’association systématique de la customisation à la couleur : je suis donc partie de l’idée d’une chaussure blanche laissée blanche qui jouerait plutôt sur les matières. Ma paire est donc totalement immaculée avec des variations d’aspect. J’ai choisi une base de cuir blanc mat et lisse, robuste pour qu’elle tienne dans le temps, une souche en tissu, une languette en nylon brillant, un logo Nike en tissé coton et une semelle en gomme. Le modèle est donc assez naturel et subtil dans l’ensemble, et ses reliefs se manifestent dans le détail et au toucher. Bien qu’elle soit presque intégralement blanche, la paire fait donc vibrer le regard !
“Je ne pense pas qu’il y ait un médium unique pour exprimer ce que l’on imagine.”
Vous avez grandi à Paris avec votre père Kriki, artiste peintre connu pour être l’un des précurseurs de l’art urbain en France encore associé au mouvement de la figuration libre. Comment ce contexte a-t-il accompagné votre découverte du monde de l’art ?
J’ai grandi dans l’appartement-atelier de mon père avec ma mère, une amoureuse des lettres. Mes parents m’emmenaient courir les expos, me parlaient de culture… Chez moi, la parole était toujours ouverte. Enfant, j’ai fait beaucoup de danse et très vite la place du corps est devenue omniprésente pour moi : comment les corps se déplacent, se frottent, entrent en contact avec l’espace et interagissent. J’ai été très marquée par les chorégraphies de Trisha Brown, Lucinda Childs et Merce Cunningham, mais aussi par les artistes de performance qui mettaient les corps en scène telles que Marina Abramović. Cela m’a donné envie d’imaginer la scénographie de ballets ou de musées. L’architecture est donc venue à moi par le corps.
“Je me situe à la frontière de la sculpture et de l’objet fonctionnel, et je souhaite maintenir cette ambivalence.”
Votre pratique pluridisciplinaire investit l’architecture, mais aussi le design, le dessin et la peinture. Comment ces différents modes d’expression se complètent-ils à vos yeux ?
Je ne pense pas qu’il y ait un médium unique pour exprimer ce que l’on imagine. J’ai toujours dessiné et peint derrière le dos de mon père dans son atelier. Aujourd’hui, mes dessins sont presque des croquis d’architecte, dans lesquels la peinture intervient ensuite pour donner ces effets de couleur et de texture qui trompent l’œil. Je pense toujours ce que j’esquisse comme une probable installation, c’est pourquoi l’objet en volume m’est ensuite venu, par le biais de la maquette. Ce qui est omniprésent, voire viscéral, c’est mon rapport à la matière. Lorsque j'ai terminé mes études d’architecture, j’avais besoin de travailler la petite échelle, avec mes mains : le geste était essentiel. Mes premiers objets ont été réalisés en béton, mais l’idée de sublimer un matériau pauvre comme le carton ou le papier pour en faire un matériau noble m’a aussi beaucoup intéressée. En réalité, je ne me concentre pas tant sur l’objet fini que sur son processus de création et l’impact qu’il a sur mon corps – le fait d’avoir mal au dos et les mains qui saignent pendant une semaine, par exemple. C’est pourquoi je me situe à la frontière de la sculpture et de l’objet fonctionnel, et je souhaite maintenir cette ambivalence.
Aviez-vous déjà imaginé des pièces pour le corps, des vêtements ou accessoires auparavant?
Il y a quelques années, j’ai conçu plusieurs modèles de boucles d’oreilles avec la créatrice Juliette Laloë. C’était un exercice très intéressant qui m’a permis de penser des sculptures à échelle miniature : j’aimais beaucoup travailler sur la fragilité du bijou, son côté précieux et féminin, et reproduire cette légèreté dans les objets que je réalise. Plus récemment, j’ai imaginé la scénographie d’un défilé du label Vivetta à Milan dans laquelle tous les questionnements de ma pratique se sont retrouvés. Mon idée était d’influencer les mouvements du corps, j’y ai donc construit des éléments d’architecture entre ruines et décor, tels que des arches à travers lesquelles les mannequins passaient. Pour autant, je n’ai jamais créé de vêtements. Mon mari Franck Pellegrino, qui est artiste et designer graphique, travaille beaucoup le tissu en ce moment. Étant donné que nous partageons le même atelier, j’espère que cela sera ma porte d’entrée dans ce support d’expression !
La Nike Blazer By Garance sera disponible dans les prochains jours via le programme Nike By You sur nike.com avec la possibilité de modifier les détails afin de créer à son tour sa propre vision de la Nike Blazer.