Jean Paul Gaultier en 5 collections cultes
Fin janvier, le couturier Jean Paul Gaultier annonçait par un ultime défilé spectaculaire le clap de fin de sa carrière au sein de sa propre maison après cinquante années d’activité. Retour sur le génie de celui qui fut baptisé l’“enfant terrible de la mode” en cinq de ses collections iconiques.
Par Matthieu Jacquet.
Corset conique, marinière, jupe pour homme, combinaison moulante à imprimé optique ou encore robes de mariées déjantées… Autant de pièces phares pour l’histoire de la mode que l’on ne doit qu’à un seul homme : Jean Paul Gaultier. En 50 ans de carrière, cet immense couturier a laissé une empreinte indélébile sur la mode par son esprit rebelle et provocateur, son humour et son inventivité doublés d’une technique remarquable. Fasciné tantôt par la culture populaire, Paris, les stars du cinéma ou de la musique, tantôt par les cultures underground, de la rue ou du monde entier, cet “enfant terrible de la mode”, comme on aimait à le surnommer, a toujours su en nourrir ses collections et faire de ses défilés des rendez-vous uniques qui constituaient toujours un spectacle.
Mercredi dernier, Jean Paul Gaultier faisait ses adieux à la haute couture par un ultime défilé au théâtre du Châtelet, comme une apothéose de son illustre carrière balayant en près de 180 tenues et bon nombre de ses égéries l’histoire de sa maison dans une ambiance festive. L’occasion de revenir en cinq collections phares sur le travail d’un créateur pour qui le freak fut toujours chic.
1. Le Dadaïsme, collection Jean Paul Gaultier prêt-à-porter printemps-été 1983
Tandis que Jean Paul Gaultier a lancé son propre label depuis sept ans déjà, l’année 1983 marque un tournant dans sa carrière. C’est en effet l’année où s’impose l’une de ses créations phares : la robe corset. C’est en voyant sa grande amie, modèle et assistante styliste Frédérique Lorca – qu’il surnomme “Frédo” – porter un corset sous sa veste Chanel qu’un souvenir revient à Jean Paul Gaultier, celui des corsets que portait sa grand-mère. Le créateur a alors l’idée de la collection Le Dadaïsme, intégralement imaginée à partir d’un corset rose pâle qui devient la structure de base de ses robes, désormais placée au premier plan et totalement apparente. Dans ces pièces hybrides apparaissent un autre élément surprenant : le soutien-gorge conique, une signature du créateur qui deviendra identifiable dans le monde entier lorsqu’il réalisera de nouvelles versions de ces corsets pour la chanteuse Madonna, à l’occasion de sa tournée Blond Ambition Tour en 1990.
2. Les Tatouages, collection Jean Paul Gaultier prêt-à-porter printemps-été 1994
“Depuis toujours, la rue est ma source d’inspiration” : dès ses débuts, Jean Paul Gaultier cherche hors du monde glamour de la mode les beautés atypiques et les corps hors normes. Particulièrement marqué par les salons de tatouage mais aussi par les performances d’artistes du body art tels que Ron Athey, le créateur se tourne vers les cultures où les modifications corporelles sont des rituels à part entière. Ainsi, sa collection Les Tatouages présente de nombreux ensembles moulants couverts de motifs colorés aux formes tribales. De couleur chair et parfois transparents, ceux-ci créent la confusion entre le corps et le vêtement tandis que les mannequins sont parés de bijoux indiens de nez (dits “nath”) ou de tête (dits “maang-tikka”) et de superpositions de colliers. Reflet de son esprit rebelle, le défilé mixte du créateur compte notamment l’actrice espagnole Rossy de Palma, l’une de ses grandes muses, ainsi que plusieurs hommes en jupe – une idée transgressive initiée lors de sa collection Et Dieu créa l’homme en 1985.
3. La première collection Jean Paul Gaultier haute couture, printemps-été 1997
En 1995, Jean Paul Gaultier crée l’étonnement en proposant lors de la saison du prêt-à-porter masculin L’Homme moderne, une collection haute couture réservée aux hommes. Deux ans plus tard, le créateur est enfin invité à présenter sa première collection dans le calendrier prestigieux de la haute couture, un domaine et une appellation jusqu’alors essentiellement réservés aux femmes. L’occasion est idéale pour le couturier : parmi les 72 silhouettes de sa collection printemps-été 1997, celui-ci glisse ça et là des silhouettes masculines. Ainsi, un ample costume rayé noir et blanc est aussi bien porté par une femme que par le mannequin Tanel Bedrossiantz, qui défilera ensuite pour le créateur à de nombreuses reprises. Faisant la part belle au tailoring, cette collection témoigne également de la maîtrise du flou et du drapé de Jean Paul Gaultier tandis que son inventivité culmine avec la création d’un costume noir pourvu d’une parure en plumes multicolore. “Les hommes, autant que les femmes, peuvent désirer des créations de haute couture, avoir eux aussi envie de vêtements luxueux faits main”, déclare le couturier, qui par ses débuts fracassants dans la haute couture répond indéniablement à ces désirs.
4. Morphing, collection Jean Paul Gaultier haute couture automne-hiver 2003-2004
Tout comme son contemporain Thierry Mugler, Jean Paul Gaultier s’illustre avec brio dans l’art de mettre les dessous dessus, faisant entrer le vêtement en véritable fusion avec le corps pour ne former qu’un ensemble inséparable. “Il y a pour moi un lien intime entre l’identité du vêtement et celle du corps qui le porte”, confiait-il en 2016, à l’occasion de sa rétrospective au musée des beaux-arts de Montréal. Cette affirmation ne saurait trouver meilleur exemple que dans la collection Morphing, où les créations du couturier épousent la silhouette au point de devenir une seconde peau, de la semelle de la chaussure au bout des doigts et au sommet du chapeau. Encagoulées et enveloppées dans leurs catsuits moulantes monochromes ou agrémentées de patchworks colorés, les silhouettes longilignes des mannequins se succèdent, peaufinées souvent par un élégant fume-cigarette qu’elles manipulent gracieusement. Les ensembles en dentelle de Chantilly, en velours et la combinaison chair brodée de sequins rouges qui dessinent les veines font partie des créations les plus mémorables du couturier.
5. Les Madones, collection haute couture printemps-été 2007
Depuis la fin du XXe siècle, la religion chrétienne fascine de nombreux créateurs de mode occidentaux qui s’amusent à reprendre ses codes et ses représentations pour les sublimer, les détourner, voire les subvertir. Ainsi, à l’instar d’un John Galliano, d’un Christian Lacroix ou du duo Dolce & Gabbana avant lui, Jean Paul Gaultier montre à son tour en 2007 sa passion pour les idoles, qu’il intègre volontiers à son univers excentrique et haut en couleur. Auréolées, les joues parfois décorées de quelques larmes sombres, les mannequins se succèdent portées par une aura céleste, tandis que l’on distingue parfois sur leurs robes des croix, des vitraux inspirés des cathédrales voire des représentations de la Vierge elle-même. Difficile de ne pas voir dans cette interprétation kitsch de la religion une référence à l’univers des artistes Pierre & Gilles, pour lesquels le couturier a lui-même posé. Parmi les modèles de cette collection, on retrouve la danseuse burlesque Dita von Teese – qui faisait aussi partie du casting de son ultime défilé mercredi dernier – avec laquelle le couturier fait une fois de plus un geste audacieux : en habillant cette star de l’effeuillage des symboles du sacré, Jean Paul Gaultier se joue ouvertement de la pudeur du puritanisme religieux dont il révère les icônes.