21 déc 2015

ILS ONT FAIT 2015: Donatella Versace et Anthony Vaccarello

Blondissime madone de la mode italienne, Donatella Versace, vice-présidente du groupe Versace, propose depuis 2009 à de jeunes créateurs prometteurs de réaliser des collections pour Versus. Après Christopher Kane et J.W. Anderson, le Belge Anthony Vaccarello a présenté son interprétation de cette ligne iconique. Numéro a rencontré le duo de choc à New York pour un entretien croisé.

 

Numéro : Donatella, vous suivez avec attention le travail d’Anthony depuis son diplôme de La Cambre. Qu’est-ce qui vous a immédiatement séduite ? Quels sont les points communs entre vos styles respectifs ?

Donatella Versace : J’ai été conquise par son talent dès son tout premier défilé. J’ai immédiatement pensé : “Mon Dieu! C’est tellement Versace!” Mais sa vision est très fraîche, très nouvelle. Ses lignes ont une précision clinique qui contrebalance la sensualité générale du vêtement. Ce que j’aime particulièrement chez lui, c’est que son style est très graphique. On peut comprendre la forme, la ligne, en un clin d’œil.

Anthony Vaccarello : Donatella et moi parlons tous les deux à une femme assumée et sensuelle. La mienne a simplement un côté plus français, plus nonchalant, que j’ai essayé de transposer chez Versus. À mes yeux, la femme Versace est une guerrière qui porte le vêtement comme une arme de séduction, alors que chez moi, la femme prend le dessus sur ce qu’elle porte, sa personnalité domine toujours. Ma collection pour Versus est une synthèse de l’héritage de cette ligne mythique et de mon travail sous mon propre nom. J’aime l’idée qu’une femme puisse mêler, sur une même silhouette, des pièces d’Anthony Vaccarello et de Versus.

 

Les supermodels des années 90, photographiées par Richard Avedon dans ses campagnes iconiques, ont joué un rôle important dans la construction du mythe de Versace. Les top models contemporains se reconnaissent dans vos collections, Anthony, au premier rang desquels Anja Rubik, qui est aussi votre amie.

Est-ce un point commun essentiel entre l’univers de Versus et le vôtre ?

Anthony Vaccarello : C’est un point commun essentiel, oui. Dans mes défilés, la fille qui porte le vêtement est cruciale, sa beauté doit être sublimée et non enterrée sous un déguisement. Le maquillage de mes shows est toujours très léger, la fille est prise pour être elle-même, tout est fait pour mettre en avant son énergie, sa personnalité.

 

Anthony, vos collections en nom propre déclinent principalement le noir et le blanc, et c’est aussi le cas de votre première collection Versus. Mais l’esprit pop de cette ligne a toujours été lié, entre autres, à l’usage de la couleur. Donatella, Anthony, comment avez-vous résolu ensemble cette équation?
Donatella Versace :
 Le fait qu’Anthony n’emploie jamais de couleurs, à l’exception parfois d’un rouge ardent et presque électrique, m’a toujours plu. Ce choix radical appuie le caractère graphique de son style. Nous avons donc décidé que la première collection Versus d’Anthony déclinerait uniquement le noir. On oublie souvent que la première collection Versus, en 1989, était presque entièrement noire. Je l’ai d’ailleurs montrée à Anthony, qui était fasciné de la découvrir.
Anthony Vaccarello : J’ai voulu commencer cette collection comme une page blanche, concentrée sur la ligne, et Donatella m’a octroyé une totale liberté créative. Cependant j’ai proposé un imprimé, car cela me semblait incontournable. Il est inspiré d’un imprimé foulard que Gianni avait fait dans les années 90, mâtiné d’un esprit un peu BD, comme emprunté au fameux sitcom Sauvés par le gong, ce qui m’amène assez loin de mon territoire naturel [rires].

 

Pour la génération des trentenaires à laquelle vous appartenez, Versace représente un véritable fantasme. Nous avons grandi avec les photographies mythiques de Richard Avedon pour Versace, avec les stars habillées en Versace de pied en cap. Aviez-vous en tête toute la collection avant même de commencer à la dessiner ?
Anthony Vaccarello : 
J’appartiens à la génération MTV. Lors des MTV Awards, des Grammy Awards, les stars portaient du Versace, qu’il s’agisse de Madonna, d’Elton John ou de Prince. Ce sont les images que j’ai en tête lorsque je pense à cette maison. La musique pop était alors indéfectiblement liée à la mode. Ces images m’ont tellement imprégné qu’au moment de la signature du contrat, j’avais déjà 50 croquis prêts à être réalisés. J’avais besoin d’exorciser ce souvenir de la femme des années 90, dans les campagnes mythiques d’Avedon ou de Bruce Weber.
Donatella Versace : J’étais sciée, car la collection était déjà presque terminée après notre première rencontre! En juillet, tout était fini. C’était parfait, car le fait de vendre les pièces online dès la fin du show exige cette rapidité.
 

Avez-vous tout de même jeté un coup d’œil aux archives ?
Anthony Vaccarello :
 Oui, et c’était un vrai plaisir. J’ai découvert des pièces de Gianni que je ne connaissais pas. C’était très émouvant, car je décelais aussi des convergences entre son style et le mien.

 

Qu’apporte le fait de défiler à New York ?
Anthony Vaccarello :
 Paris correspond à la haute couture. La Fashion Week de Milan est commerciale. Versus a toujours défilé à New York. Cette ville incarne une fraîcheur, une jeunesse qui ne sont pas trop strictement codifiées. C’est cette Fashion Week qui correspond naturellement à Versus.

 

Donatella, pourquoi cette décision visionnaire de vendre la collection en ligne dès la fin du défilé ?
Donatella Versace :
 Pour être fidèle à son esprit originel, Versus doit aujourd’hui être lié au monde digital. Pouvoir se faire livrer la collection entière deux jours après qu’elle a défilé, c’est tout simplement essentiel, car il est absurde de devoir attendre. On a ainsi le sentiment de s’approprier une partie du défilé, quelque chose d’iconique, ce qui souligne le caractère festif de Versus.

Comment délimitez-vous les territoires respectifs de Versus et de Versace ?
Donatella Versace :
 Versus montre simplement un autre aspect de la femme Versace, qui peut être tour à tour bourgeoise, audacieuse, cool ou rock’n’roll. J’aime favoriser la rencontre de différentes énergies, d’où cette collaboration entre la chanteuse M.I.A. et Versus en 2013. M.I.A. est une star incroyable, si créative.

 

Qu’il s’agisse de Lady Gaga ou de Jennifer Lopez, les pop stars font aujourd’hui encore partie de la famille Versace. Avez-vous le sentiment d’être vous-même une icône pop ?
Donatella Versace :
 [Rire timide.] Je ne sais pas ce que je représente pour J. Lo ou Lady Gaga. J. Lo est adorable, une vraie personne et un vrai talent. Quant à Lady Gaga, elle m’intriguait énormément par l’intelligence avec laquelle elle a construit son univers. Elle m’a abordée en me disant que j’étais son icône. Pour l’habiller, je lui ai ouvert les archives de Gianni, car n’importe qui peut habiller une pop star de nos jours, il faut donc se montrer un peu plus audacieux. J’aime réellement travailler avec ces pop stars, je serais d’ailleurs incapable de faire quoi que ce soit pour des raisons de pur marketing.

 

Avez-vous pour le moins le sentiment d’incarner cet esprit festif que vous mentionnez souvent, qui a quelque peu disparu de la mode ?
Donatella Versace :
 La mode n’est plus une fête parce que les managers ne laissent plus de place à la créativité. Or, sans les créatifs, ils ne sont rien.