Le défilé Gucci Croisière 2023 : une flamboyante “Cosmogonie” dans les Pouilles
Ce lundi 16 mai, Alessandro Michele offrait avec la collection croisière Gucci un défilé spectaculaire au milieu des Pouilles, convoquant au sein d’un château du XIIIème siècle toutes les puissances cosmiques de l’univers. Un show d’une centaine de looks éblouissants, placé sous la bonne étoile des philosophes Hannah Arendt et Walter Benjamin.
par Thibaut Wychowanok.
Alessandro Michele avait donné le ton dès l’invitation. Le sésame pour le défilé croisière au Castel del Monte, impressionnant château du XIIIème situé au cœur des Pouilles, s’accompagnait d’un certificat d’adoption d’une des étoiles peuplant notre Univers. Chaque invité s’était ainsi vu donner son nom à l’une d’entre elles. L’évènement se voulait ainsi, plus qu’un défilé, un rassemblement stellaire de plusieurs centaines d’étoiles humaines. Une manière surtout pour le directeur de création de la maison italienne de rappeler que l’art est avant tout la réunion d’une constellation de références, d’influences et de beautés différentes que l’artiste, en alchimiste, peut – et doit – s’approprier sans peur des mélanges ni de sortir des catégories et des normes en vigueur. Un statement incarné par une collection flamboyante d’une centaine de looks où se sont entrechoqués des amazones médiévales, les références aux années 40, l’art optique, les motifs floraux ou encore les années 80… entre autres.
Le défilé était d’ailleurs placé sous la bonne étoile des philosophes Walter Benjamin et Hanna Arendt. “Les destins d’Hannah Arendt et de Walter Benjamin sont marqués par l’exil, explique Alessandro Michele. Juifs tous les deux, ils se rencontrèrent pour la première fois à Paris dans les années 1930, après avoir quitté l’Allemagne. Au début des années 1940, l’aggravation de la situation politique les poussa tous deux à se rendre au Portugal dans l’espoir de s’enfuir aux États-Unis. La suite est bien connue. Arendt atteignit New York. Benjamin fut arrêté par la police et se suicida à la frontière espagnole. Bien des années plus tard, en 1968, Arendt publie un essai sur Benjamin : un hommage délicat et surprenant à son ami tragiquement décédé. C’est sa tentative dévouée et intime de raconter l’histoire du penseur allemand qu’elle décrit comme un inestimable Pêcheur de perles. Comme dans une fresque, elle évoque son personnage, poétique et marginal, non conformiste au regard de l’orthodoxie dominante.” C’est à la vision kaléidoscopique du monde du philosophe, à ce célèbre collectionneur de citations et grand penseur de la reproductibilité de l’oeuvre d’art que rend bien sûr hommage le créateur de mode. Une manière toute en subtilité de rappeler que l’art, la pensée et la création ne peuvent exister et se réinventer que par citations et emprunts, iconoclastes si besoin.
En pêcheur de perles donc, Alessandro Michele a pioché dans le vestiaire des années 40 des cols ronds, des vestes en laine boutonnées à l’arrière, jouant avec des épaules angulaires ou rembourrées sur des robes aux motifs géométriques hypnotiques. Cette même décennie lui inspire des robes de soirées aux couleurs chatoyantes (jaune, bleu, orange) et aux matières fluides. Les motifs géométriques et les effets de distorsion rappellent quant à eux l’art optique de Jesús Rafael Soto, Bridget Riley ou encore Victor Vasarely. Des couleurs excentriques se déploient sur des robes et des manteaux aux rayures en diagonales… C’est pourtant bien le noir qui se révèle au fur et à mesure du show comme leitmotiv des tenues de soirée, mini robes, bustiers et costumes sublimés par des broderies argent et or, des sequins et des cristaux. Alessandro Michele assume : “Je fais toujours briller les vêtements.” Les étoiles et les constellations sont bien évidemment au coeur des broderies éblouissantes avec des bleus évoquant le ciel étoilé ou un jaune aussi puissant qu’un soleil. Les références aux années 80 sont tout aussi électriques : rose, vert, orange se déploient en transparence ou en color blocks fascinants.
Cette cosmogonie – théorie expliquant la formation de l’Univers et des objets célestes (ici, une théorie de l’art) – ne pouvait trouver meilleur écrin pour son dévoilement que le Castel del Monte. Le château est depuis sa construction au XIIIème siècle (même la date est sujette à caution) l’objet de mystères et d’hypothèses. Personne ne sait quelle était sa véritable destination : lieu de fête, plus certainement “temple du savoir“ consacré à la science… Son architecture octogonale grandiose, sur laquelle était projetée pendant le défilé des constellations le transformant en porte des étoiles, fait référence à une pensée du moyen-âge faisant de l’octogone une hybridation entre le cercle et le carré, soit les symboles de la Terre et du ciel et de l’Univers. Un lieu, donc, où l’infini rejoint le fini, où l’abstrait rejoint le concret, où l’idée se transmute en art.