Comment le créateur Glenn Martens enflamme l’héritage de Jean Paul Gaultier
Alors qu’il faisait ses adieux lors d’un éblouissant défilé-spectacle au Théâtre du Châtelet, l’immense couturier Jean Paul Gaultier l’avait annoncé : pour le plus grand bonheur de tous, sa maison continuerait, après son départ, à présenter des défilés couture en faisant appel à de jeunes créateurs invités, le temps d’une saison, à réinterpréter ses riches archives. Fin janvier dernier lors de la saison haute couture printemps-été 2022, c’était au tour de Glenn Martens, directeur artistique de Y/Project et de Diesel, de lui rendre un magnifique hommage.
Par Delphine Roche.
Après un premier essai réussi par Chitose Abe, créatrice du label Sacai, c’était au tour du très talentueux Glenn Martens de présenter sa réinterprétation de la maison Jean Paul Gaultier. Le Flamand, qui s’illustre avec brio aux commandes du label Y/Project depuis 2013, se frottait ainsi pour la première fois à la haute couture. “J’avais été invité à assister au dernier défilé de Jean Paul Gaultier, explique Glenn Martens, puis Antoine Gagey [directeur général de la maison] m’a fait cette très belle proposition.”
Toujours profondément respectueux du travail de ses pairs, Jean Paul Gaultier s’est bien gardé, cette fois encore, d’interférer dans le processus de création du nouvel élu, préférant découvrir le résultat final le jour du défilé. “Je n’ai pas eu de conversation avec Glenn, commente-t-il, parce que la conversation entre designers s’effectue à travers les vêtements, les collections. Connaissant mes archives et voyant ce qu’il propose avec son label Y/Project, je pouvais déjà imaginer ce qui allait l’intéresser, dans quelle direction il allait aller. J’ai toujours suivi et beaucoup aimé son travail. Je me souviens notamment d’une paire de cuissardes incroyables en organza ou en organdi. Ce qui m’intéresse, c’est cette folie conjuguée à sa rigueur flamande.”
Faisant preuve d’un jusqu’au-boutisme tout flamand, Glenn Martens décidait de s’inspirer du corset signature de la maison pour le décliner à travers un grand nombre de robes longues à taille étranglée et hanches appuyées. Son interprétation de l’incontournable marinière est, elle aussi, personnelle et novatrice : tournées à la verticale pour souligner la ligne des robes, les rayures prennent un aspect artisanal, voire pictural. Dans un jeu d’expérimentation dont il est coutumier chez Y/Project, il habille ces mêmes silhouettes de mailles épaisses, à l’opposé des matières délicates typiques de la haute couture. Plus loin, une robe de sirène à longue traîne est rehaussée de lanières en denim dessinant des chevrons. “Ce tissage dans la maille, je l’avais déjà expérimenté chez Y/Project, poursuit Glenn Martens.
Je trouve important de proposer des choses véritablement inattendues, la couture permettant une liberté totale.”
Autre pièce phare de Jean Paul Gaultier, l’iconique corset rose poudre est revisité tout en laçages de rubans de satin. “Évidemment, en tant que fétichiste du corset, j’ai beaucoup travaillé avec les laçages, et j’ai même conçu une robe dont le dos était entièrement lacé. Glenn a suivi cette piste en continuant les laçages sur les bras”, commente encore le couturier. Pour accompagner ce corset revisité, une jupe maxi en denim, donnant l’illusion d’être un pantalon, rappelait à ceux qui l’ignoreraient que Glenn Martens a été nommé en 2020 directeur artistique de la marque Diesel, bien connue pour ses jeans, chez qui il s’adresse à un large public et s’est notamment employé à concevoir une toile à la fois éthique et écologique.
Le cynisme et l’indifférence n’étant décidément pas dans la nature du généreux et bienveillant Jean Paul Gaultier, le maestro se réjouit de découvrir, à travers ces réinterprétations d’une saison, la façon dont la jeune génération peut s’approprier ses codes. Avec son défilé très dramatique constitué essentiellement de robes longues, présenté dans les salons de la maison eux aussi radicalement revisités – drapés pour l’occasion de noir –, Glenn Martens en a proposé une vision totalement différente de celle de la Japonaise Chitose Abe. Sa fascinante parade inspirée par la femme Jean Paul Gaultier démontre à quel point le patrimoine de la maison reste pertinent et tisse des liens multiples avec les traits esthétiques de notre époque, parmi lesquels la sculpture du corps. “Le corset, analyse Glenn Martens, poursuivait déjà, avec les moyens disponibles à l’époque, le but de sculpter les corps, ce qui est une attitude on ne peut plus contemporaine : entre la chirurgie esthétique et l’importance du fitness, de nombreuses personnes cherchent aujourd’hui à dessiner précisément leur silhouette.”
Avec le défilé très réussi de Glenn Martens, dont on ne tardera certainement pas à voir bientôt les robes portées par Beyoncé ou par Kim Kardashian, Jean Paul Gaultier voit son héritage perpétué de la plus belle manière. “Cela me fait l’effet d’un lifting, conclut le facétieux couturier. Je suis très heureux de voir que ces jeunes sont inspirés par ce que j’ai mis en place, et qu’ils y trouvent quelque chose qui leur parle, qu’ils interprètent à leur façon.” Les clientes couture font-elles bon accueil à ces réinterprétations du langage de la maison ? Apparemment, le jour du défilé, les carnets de commandes se remplissaient déjà généreusement.