9 juin 2020

Sonia Braga, la muse rebelle du cinéma brésilien

Bientôt à l’affiche du prochain film de John Turturro, “The Jesus Rolls” – reboot déjanté de “The Big Lebowski” et des “Valseuses” –, l’actrice injustement méconnue en Europe est l’une des plus grandes figures du cinéma d’Amérique du Sud. Depuis ses débuts dans le cinéma contestataire du pouvoir brésilien, jusqu’à “Aquarius” de Kleber Mendonça Filho, en passant par “Sex and the City”, Clint Eastwood ou encore J.J. Abrams, Sonia Braga connaît une destinée exceptionnelle. Retour sur la carrière extraordinairement éclectique de la muse du cinéma brésilien.

Sonia Braga dans “Aquarius” de Kleber Mendonça Filho (2016).

En 2019 sortait Bacurau de Kleber Mendonça Fihlo et Juliano DornellesUne fable futuriste ancrée dans un petit village imaginaire dans le Nordeste du Brésil. Après une longue première séquence où les habitants enterrent leur doyenne, Sonia Braga surgit chancelante au milieu de la foule. Ivre, elle insulte la mémoire de la défunte et demande à la volée :“Est-ce que pour moi aussi vous ferez autant de cérémonie” ? Comme si le personnage savait que la terre l’appelait, elle aussi. Alors que l’actrice vient de fêter ses 70 ans, ce cri désespéré contraste furieusement avec sa carrière.

 

Car depuis une dizaine d’années, le parcours de Sonia Braga connaît une reviviscence incroyable. En 2016, l’actrice incarnait une femme rebelle pour le très beau Aquarius, du même réalisateur. Là, elle crevait l’écran par sa prestance et des dialogues cinglants bien placés. “Je préfère donner le cancer que l’avoir”clamait-elle à la fin, en balançant des termites dans les bureaux du promoteur immobilier qui veut sa peau. Dans Bacurau, elle est une femme médecin réfractaire qui prend les armes et mène la résistance de son village. Bref, au bout de 50 ans de carrière, Sonia Braga n’a pas encore dit son dernier mot.

 

Des débuts sous l’égide de la contestation

 

C’est dans les années 1970 que l’actrice fait ses débuts, non pas au cinéma mais au théâtre. À 17 ans, elle monte sur les planches pour une adaptation d’une pièce de Molière, puis elle est repérée par des agents qui la feront participer au remake brésilien de la comédie musicale Hair, en 1968. Cette même année, elle joue un petit rôle dans le polar O Bandido da Luz Vermelha, du réalisateur Rogério Sganzerla. Le film introduit la jeune fille dans le milieu du cinéma, en même temps qu’il devient un symbole d’un courant contestataire au Brésil, appelé “cinéma marginal”. Inscrit dans la continuité des questionnements ouverts par le Cinema Novo des années 50, ce mouvement devient la contre-culture principale du pays et invente de nouvelles formes narratives, en réaction à la répression suivant le coup d’État de 1964. Alors même qu’elle n’a pas encore 20 ans, Sonia Braga emprunte, sans le savoir, le chemin de la rébellion.

Il faut cependant attendre 1976 pour que l’actrice s’impose réellement au cinéma, avec Dona Flor et ses deux maris, de Bruno Barreto. Avant cela, c’est plutôt grâce à la télévision que cette dernière se fait connaître, toujours dans les limites des frontières de son pays. Son premier grand rôle lui permet alors de briser son image d’adolescente et la propulse sur la scène internationale. Àla manière des enfants star de Disney Channel en mal de transgression, elle incarne dans le film de Bruno Barreto une professeure de cuisine tiraillée entre deux hommes. La charge érotique de son personnage, couplée à l’humour libertin et irrévérencieux de l’histoire font du long-métrage l’un des objets phares du panthéon du cinéma brésilien.

 

Clint Eastwood, Robert Redford et militantisme à Cannes

 

Enchaînant les films à succès – dont notamment Gabriela (1975) de Bruno Baretto et Le Baiser de la femme araignée(1985) d’Héctor Babenco, qui traite de la dictature en Argentine –, Sonia Braga est rapidement repérée par Hollywood. En 1988, elle partage l’affiche de Milagro, film de Robert Redford, avec Melanie Griffith et Ruben Blades. Deux ans plus tard, elle fait une apparition tapageuse dans La Relève de Clint Eastwood où… elle viole le réalisateur, qui y incarne un flic à la dérive. Si les années qui suivent sont moins fructueuses du côté du cinéma brésilien, l’actrice participe à plusieurs séries télévisées américaines célèbres dont Sex and The CityNew York, police judiciaire, Les Experts : Miami, Luke Cage ou encore Alias de J. J. Abrams.

 

“Les choses ne font que commencer” pouvait-on lire sur le twitter de Sonia Braga en juin 2015. Par cette affirmation (alors qu'elle fête alors ses 65 ans), l’actrice s’érige en contraste avec l’industrie hollywoodienne, où le culte de la jeunesse relègue les femmes de son âge au statut de lointains souvenirs. Forte du rôle magistral que lui a dédié Kleber Mendonça Filho dans Aquarius, l’actrice y voit “le début d’une nouvelle vie”. Et effectivement, le film signe son grand retour au cinéma brésilien. Plus encore, il participe à ancrer plus fortement cette dernière dans la voie de la contestation. C’est d’ailleurs le poing levé et en brandissant des pancartes qu’elle accompagne l’équipe du film à Cannes, en signe de protestation contre la destitution de la présidente Dilma Rousseff. En somme, Sonia Braga promet de revenir en fanfare dans les années à venir. L’occasion pour l’Europe de célébrer une immense actrice et de redécouvrir sa filmographie exceptionnelle.

 

The Jesus Rolls de John Turturro. Date de sortie inconnue.