8 avr 2022

Rencontre avec Suzanne Lindon, jeune actrice bouleversante dans la série “En thérapie”

Alors qu’elle n’avait pas 20 ans, Suzanne Lindon a marqué les esprits avec un premier film fragile et délicat, Seize printemps, où elle révélait déjà sa merveilleuse sensibilité. Âgée aujourd’hui de 21 ans, c’est cette fois dans la saison 2 de la série télévisée En thérapie qu’elle fait son entrée remarquée. Bouleversante dans le rôle d’une jeune malade atteinte d’un cancer, qui refuse obstinément de se soigner et que son psy tente de convaincre par tous les moyens, elle démontre à nouveau toute l’étendue de son talent.

Photos par P.A Hüe de Fontenay.

Réalisation par Clément Lomellini.

Propos recueillis par Olivier Joyard.

Veste, débardeur, pantalon et collier, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Photo : P.A Hüe de Fontenay.

Avant même l’âge de 20 ans, Suzanne Lindon mettait en scène son premier film, Seize printemps, un opus sensible où elle racontait l’éveil amoureux d’une adolescente qui semblait ne pas vraiment vouloir vivre auprès des garçons et des filles de son âge. Ce léger décalage avec les autres, la fille de Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon en fait une force de vie incroyable dans la deuxième saison de la série En thérapie. À 21 ans tout juste, elle incarne une jeune femme atteinte d’un cancer, qui refuse de se soigner et que son psy tente de convaincre par tous les moyens. Suzanne Lindon est bouleversante, regardée par la caméra subtile d’Arnaud Desplechin qui capte les moindres émotions de son visage.

 

 

Numéro : Sur votre compte Instagram, vous avez listé des films fétiches, dont le magnifique Running On Empty [À bout de course] (1988) de Sidney Lumet, l’histoire d’une famille en fuite. Un choix pointu.

Suzanne Lindon : C’est mon film préféré ! Dedans, il y a River Phoenix. Judd Hirsch et Christine Lahti jouent ses parents. C’est un des premiers films que j’ai regardés sans que quelqu’un ne m’incite à m’y intéresser. J’avais 11 ans, période où j’aimais bien voir des films avec des garçons que je trouvais beaux. Ma culture cinématographique, je la faisais selon la tête de l’acteur. [Rires.] Running On Empty a été mon premier choc avec Kramer contre Kramer, où j’étais restée une demi-heure assise sans bouger à la fin. C’est mon porte-bonheur, il montre une famille qui s’entend bien. Le désir du personnage principal de quitter le nid ne vient pas d’une rébellion. Il y a un respect entre parents et enfants, une écoute qui m’a beaucoup marquée. Moi, je n’ai jamais eu de crise d’ado, je ne suis pas partie en vrille en détestant tout le monde. Quand River Phoenix présente sa petite amie à ses parents, ils dansent tous ensemble sur du James Taylor. À ce moment-là, j’ai pensé que je voudrais que ça se passe aussi comme ça dans ma vie.

 

À quel moment votre amour du cinéma s’est-il transformé en désir d’en faire, comme réalisatrice et comédienne ?
Il y a eu des personnages féminins, ceux de Sandrine Bonnaire dans À nos amours et de Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée. J’ai vu ces films pile au même âge que les protagonistes, donc l’identification a été totale. En plus, je ressemblais un peu à Charlotte Gainsbourg, et l’héroïne de Pialat s’appelle Suzanne. Je voulais moins être ces personnages que celles qui les jouaient, alors j’ai compris que j’avais envie d’être actrice. Mais comme je voulais me sentir vraiment légitime, et que mes parents exercent ce métier, je me suis dit qu’il fallait beaucoup travailler. J’ai écrit un rôle que j’aurais aimé jouer, et c’est devenu mon film Seize printemps. Maintenant, je me sens plus libre d’avoir envie de jouer et de faire des films, mais avant, je n’arrivais pas à le dire. C’était le plus grand secret de ma vie.

 

 

“En mon for intérieur, je ne savais pas si j’étais bonne actrice, mais j’étais persuadée que cela me permettrait d’être complètement moi-même et de m’abandonner, de m’épanouir.”

Veste, pantalon, débardeur, ceinture, colliers et bracelets, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Photo : P.A Hüe de Fontenay.

La maturation de votre long-métrage Seize printemps a été longue, mais la mise en action très rapide.
Cela s’est passé si vite que j’ai beaucoup de souvenirs de l’avant, quand le film était dans ma tête : la nécessité que j’avais de le faire, le naturel avec lequel je l’ai écrit… Je ne savais pas que c’était du travail. Pour moi, le travail c’était faire mes devoirs. J’avais 15 ans, c’était comme une récréation que je prenais très au sérieux. La fabrication du film, je m’en souviens moins car elle est arrivée à une période très troublée par la pandémie et le premier confinement. Même si ce qui s’est passé, notamment la sélection au Festival de Cannes, a été magique.

 

Ce printemps, vous jouez sous le regard d’Arnaud Desplechin dans la deuxième saison d’En thérapie, l’adaptation d’une série israélienne par Éric Toledano et Olivier Nakache. Vous êtes intense !
En mon for intérieur, je ne savais pas si j’étais bonne actrice, mais j’étais persuadée que cela me permettrait d’être complètement moi-même et de m’abandonner, de m’épanouir. En faisant mon film et en jouant dedans, j’ai pensé : “Enfin, je suis à ma place.” La première fois que j’ai été dirigée par un autre que moi, c’était pour cette série, par Arnaud Desplechin que j’admire depuis toujours. Je me souviens que, très jeune, dans ma chambre, je jouais à l’actrice faisant sa promotion sur un plateau télé : “Là, je vais faire le prochain film d’Arnaud Desplechin !” Et ça s’est réalisé ! [Rires.] D’avoir été choisie par lui m’a donné confiance. Ma grande peur était de ne jouer que parce que je m’étais choisie moi-même.

 

Il y a beaucoup de gros plans de votre visage dans les épisodes. Votre personnage traverse une passe difficile face à son psy et pleure souvent. Comment gérer ce flot d’émotions ?

Ce n’est pas le plus difficile de pleurer. Je me suis sentie tellement comprise par Arnaud Desplechin et épaulée par Frédéric Pierrot [l’acteur principal d’En thérapie] que la caméra aurait pu être n’importe où, ce n’était pas le sujet. J’avais confiance. Je me concentrais beaucoup sur le texte, avec d’énormes tartines à apprendre. J’aime bien faire travailler ma mémoire et j’étais servie ! Avant les prises – qui pouvaient durer vingt minutes –, j’avais vraiment l’impression de me préparer pour un grand huit, avec des descentes, des loopings, des virages. Au bout de quelques jours, je ne pensais plus à rien sauf à cette fille et à son histoire. Elle est malade et possède une force inouïe. Arnaud voulait parler de la gravité et de la mort à travers elle, moi je voulais défendre cette force de vie qu’elle conserve, et son attitude loin de l’air du temps.

 

Dans Seize printemps, votre personnage paraît s’ennuyer beaucoup avec les gens de son âge.
Quand j’étais plus jeune, j’étais à l’aise seulement avec des gens plus âgés. Maintenant, ça va mieux, mais j’apprends d’abord de ceux qui sont soit plus vieux que moi, soit plus jeunes. Je suis arrivée au monde en 2000, j’ai l’impression d’être née dans un ordinateur et sur Facebook. Pourtant, ma personnalité est d’être plutôt mal à l’aise avec tout cela. Je suis sur certains réseaux sociaux, mais ces choses ne reflètent pas qui je suis. En même temps, je suis issue d’un milieu assez privilégié et je ne sais pas si je peux parler de ma génération globalement.

Photo : P.A Hüe de Fontenay.

Avez-vous l’impression de lutter contre votre époque – plutôt difficile pour la jeunesse ? Je suis presque nostalgique d’une époque que je n’ai pas connue, celle de mes parents. Ils me racontent leur légèreté, ils ont connu l’amour sans préservatif et sans danger, la ceinture de sécurité qu’on n’était pas obligé de mettre. Nous, nous avons grandi dans un monde très normé où l’image et le regard des autres sont plus importants que tout. Et moi, je déteste ça. Ce n’est absolument pas la façon dont j’ai envie de vivre.

 

Quels sont vos projets ? Un nouveau film ?

J’écris un peu, mais je suis très lente. J’espère jouer toute ma vie. Et réaliser aussi. J’en ai vraiment besoin pour me sentir libre et pleine. Pour l’instant, l’histoire que je raconte doit m’appartenir complètement, même si dans Seize printemps j’ai avancé masquée. En mettant des éléments de moi dans le film, comme mon prénom, et des vrais lieux de ma vie, c’est presque un faux dévoilement qui a eu lieu. En réalité, je suis assez pudique. Les choses très profondes et enfouies sont présentes, mais déguisées. C’est ce qui m’intéressait vraiment : partir d’un sentiment, d’une mélancolie que j’ai eue à l’âge que je raconte, pour ensuite créer autre chose.

 

 

“Je suis entourée de gens de mon âge qui vont beaucoup au cinéma. Pour moi, la réalité ressemble à ça. Mais c’est une vision partielle, j’en suis consciente.”

 

 

Cette mélancolie vous a quittée ?

Elle s’est un peu transformée. Ce que j’ai montré dans Seize printemps, c’est le milieu de l’adolescence, où je découvrais tout et, en même temps, où je me découvrais moi. Maintenant, je me connais mieux, mais la mélancolie ne m’a pas complètement quittée. Je suis très romantique, pas seulement en amour. C’est intense, mais pas douloureux. Je suis joyeuse, et parfois obsessionnelle. C’est très entier à chaque fois. Dans le travail, les amitiés, les histoires d’amour, il n’y a pas de petite décision. Je ne suis pas light !

 

La discussion sur les filles et fils de, comment la vivez-vous ?
Généralement, quand les enfants veulent faire la même chose que leurs parents, on ne le leur reproche pas, sauf quand il s’agit de cinéma. Je n’ai jamais considéré que j’avais envie de faire du cinéma parce que mes parents en font. J’ai l’impression que mon désir n’est pas du tout lié au leur. En revanche, je savais que ça pourrait être une étiquette qu’on me collerait, et à raison, car je suis la fille de mes parents. C’est assez violent de faire un film quand vous n’y connaissez rien, et les critiques peuvent être encore plus violentes si vous débarquez comme ça, sans rien connaître. Je pense que j’ai eu besoin de me confronter à cela, de montrer ce que je valais de façon brute. J’ai eu ce désir aussi parce que mes parents n’avaient pas connu cette expérience de mettre en scène.

Veste, pantalon et escarpins, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Photo : P.A Hüe de Fontenay. Coiffure : Tié Toyama chez Calliste Agency. Maquillage : Christophe Danchaud avec Absolution Cosmetics chez B. Agency. Production : Open Space Paris

À l’époque, votre mère Sandrine Kiberlain n’avait pas réalisé son premier film, Une jeune fille qui va bien.
Heureusement que c’est venu après et que je ne jouais pas dedans ! Cela m’a donné la confiance de réaliser un film en étant complètement moi-même. Si je me plantais, je me plantais toute seule.

 

Trouvez-vous le cinéma toujours pertinent en tant que forme artistique pour raconter le monde ? Les vingtenaires vont relativement peu voir les films d’auteur.
Je suis entourée de gens de mon âge qui vont beaucoup au cinéma. Pour moi, la réalité ressemble à ça. Mais c’est une vision partielle, j’en suis consciente. Aujourd’hui, nous traversons un tel chaos que plus rien ne pourrait être pertinent, dans l’absolu. C’est en écrivant un film et en essayant d’en écrire d’autres que je trouve une pertinence. Le plus pertinent à mon âge aujourd’hui, à mon avis, c’est d’être sincère et honnête. Pour l’instant, je prends des notes sur mon prochain film. Ce sera encore une histoire nécessaire pour moi, en lien avec ce que je suis, avec ma vie. Mais je ne sais pas encore si je vais arriver à l’écrire, ce film !

 

 

La saison 2 d’En thérapie est disponible dans son intégralité sur Arte.