Rencontre avec Suki Waterhouse, l’actrice et mannequin magnétique signée sur le label de Nirvana
L’actrice et mannequin anglaise au visage de poupée et aux 2 millions d’abonnés Instagram Suki Waterhouse sort ce vendredi 6 mai un premier album cathartique et émouvant qui croise le grunge, la dream pop et le rock indépendant, intitulé I Can’t Let Go. L’occasion de discuter avec l’artiste des chansons des années 90, de l’adolescence et du pouvoir salvateur de la musique.
par Violaine Schütz.
Peu d’actrices et de mannequins parviennent à tirer leur épingle du jeu dans l’industrie de la musique. Mais l’Anglaise Suki Waterhouse fait figure de séduisante exception, aux côtés de Charlotte Gainsbourg, Lou Doillon, Jane Birkin, Asia Argento, Carla Bruni et Isabelle Adjani. Celle qui a posé ou défilé pour Burberry, Balenciaga, Ferragamo et Tommy Hilfiger et joué dans de nombreux films (The Batch, Assassination Nation, Divergente 2, Pusher, Billionaire Boys Club, Absolutely Fabulous, le film) et séries TV (la très attendue Daisy Jones & The Six à venir sur Prime Video en mars 2023) a parfaitement réussi sa mue en rock star magnétique.
La Londonienne âgée de 30 ans sort en effet ce vendredi 6 mai un premier album émouvant croisant le grunge, la dream pop et le rock indépendant qui s’intitule I Can’t Let Go. Ce dernier paraît sur le label américain mythique Sub Pop (Nirvana, Dinosaur Jr., Beach House) et raconte les moments les plus marquants de la vie de l’artiste qui partage son quotidien – depuis 2018 – avec Robert Pattinson. Évoluant dans l’œil du public depuis ses 16 ans (âge auquel elle est repérée par un agent de casting dans un bar), la « it girl » est souvent apparue dans les tabloïds en compagnie de ses amies mannequins Adwoa Aboah et Cara Delevingne. La presse n’a également jamais cessé de relayer ses histoires d’amour avec le chanteur Miles Kane et les acteurs Bradley Cooper et Diego Luna.
Interview de la chanteuse et actrice Suki Waterhouse
Numéro : Quand avez-vous commencé à jouer de la guitare et à chanter ?
Suki Waterhouse : À la fin de mon adolescence. J’écrivais des chansons avec un homme plus vieux et très gentil rencontré dans un pub local. C’est la première personne avec laquelle j’ai conçu des démos. Je me produisais en concert et traînais avec des musiciens, mais il me semblait que devenir musicienne était quelque chose d’impossible. Puis d’autres activités se sont accélérées dans ma vie. Mais j’ai continué à écrire des chansons et à expérimenter avec ma guitare et mon ordinateur. Je me suis améliorée à travers de nombreux essais et erreurs, ce qui est cool parce que j’ai pu évoluer en privé. Écrire des morceaux constituait un lieu solitaire me permettant de m’évader du monde extérieur. J’ai toujours voulu être musicienne et songwriteuse mais je pensais que j’avais peut-être raté l’occasion. J’étais nerveuse parce que je sentais que je devais rester dans ma voie (actrice et mannequin), et vous savez, le monde vous envoie beaucoup de signaux vous donnant l’impression que votre voie est décidée pour vous. Et que s’en détourner signifierait que vous serez rejetée…
Vous avez finalement sorti une première chanson en 2016, intitulée Brutally… Et puis, presque plus rien ne s’est passé, musicalement parlant, pendant six ans…
Oui, j’avais l’impression à l’époque qu’il y avait un désespoir qui s’était progressivement installé. J’ai sorti ma première chanson, dans un esprit très DIY, avec une vidéo tournée par mes soins à l’arrière d’une voiture. Je suis en larmes dans ce clip et je me souviens avoir pleuré tout au long de l’enregistrement de la chanson, car j’avais vraiment le cœur brisé à ce moment-là. La publication, sur Internet, de ce morceau était la lueur d’espoir qui a donné un sens à l’obscurité que je traversais. Six ans plus tard, j’ai enfin trouvé le courage de ressortir une autre chanson. Je me sentais enfin prête. Je suis finalement contente que cela ait pris autant de temps car cela a installé une feeling à l’intérieur de moi aux allures de vague. Ceux qui ont écouté ma chanson ont eux-aussi ressenti quelque chose de cet ordre-là, ce qui m’a encouragé à me lancer dans un album.
Que signifie le titre de votre album, I Can’t Let go ?
Cela peut parfois être aliénant lorsque vous devez donner l’impression que vous avez évolué alors que vous travaillez encore sur quelque chose, et que beaucoup de temps s’est écoulé. Même si votre perception sur un sujet s’est élargie, la porte n’est peut-être pas complètement fermée. J’ai trouvé le titre de l’album à un moment où j’étais frustrée par moi-même d’avoir pris autant de temps dans mes réflexions. Le disque parle du fait de me harceler moi-même pour trouver un moyen de sortir de là où j’étais coincée depuis si longtemps, émotionnellement, et de trouver les mots pour évoquer les moments qui m’ont façonnée et que j’essaie encore de surmonter.
« Je fantasmais sur le fait d’aller à New York et finalement le plus gros enjeu a été de me retrouver à Los Angeles. » Suki Waterhouse
La pochette de votre disque, un portrait de vous en gros plan, rappelle la pochette de l’album Live Through This du groupe grunge Hole (dont la leadeuse est Courtney Love), sur laquelle on voit une reine de bal de promo dont le mascara coule sur ses joues…
J’aime tellement Hole. Ce groupe peut sonner à la fois calme et anxieux. Leur morceau Doll Parts me rappelle le fait d’être à l’école et d’avoir beaucoup de devoirs à faire pour le lendemain mais de simplement vouloir dormir après une gueule de bois. Ou d’avoir envie de sortir alors qu’on est coincé à la maison. Cette pochette était sans doute une référence subliminale car elle possède une force vitale et une énergie indéniable. Ma photo de pochette était l’une des dernières images qu’on a réalisées de la journée. C’était une décision assez impulsive d’avoir de l’eye-liner coulant sous mes yeux. Cela donne une sensation à mi-chemin entre la provocation et la vulnérabilité.
Comment décririez-vous votre musique ?
J’adore les chansons des groupes de filles des années 60. Mes préférées sont les chansons séduisantes qui dégagent un sentiment d’abandon ou l’idée d’une dernière chance. J’aime la musique qui a l’air nonchalante et inachevée. J’adore un disque appelé Crush Songs (2014) de Karen O, la chanteuse des Yeah Yeah Yeahs. Ce ne sont que des démos, des petits chuchotements de chansons qui donnent l’impression que vous écoutez quelqu’un susurrait des paroles dans votre chambre. Parmi mes autres influences, il y a Ani DiFranco, Valerie June, Lucinda Williams, des femmes qui ont changé ma vie. Ces artistes ont écrit sur des choses dont vous n’entendez pas souvent parler au cour de votre existence, évoquant très honnêtement l’intimité et le désir. J’écoutais beaucoup J.J. Cale aussi, quand j’étais adolescente. Enfin, j’adore la façon dont les chansons étaient structurées dans les années 90. J’aimerais écrire plus de morceaux comme ceux que composaient les Cardigans.
Vous êtes anglaise, mais vous êtes signée sur un label américain, Sub Pop. Êtes-vous plus influencée par la musique britannique ou US ?
C’est difficile à dire ! J’ai été profondément influencée par les deux. J’ai toujours aimé Oasis parce qu’ils m’ont permis de comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’être un théoricien de la musique pour écrire des chansons. Et j’ai adoré lire des interviews de Blur et d’Oasis, en grandissant, parce qu’ils parlaient de leur vie de manière intuitive ou de choses « inappropriées, » ce qui cadre bien avec l’énergie de leur pop. Je pense que l’Amérique en elle-même était un tel rêve quand j’étais enfant et ado. Je fantasmais sur le fait d’aller à New York et finalement, le plus gros enjeu, ça a été le fait de me retrouver à Los Angeles. Signer sur le label US Sup Pop est quelque chose de très important pour moi. J’adore les groupes qu’ils ont signés tels que Beach House, la musicienne folk et punk Shannon Lay ou encore la formation folk-rock Fruit Bats (en particulier leur chanson Rips me Up.)
« Il y a eu des moments où Internet m’a vraiment détruite. » Suki Waterhouse
Qu’est-ce qui vous inspire ?
En général, j’écris une chanson quand il y a quelque chose qui me « pique. » Je pense que parfois, il y a des choses dont vous pouvez parler avec des amis, et une fois que vous en avez parlé, vous ne pouvez pas revenir en arrière. Mais il y a aussi des choses que vous ne pouvez pas vraiment exprimer à quelqu’un, un sentiment corporel et mental qui va plus loin et contient de la peur et de la honte. Je pense que ce sont ces sentiments-là qui me donnent envie d’écrire des chansons. Parfois, c’est pour communiquer quelque chose à quelqu’un, une chose dont je n’ai pas parlé pendant des années. Cette chose est toujours là, et je la comprends un peu mieux une fois que j’ai écrit dessus. Je trouve ça difficile par contre d’écrire autre chose que des chansons très personnelles. Je parle le plus beaucoup d’amour. J’ai rencontré dans ma vie des moments de défi où le frisson de l’amour me donnait l’impression de « m’écraser sur quelqu’un » qui possédait toutes les blessures en lui pour raviver les miennes. Et je trouvais alors que c’était le climax d’une relation.
L’une de vos chansons, Bullshit on the Internet, évoque le fait de voir un ex-petit ami photographié avec sa nouvelle partenaire sur la toile…
Mon rapport avec les réseaux sociaux et la toile fonctionne par vagues. Il y a eu des moments où Internet m’a vraiment détruite. Il y a ce sentiment de se retrouver dans une spirale de honte à cause du web et c’est ridicule de laisser ça se produire. Parfois, cela vous fait très mal, ce rejet que vous ne devriez pas connaître. C’est comme un éclair de douleur qui perce à travers un écran de téléphone.
La musique est-elle une catharsis pour vous ?
C’est définitivement cathartique d’enquêter sur soi-même. Sur ses émotions, ses désirs, ses défauts… Je pense aussi que développer une empathie envers les versions plus jeunes de soi-même est cathartique.
I Can’t Let Go (2022) de Suki Waterhouse, disponible sur toutes les plateformes. Daisy Jones & The Six (2023), disponible en mars 2023 sur Prime Video.
Le côté obscur de Los Angeles vu par Suki Waterhouse
Avec ce premier album, Suki Waterhouse, suivie par plus de deux millions de followers sur Instagram, reprend enfin le pouvoir sur son storytelling. Dans cet album, elle parle d’amour, de rupture, du côté obscur de Los Angeles, de voyage rédempteur au Bhoutan, de nostalgie et d’anxiété, comme s’il s’agissait d’une catharsis vitale. Elle explique : « L’album s’intitule I Can’t Let Go car durant des années, j’ai eu l’impression d’avoir trop de choses lourdes sur le cœur. Il y a tant de choses dont je n’ai jamais parlé. Écrire de la musique a été un refuge. Chaque chanson de l’album était une nécessité. (…) J’ai observé ma vie de l’extérieur, comme si j’étais un visiteur qui regardait les choses se passer.”
Influencée par des artistes à fleur de peau et authentiques comme Fiona Apple, Sharon Van Etten, Karen O des Yeah Yeah Yeahs et Shirley Manson de Garbage, Suki Waterhouse a confectionné, à l’aide du producteur prodige Brad Cook (Bon Iver, The War on Drugs, Snail Mail), le disque dont elle rêvait depuis des années, et qui ressemble à un autoportrait d’une artiste vulnérable dont les paroles, intimistes et poétiques, n’ont rien à envier à Lana Del Rey et Taylor Swift. Rencontre avec une chanteuse aussi torturée que lumineuse.