Rencontre avec Nicolas Duvauchelle, qui nous (en)chante dans Les Rois de la piste
Charismatique, mystérieux, sensible et ténébreux, l’acteur français Nicolas Duvauchelle, 43 ans, est l’une des figures les plus magnétiques du cinéma hexagonal. Alors que le héros de Polisse et de Balle perdue chante dans l’une des scènes clé de la comédie policière très réussie Les Rois de la piste, au cinéma ce mercredi 13 mars 2024, il nous parle de metal, d’électro et de son aversion pour les comédies musicales.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Charismatique, mystérieux, sensible et ténébreux, l’acteur français Nicolas Duvauchelle, 43 ans, est l’une des figures les plus magnétiques du cinéma hexagonal. Le comédien est aussi convaincant dans les films d’auteur (notamment ceux de Claire Denis et de Xavier Giannoli) que dans d’immenses succès populaires (Polisse de Maïwenn, Dalida, Balle perdue sur Netflix). Mais celui que l’on verra en 2024 dans de nombreux projets (Les Rois de la Piste, Brûle le sang, Citoyens clandestins) brille aussi dans des séries ambitieuses tells que Cœurs Noirs ou Les Papillons noirs.
Nicolas Duvauchelle, héros magnétique du film Les Rois de la piste
Repéré dans un club de boxe thaïlandaise où il s’entraînait, dans le XIe arrondissement de Paris, le comédien rebelle Nicolas Duvauchelle prêtait en novembre dernier sa voix rauque au projet musical Chambre Noire. Initié par trois amis (Gunther Love, Moche Pitt et Westerly), le trio électronique invite des artistes tels que JoeyStarr à pénétrer dans leur univers sombre et synthétique. Gunther Love, comédien issu de la troupe Airnadette, explique à propos de cette aventure originale : « Nous partageons tous les trois une passion pour le clubbing et le dance floor. Ce qui nous anime, c’est de surprendre les gens dans cet univers à travers des collaborations et des remixes. On a donc travaillé dans le chapitre 1 avec, entre autres, JoeyStarr, Cécile Cassel d’HollySiz, James The Prophet ou Nicolas Duvauchelle. Avec, à chaque fois l’envie de les *emmener en* dehors de leur zone de confort et de créer avec eux des morceaux taillé pour les clubs mais aussi de réunir tous les publics. »
Cette semaine, Nicolas Duvauchelle chante encore dans l’une des plus belles scènes de la comédie policière Les Rois de la piste. Très réussi, le film qui sort au cinéma ce mercredi 13 mars 2024, met en scène une famille de voleurs haute en couleur, dont Fanny Ardant et Matthieu Kassovitz. Nicolas Duvauchelle y joue le rôle d’un cambrioleur qui s’éprend d’une toile de Tamara de Lempicka et prend sa retraite pour devenir libraire. Il propose ici une partition étonnante, sensible, douce et pleine d’émotion dans la peau d’un homme qui devient une femme.
À cette occasion, on a demandé à l’acteur très prisé du cinéma français Nicolas Duvauchelle de nous parler de son amour pour la musique et de son ancien groupe de metal, Cry Havoc. ️
Interview de l’acteur Nicolas Duvauchelle sur le cinéma et la musique
Numéro : Qu’est-ce qui vous a plu dans Les Rois de la piste ?
Nicolas Duvauchelle : J’ai aimé le ton et le fait que Thierry (Klifa, le réalisateur, qui est un très bon ami avec lequel je tourne pour la troisième fois) fasse une comédie, car il est plus habitué aux films plus dramatiques. C’est toujours accès sur la famille mais c’est une comédie tendre, acide et légère à la fois. J’avais envie de jouer ce personnage aussi, de Jérémie/Sarah. Je trouvais cette proposition assez folle. J’ai mis du temps à dire oui. C’était un plaisir de retrouver Fanny (Ardant) et de tourner avec Mathieu (Kassovitz), que je connais depuis longtemps, mais avec lequel je n’avais jamais joué. Et Laetitia Dosch et les autres sont formidables.
Que représente ce rôle de femme transgenre dans votre carrière ?
Cela va peut-être montrer aux gens que je peux jouer des rôles très différents de ceux que j’ai faits avant. Je pense qu’on ne m’attend pas forcément là… Pour un acteur, c’est le pied de pouvoir faire le grand écart avec une série d’action telle que Cœurs Noirs ou une comédie comme Les Rois de la piste. C’était drôle et un peu schizophrène (rires).
Comment vous êtes-vous entré dans ce rôle ?
Il y a eu beaucoup de temps de préparation avec Thierry (Klifa, le réalisateur, ndlr) pour trouver le bon look de Sarah. J’ai aussi pris un répétiteur qui s’appelle Daniel Marchaudon qui avait coaché Gaspard Ulliel. Il m’a aidé à trouver Sarah lors de nombreuses discussions. Je ne voulais pas faire de ce personnage une caricature. Je ne voulais pas qu’on en rit. Je n’ai pas du tout regardé des films comme Tootsie ou La Cage aux folles. Ce n’était pas du tout le sujet. Pour mon personnage, c’est un non-événement d’être transgenre. C’est un cheminement naturel. C’est les autres que ça choque.
Il y a une scène sublime, dans un cabaret, où vous dansez et où vous chantez, en talons. Comment l’avez-vous préparée ?
Je sais danser mais pas à un niveau de dingue. Donc il fallait que je m’entraîne. Par contre, je suis un amoureux de la musique. J’étais censé exprimer quelque chose à mon frère (joué par Mathieu Kassovitz). Mais je n’en étais pas capable par la danse. C’était beaucoup plus organique pour moi de l’exprimer par la chanson. On a demandé à Alex (Beaupain) de nous composer une chanson et quelques jours après, il est venu avec ce morceau que je chante dans le film. C’était très émouvant de la performer en live. On voit tout l’amour que les deux frères se portent.
Avant de chanter dans Les Rois de la piste, vous avez participé au projet Chambre Noire. Pourquoi avoir accepté de poser votre voix sur une reprise de Paroles… Paroles… (1973) de Dalida et Alain Delon ?
C’est Sylvain Quimène (Gunther Love), qui est un bon ami à moi, qui m’a proposé cette collaboration, donc ça s’est fait très naturellement. J’avais joué dans le biopic sur Dalida et j’ai toujours beaucoup aimé cette femme. J’ai toujours eu de l’affection pour elle, peut-être en raison de sa vie tragique. Beaucoup de grands artistes finissent mal, à l’image de Kurt Cobain. Dalida est aussi liée à mon enfance, car ma mère et ma grand-mère l’écoutaient. Cela m’amusait aussi de dire les mots prononcés autrefois par Alain Delon sur ce morceau.
« En Belgique, avec les membres de mon groupe de metal Cry Havoc, on avait été raccompagnés à la frontière après une baston générale lors d’un concert. » Nicolas Duvauchelle
On vous a vu dans des clips d’Hangman’s Chair, de Camélia Jordana, de Grand Corps Malade ou encore de DJ Pone. Quel est votre univers musical : plutôt rap, chanson, pop, rock ou metal ?
On ne va pas se mentir, mon univers, c’est plutôt le metal. Mais j’apprécie aussi l’électro. J’aime Kavinsky, Sébastien Tellier, les Daft Punk, Justice, DJ Pone, la scène french touch 2.0. J’adore aussi DJ Mehdi qu’on a hélas perdu. Je retrouve dans cette musique la même authenticité et énergie que dans le metal. Ce n’est pas une musique lisse ou formatée. Quant à Camélia Jordana, c’était pour faire plaisir à ma fille qui était fan d’elle à l’époque. Mais elle est très sympa.
Qu’écoutez-vous comme musique ?
Le groupe Creedence Clearwater Revival, l’album Sexuality de Sébastien Tellier ou encore la chanson Rock’n Roll des Daft Punk. En fait, je découvre souvent les choses plusieurs années après leur sortie. Je suis souvent à contre-courant. J’écoute souvent des vieux trucs. Je trouve que de nos jours, on sort trop d’albums et trop vite. Tout est devenu trop facile avec les logiciels et les plateformes de streaming. En termes de production et de composition, comme de parcours de vie, on manque de types comme Prince, qui savait tout faire, James Brown ou Michael Jackson. Le gens galéraient souvent avant de sortir un disque et ce vécu rendait les choses précieuses. Beaucoup aujourd’hui, veulent tout tout de suite. Et ça donne souvent des chansons qu’on consomme rapidement. Au bout de 10 écoutes, on les oublie. Mais je ne veux pas jouer au vieux con…
Vous avez fait partie d’un groupe de metal : Cry Havoc. Pensez-vous parfois à ce qu’aurait été votre vie si vous aviez été chanteur et non acteur ?
Oui, des années 90 à 2005 environ. Mais comme j’avais commencé à faire des gros tournages de plusieurs mois, c’était compliqué de participer aux répèts. Ils m’attendaient et c’était frustrant. La scène metal me manque. C’était kiffant.
Dans une interview accordée à C à vous, les membres de Cry Havoc racontent : « On s’est fait raccompagner par la police à la frontière. Il avait fait de la provoc et avait foutu le bordel. La salle n’était pas très contente et ça a un peu dégénéré. Il avait insulté le public. Le chanteur de The Doors était un petit joueur. »
Oui, c’était en Belgique, on avait été raccompagnés à la frontière après une baston générale lors d’un concert. Les détails ne sont pas passionnants (rires) mais oui il y avait des bagarres. Après on était jeunes… C’était il y a 20 ans.
« Je suis allergique aux comédies musicales. La La Land ne me parlera jamais. » Nicolas Duvauchelle
Avant de tourner un film, écoutez-vous des playlists spécifiques pour vous plonger dans le rôle?
Tout à fait et c’est très bien d’en parler. Ça m’aide beaucoup avant un tournage ou entre les prises. La musique reste l’un des plus grands vecteurs d’émotion. Ça ne veut pas dire que j’écoute des solos de Scorpions avant une scène triste. Là, j’étais sur un tournage vénère (celui du film Brûle le sang, à Nice), et j’ai écouté que du metal pendant un mois et demi. Ça m’a aidé à poser le personnage, tout comme les costumes.
Quelle est votre BO de film préférée de tous les temps ?
Ça se joue entre celle de Taxi Driver par Bernard Herrmann, qui me donne des frissons et celle de Scarface par Giorgio Moroder.
Et la BO de film que vous préférez parmi les films dans lesquels vous avez joué ?
Celle de Trouble Every Day (2001) de Claire Denis, écrite par les Tindersticks, est magnifique. Cette musique me fend le cœur et colle parfaitement au film.
Aimez-vous les comédies musicales ?
Pas du tout ! J’y suis allergique, pourtant j’adore le cinéma et la musique. Mais voir les gens chanter et danser en même temps, je trouve ça benêt. L’émotion est plus pure quand un musicien se produit sans jouer en même temps la comédie. Si on me met La La Land, je peux mourir. Ce film ne me parlera jamais, il n’y a rien à faire (rires).
Quel est votre clip préféré ?
Thriller de Michael Jackson était un choc. Surtout qu’on était au tout début du vidéo clip. Money for Nothing de Dire Straits aussi, qui était l’un des premiers clips créés par ordinateur, il me semble. Aujourd’hui, il semble très laid car il a mal vieilli, mais à l’époque, c’était une claque. Ca parle à l’enfant qui est en moi car c’est ce qui m’a plu quand j’étais jeune. Aujourd’hui, je ne suis plus sûr de regarder des clips…
« Toute l’histoire du mec qui n’a pas eu l’estime qu’il méritait me touche vraiment. » Nicolas Duvauchelle
Si vous deviez jouer le rôle d’un chanteur dans un biopic, qui voudriez-vous que ce soit ?
Le chanteur américain Mark Lanegan (Screaming Trees, Mad Season, Queens of the Stone Age). Je l’adore et il n’a pas eu le succès qu’il méritait. Il a une voix incroyable, encore plus grave que la mienne. Toute l’histoire du mec qui n’a pas eu l’estime qu’il méritait me touche vraiment. C’est un poète maudit, qui a influencé de nombreux musiciens, malgré ses nombreuses collaborations.
Et si quelqu’un devait jouer votre rôle dans un biopic…
J’espère ne pas mourir tout de suite… Ma vie n’est pas si dingue que ça, à part faire des films… Je ne sais pas ce que le réalisateur raconterait. Mais je dirais le petit Sandor Funtek (qui a joué dans Suprêmes) qui n’est d’ailleurs pas si petit que ça…
Y-a-t-il une chanson qui résume parfaitement votre vie ?
The Past Recedes de John Frusciante. C’est quelqu’un qui revient de loin. On connaît surtout sa participation aux Red Hot Chili Peppers mais sa carrière solo et sa vie sont incroyables. J’aime le fait qu’il soit, à un moment donné, parti du groupe, pour créer de la musique que presque beaucoup moins de personnes écoutent. Il va jusqu’au bout de qu’il aime faire, sans que ce soit des chansons normées, sans pression de la maison de disque, ni compromis pour les radios.
Chambre Noire featuring Nicolas Duvauchelle et Zoé Colotis – Paroles, paroles (2023). Les Rois de la Piste (2024) de Thierry Klifa avec Fanny Ardant, Nicolas Duvauchelle et Matthieu Kassovitz, actuellement au cinéma. L’acteur sera bientôt à l’affiche du film Brûle le sang (2024) d’Akaki Popkhadze et de la série Citoyens clandestins (2023) de Laetitia Masson, avec Raphaël Quenard.