Rencontre avec Monica Bellucci : « J’ai mis mon corps au service de mes rôles »
La passionnante Monica Bellucci, qui a été James Bond Girl à 50 ans et a tourné pour les plus grands (Emir Kusturica, Spike Lee et Francis Ford Coppola), se retrouve cet automne au cœur de deux projets qui lui ressemblent. Deux aventures ambitieuses qui mettent en lumière deux icônes : Anita Ekberg et La Callas. Elle incarne la première au théâtre du Châtelet le 14 novembre dans le spectacle Maria Callas, Lettres & Mémoires, et la deuxième dans le documentaire The Girl in the Fountain. Rencontre avec une éternelle icône.
propos recueillis par Violaine Schütz.
La magnétique actrice Monica Bellucci est au cœur de deux aventures ambitieuses et iconoclastes qui mettent en lumière les faces cachées de deux icônes : la sensuelle Anita Ekberg et La Callas. Elle incarne la première au théâtre du Châtelet le 14 novembre dans le spectacle Maria Callas, Lettres & Mémoires, et la deuxième dans le documentaire The Girl in the Fountain qui sera bientôt montré dans des festivals de cinéma. Rencontre avec une artiste passionnée et passionnante.
L’interview de la magnétique Monica Bellucci
Numéro : Vous interpréterez Maria Callas, Lettres & Mémoires au théâtre du Châtelet (à Paris) le 14 novembre 2022, un spectacle que vous défendez depuis 2019 sur les planches. Qu’est-ce qui vous séduit le plus dans ce projet ?
Monica Bellucci : J’avais envie de partager l’émotion si forte que j’ai ressentie en lisant ce texte, Maria Callas, Lettres et Mémoires, édité par le réalisateur, auteur et photographe Tom Volf, qui a conçu ce spectacle. J’étais si touchée par cette femme, son parcours et sa dualité. Elle possédait un côté très star, diva, et une autre facette privée et sensible que l’on connaît moins. C’est ce contraste qui m’a passionné et m’a donné envie d’interpréter ses Lettres & Mémoires. Au théâtre, on représente Maria, pas La Callas. Quand j’ai joué ce spectacle pour la première fois au théâtre Marigny en 2019, à Paris, je ne pensais pas qu’on tournerait à l’international et que cela prendrait une telle ampleur. On est allé en Italie, à Istanbul, à Londres, au Portugal et en Grèce avec ce projet. Là, on revient à Paris avec une version symphonique, puis on ira à New York et à Los Angeles. Ça veut dire que ses Lettres & Mémoires et Maria Callas parlent à beaucoup de gens et les inspirent.
Qu’est-ce que vous fascine particulièrement chez Maria Callas ?
Maria Callas est encore bien vivante avec ses disques, car c’est l’une des plus grandes voix qui ait existé, mais aussi par sa personnalité. Les gens n’allaient pas seulement écouter la cantatrice chanter. Ils allaient aussi voir la femme. L’artiste était immense mais sa personnalité fascine également. Elle a eu un parcours assez exceptionnel. Elle était très courageuse dans son art. Elle a toujours suivi son cœur et son instinct. Elle a sacrifié toute son enfance pour son travail et sa jeunesse, en étudiant énormément. Et quand elle a rencontré Aristote Onassis, elle a sacrifié tout ce qu’elle avait construit par amour. Car elle vivait enfin sa vie de femme qu’elle n’avait jamais vécue jusqu’à alors. C’est une femme qui est morte de tristesse, de chagrin, d’amour [elle est décédée d’une embolie pulmonaire en 1977, à l’âge de 53 ans, avec sur sa table de chevet, des comprimés de Mandrax, un hypnotique dont qu’elle aurait pu consommer en trop forte dose, ndlr.]
On la voyait pourtant comme une diva, avec un côté un peu dur…
Ce qui est incroyable, c’est que quand on voit ses interviews à la télévision, elle semble si sûre d’elle lorsqu’elle parle de son travail et de la musique. On dirait que c’est une femme qui connaît bien la vie et que personne ne peut perturber. Alors que dans l’intimité, c’était quelqu’un d’ultra sensible, avec une capacité à percevoir les choses si intense que cela la rendait extrêmement fragile. Elle avait aussi un côté enfantin car c’était une femme qui n’a pas vécu. Elle a toujours travaillé, depuis toute petite. Elle n’avait pas vraiment d’expérience par rapport aux hommes, à la vie.
« Je crois que La Callas inspire toutes les femmes. » Monica Bellucci
Comment parvenez-vous à entrer dans la peau de Maria Callas dans Lettres & Mémoires ?
Je porte une robe ayant appartenu à Maria [prêtée par la collection italienne My private Callas et restée à l’abri des regards pendant 60 ans, ndlr], ce qui m’a aidé à entrer dans sa peau. J’étais très émue la première fois que je l’ai enfilée. Et puis il y a un décor intimiste avec une réplique du canapé qu’elle avait chez elle, à Paris et un gramophone sur scène ainsi que la musique de l’orchestre qui me porte. Elle rentre le sang.
Y-a-t-il une phrase qui vous bouleverse dans ces Lettres & Mémoires ?
Maria Callas me touche beaucoup quand elle parle de son travail et qu’elle dit : « Chanter, pour moi, n’est pas un acte d’orgueil, mais seulement une tentative d’élévation vers des Cieux où tout n’est qu’harmonie. » Elle ne chantait pas pour avoir du succès mais pour être connectée à quelque chose de plus grand dans une forme de transcendance. Et c’est la même chose pour les sentiments. Elle a le même rapport à la passion amoureuse que celui qu’elle entretient avec la musique. C’est une tragédienne naturelle. Je crois surtout que La Callas inspire toutes les femmes. Je parlais justement il y a peu de temps avec une copine à moi qui me demandait : « Tu crois que les hommes aiment autant la Callas que les femmes ? ». Elle avait une telle capacité d’aimer…
Maria Callas était aussi actrice…
Oui, elle n’a tourné qu’un seul film mais il était sublime : Médée (1969) de Pier Paolo Pasolini. Elle apparaît ultra moderne dedans alors qu’elle venait de la représentation théâtrale. Elle n’est pas dans l’exagération, mais va vers l’essentiel. Quand on regarde ce film aujourd’hui, c’est encore très beau. Maria Callas était aussi une interprète exceptionnelle quand elle chantait. Elle s’imprégnait vraiment de ses rôles dans chacun des opéras qu’elle a fait.
Angelina Jolie a été choisie pour incarner La Callas au cinéma dans un biopic de Pablo Larraín. Que pensez-vous de ce choix ?
Elle va être magnifique, d’autant plus que physiquement, il y a vraiment une ressemblance. Avec le maquillage, les similitudes peuvent s’avérer troublantes.
« Comme Maria Callas, j’ai un côté « gitane ». Et je parle toutes les langues avec un accent. » Monica Bellucci
Êtes-vous une grande fan d’opéra ?
Je viens d’Italie alors j’ai vu des opéras. Ce qui est drôle c’est que j’ai joué le rôle d’une cantatrice dans la série Mozart in The Jungle [qui a été diffusée sur Amazon Prime Video de 2014 à 2018, ndlr]. Et pour me préparer, j’avais lu et regardé beaucoup de choses sur les chanteuses d’opéra, leurs manières de se tenir et de travailler, et notamment sur la Callas. À l’époque, je ne savais pas du tout que j’allais interpréter ses lettres sur scène. C’était peut-être un signe du destin. Le destin imprévisible…
Avez-vous des points communs avec Maria Callas ?
Oui, je crois. Tom Volf a pensé à moi pour la nature méditerranéenne qu’on a en commun. Elle est née à New York, elle a vécu en Grèce à un certain moment de sa vie puis sa carrière a explosé en Italie et enfin, elle est venue à Paris. Elle se sentait un peu étrangère partout. Et c’est quelque chose que je ressens aussi parfois. J’ai également ce côté « gitane ». En plus, comme moi, elle parlait toutes les langues avec un accent.
Dans le documentaire The Girl in the Fountain, qui a été présenté au Festival Lumière en octobre dernier, vous jouez Anita Ekberg, l’actrice suédoise mythique de La dolce vita (1960). Existe-t-il des liens entre elles, La Callas, vous et toutes les femmes artistes ?
C’est drôle que les deux projets sortent presque en même temps parce qu’en effet, il existe des liens entre elles. Ce sont deux femmes indépendantes, libres, pionnières, qui arrivent en Italie à une époque bien précise. C’est le moment où les femmes artistes commencent à être indépendantes par rapport au star-système. Anita et Maria ont payé très cher cet esprit d’indépendance, pros pour de l’arrogance et leur franc-parler, car l’époque n’était pas prête à l’accepter ça. Elles ont fait école, et nous, les femmes d’aujourd’hui, on a beaucoup appris grâce à elles. Maria Callas voulait divorcer au moment où la loi ne le permettait pas en Italie. Et elle n’avait pas de poil sur la langue comme le dit une expression italienne. Elle parlait aux hommes d’une façon que beaucoup d’entre eux ne toléraient pas. Quant à Anita, elle a débarqué en Italie comme une tornade. Dans une atmosphère très domestique, alors que les femmes étaient cantonnées à leur foyer et à leur cuisine, sans reconnaissance sociale, elle achetait ses voitures, ses maisons, sortait la nuit. Du coup, elle était regardée avec curiosité, mais elle représentait aussi un danger pour la société des années 50 et 60.
« Le problème quand on est jolie, c’est que ça peut devenir comme une cage qui nous fige dans une image. » Monica Bellucci
Dans une interview accordée à France Inter, vous disiez que la beauté d’Anita Ekberg ressemblait à une Ferrari qu’elle n’arrivait pas toujours à conduire et qui la dépassait. En tant qu’ex-mannequin, avez-vous ressenti la même chose en débutant dans le cinéma ?
Oui, bien sûr. Le problème quand on est jolie, c’est que ça peut devenir comme une cage qui nous fige dans une image. Il ne faut pas du tout en parler comme d’une torture, loin de là. Mais le temps aide énormément (rires). Il faut attendre, ça ne dure pas, un autre physique se met en place et ouvre d’autres possibilités, d’autres rôles. Moi j’ai joué de tout ça. J’ai mis mon corps au service de mes rôles, comme un instrument de travail. Que ce soit dans Irréversible, Malèna ou La Passion du Christ, mon physique fait partie du personnage. Aujourd’hui, avec un nouveau visage et un nouveau corps, j’ai accès à des rôles différents. Avec un peu de maquillage et en grossissant un peu, je peux par exemple incarner une femme de pouvoir prête à tout pour protéger son statut (et son fils qui a de terribles déviations), dans le thriller Memory aux côtés de Liam Neeson, sorti en juillet dernier. On a pas besoin de beaucoup de choses pour se transformer.
L’une de vos deux filles, Deva Cassel, est mannequin et elle fera bientôt ses premiers pas au cinéma. Comment voyez-vous sa volonté de faire carrière dans l’industrie du spectacle ?
Deva, qui a 18 ans, a en effet débuté dans la mode et vient de tourner son premier film en Italie [The Beautiful Summer de Laura Luchetti qui se déroule à Turin dans les années 30, ndlr], en langue italienne. Et ma fille Léonie, qui a 12 ans et demi, prend des cours de théâtre et adore ça. Je suis très heureuse que mes deux filles aient déjà, très jeunes, des passions, et qu’elles possèdent une fibre artistique. Je suis contente que quelque chose leur plaise à côté de l’école et je veux les aider et les soutenir dans ses passions autant que possible. Après, elles prendront la route qu’elles désirent.
Quels sont vos projets ?
J’ai tourné dans une comédie d’action intitulée Mafia Mamma, réalisée par Catherine Hardwicke, avec Toni Collette, qui sortira en août 2023. C’est l’histoire d’une Américaine qui hérite de l’empire mafieux de son père. J’aime le fait que ce soit un film de mafia avec un twist féminin.
« Maria Callas, Lettres & Mémoires », spectacle conçu et mis en scène par Tom Volf au théâtre du Châtelet (à Paris) le 14 novembre 2002. Le documentaire « The Girl in the Fountain » (2021) d’Antongiulio Panizzi sera diffusé dans plusieurs festivals et évènements prochainement.