21 nov 2016

Rencontre avec Ludivine Sagnier, star de la série “The Young Pope”

Femme-enfant au charme versatile, Ludivine Sagnier s’impose comme l’une des actrices les plus douées de sa génération dans “The Young Pope”, la série du réalisateur oscarisé Paolo Sorrentino, où elle donne la réplique à Jude Law et Diane Keaton.

Propos recueillis par Olivier Joyard.

Huit femmes, Swimming Pool, Les Chansons d’amour, La Petite Lili, La Fille coupée en deux… La jeune actrice la plus douée et la plus désirée du cinéma français des années 2000 s’appelait Ludivine Sagnier. Depuis quelques printemps, l’ancienne protégée de François Ozon, de Christophe Honoré et de Claude Chabrol a moins tourné, orientée vers sa vie de famille. Son retour dans une ambitieuse série écrite et réalisée par Paolo Sorrentino (réalisateur de La Grande Bellezza) fait d’autant plus plaisir qu’il semble lui avoir ouvert un nouvel appétit – deux tournages sont prévus pour la comédienne dans les mois qui viennent, l’un avec Fabienne Berthaud, l’autre avec Kim Chapiron. À quelques semaines de la diffusion de la série The Young Pope, Ludivine Sagnier s’est confiée à Numéro.

 

Numéro : Vous êtes de retour là où on ne vous avait jamais croisée : à la télévision, dans la série de prestige The Young Pope, qui met en scène un pape fictif interprété par Jude Law.

Ludivine Sagnier : Je n’avais jamais fait de série, mis à part une sitcom en 1990, mais je ne suis pas sûre que ce soit la peine d’en parler [rires].

 

Il y a prescription !

Exactement. Et cette série ne passait pas sur HBO,
à la différence de The Young Pope, qui a été intégralement écrite et réalisée par Paolo Sorrentino. Le personnage que j’interprète est l’épouse d’un garde suisse. Un casting international a eu lieu, j’ai passé les essais bien gentiment, comme beaucoup de mes consœurs, et j’ai fini par être retenue à la fin !

 

En tournant avec Sorrentino, aviez-vous l’impression de faire du cinéma ?

Sur le plateau, Jude Law disait souvent qu’il avait l’impres- sion de tourner un film de huit ou dix heures, comme un extrêmement long métrage ! Je suis d’accord. Il y avait trois caméras presque en permanence, une infrastructure technique très imposante. Nous prenions le temps des prises et le tournage a duré six mois. De plus, Paolo Sorrentino a travaillé avec la même équipe technique que sur ses longs-métrages, sa bande de Napolitains.

 

Sorrentino était le seul maître à bord ?

Sans aucune ambiguïté, oui. Quand les patrons de HBO, la chaîne qui coproduit la série avec Canal Plus et Sky, sont venus sur le plateau, jamais je ne les ai entendus faire une remarque. Je pense qu’ils étaient amoureux de Paolo et qu’ils lui ont donné carte blanche, je n’aurais jamais pensé que ce soit possible avec un metteur en scène européen. Sa liberté a été totale. Lui a profité de cette situation pour s’éclater et expérimenter. Je ne connaissais pas Sorrentino avant, mais j’étais fan de son travail, notamment de ses premiers films. J’ai découvert une personnalité incroyable.

 

Vous avez connu d’autres réalisateurs singuliers dans votre carrière, de Chabrol à Ozon.

C’est drôle que vous citiez Chabrol. Sorrentino fume le cigare comme Claude le faisait, et je lui disais tout le temps qu’il lui ressemblait ! Il possède une sorte de bonhomie naturelle, mais aussi un côté ronchon. Il n’est pas si différent de Chabrol, je peux vous le dire, même s’il porte une boucle d’oreille et que ses goûts musicaux sont très différents. Dans l’attitude de Paolo, j’ai senti une sorte de distance par rapport aux choses, alors qu’en lisant les scénarios je percevais la passion et l’implication à chaque ligne. Je crois que c’est d’abord une question de pudeur des sentiments. Il ne s’éparpille pas dans les émotions.

 

Qu’est-ce qui vous accroche, en général, quand vous choisissez un rôle ?

Quand on vous présente un package Sorrentino + Jude Law + Diane Keaton comme c’était le cas ici, comment hésiter ? En plus, non seulement les scénarios étaient haletants, mais la jeune femme que j’interprète, Esther, une fervente catholique, me parlait beaucoup. Je n’avais jamais interprété de rôle de croyante au cinéma ou au théâtre, alors que j’ai moi-même un background assez lourd vis-à-vis de la religion catholique. C’était un challenge pour moi de ressortir quelque chose, d’exhumer une foi contrariée, une période de ma vie où cette question prenait beaucoup de place.

 

C’était pendant votre enfance ?

Plutôt mon adolescence. J’ai été une catholique très fervente entre 15 et 18 ans.

 

Votre crise d’adolescence a eu lieu à travers la religion ?

Complètement. Comme une jeune musulmane aujourd’hui qui va prendre le voile pour dire fuck à ses parents :
Fuck les libertaires, moi je suis straight, O.K. ?” C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup de mal avec les jugements actuels concernant les jeunes femmes musulmanes. Laissez-les faire leur crise d’ado… On a un besoin d’absolu quand on a 15 ou 16 ans, un désir d’intensité à trouver où l’on peut. Moi, je concentrais ce désir dans une démarche spirituelle. Je n’avais pas encore exploité cela au cinéma ou au théâtre, et j’ai été ramenée vers cette émotion de façon très intime par The Young Pope.

 

Le choix d’être comédienne, que vous avez fait assez tôt, était-il en rapport avec le fait de chercher une intensité ailleurs que dans la religion ?

J’ai effectivement laissé tomber la religion quand j’ai commencé à croire en l’art. Le sentiment de plénitude, de dépassement de soi que l’on peut ressentir quand le moteur est lancé, se rapproche d’une ferveur religieuse. Sorrentino m’a fait découvrir un thème captivant, celui de la transverbération. Un mot un peu compliqué…