Rencontre avec François Civil, le héros fougueux des Trois Mousquetaires
Sans se prendre au sérieux, François Civil est devenu une tête d’affiche : c’est lui que l’on retrouve ce mois d’avril dans le rôle principal du blockbuster Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan. Défis physiques ou intériorités subtiles, l’acteur français proche de la maison Fendi est sur tous les fronts, passionné mais aussi doté d’une légèreté inhabituelle dans le paysage du 7e art hexagonal.
Brandir son épée dans un film en costumes, masser une danseuse victime d’une blessure, transmettre les sentiments nus d’un homme qui regrette la femme qu’il a aimée, jouer un flic de la BAC durant un attentat terroriste, lancer des vannes dans une comédie potache : François Civil a fait irruption dans nos vies depuis le milieu des années 2010 avec la carrure irrésistible d’un acteur populaire et versatile. Il s’assume comme tel, et ce n’est pas si fréquent dans le cinéma français. Cela fait de lui une tête d’affiche incontournable. Dans Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan de Martin Bourboulon, l’un des blockbusters du printemps, en salle aujourd’hui, il incarne le personnage mythique d’Alexandre Dumas, rôle dont personne ne pourra contester qu’il était fait pour lui.
François Civil, le héros fougueux du film Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan
Agile, motivé, fluide dans sa manière d’occuper l’espace, François Civil a la tête de l’emploi. Sans peur et sans reproche, il s’est avancé vers ce monument de la culture française. “Jouer un grand classique français, c’était intimidant au début, glisse-t-il. On sait que c’est un gros morceau du patrimoine littéraire. Le rôle de d’Artagnan est lui-même iconique. Il fallait avoir les épaules solides car Jean Marais, Gabriel Byrne et Belmondo sont passés par là. On baisse un peu les yeux au début. Je me suis débarrassé de tout cela en me disant que nous sommes en 2023 et que cette version serait la nôtre. Mon idée de départ était, sans mauvais jeu de mots, de me mettre dans les bottes du personnage et d’imaginer ce que pouvait être un jeune homme de cette époque. On avait une envie de vraisemblance.”
Dans la liste de ceux qui ont endossé le costume du guerrier gascon, le nom de Jean-Paul Belmondo retient l’attention. L’acteur de Pierrot le fou, décédé en 2021, apparaît comme un modèle pour François Civil. “J’ai toujours été assez sportif et j’aime les rôles physiques. Je ne suis peut-être pas le cliché de l’acteur français, mais je salue complètement la diversité de notre cinéma. Je suis ravi de pouvoir naviguer d’un côté et de l’autre, et de renouer avec un esprit des années 1970-1980, quand Belmondo était connu pour faire ses cascades… Très modestement, j’ai essayé de vivre le tournage des Trois Mousquetaires comme un héritage et de réaliser moi-même le plus de cascades possible. Malheureusement, aujourd’hui, les assurances ont un regard un peu dur et c’est compliqué. Mais j’ai réussi à en faire pas mal !” La légèreté avec laquelle François Civil évoque son métier détonne dans un milieu souvent accroché à une haute idée de l’art, comme si les acteurs devaient donner des gages afin d’être pris au sérieux. Lui ne semble pas préoccupé par cette question et revendique sa singularité. “C’est tellement un plaisir quand on travaille par passion ! Quand on a la chance d’être là où j’en suis, on est bien payé, bien loti, sur un plateau de tournage on s’occupe de nous… C’est assez agréable. Je pense que le fait de traverser un peu de souffrance physique, comme cela a pu être mon cas, aide à avoir l’impression que l’on bosse.”
“C’est vrai qu’on est toujours en quête de légitimité et qu’on a envie de mériter sa place, mais il faut aussi continuer à voir tout cela comme un jeu.” – François Civil
Sur ce point, François Civil se souvient d’un conseil que lui a donné l’un de ses partenaires, l’expérimenté Vincent Cassel. “Ce roublard [rires] m’a dit : ‘C’est un métier facile, il faut l’accepter.’ Cela a beaucoup résonné en moi. C’est vrai qu’on est toujours en quête de légitimité et qu’on a envie de mériter sa place, mais il faut aussi continuer à voir tout cela comme un jeu.” Sa place, l’acteur de 33 ans l’a pourtant conquise avec une persévérance qu’il ne doit qu’à lui-même. S’il a été révélé au grand public avec la comédie Five d’Igor Gotesman en 2016, il travaillait déjà depuis l’adolescence. Quand il évoque ses débuts, le Parisien de naissance commence par faire les comptes. “J’ai 33 ans et j’ai commencé à 14 ans, dit-il. Donc, j’ai plus d’années au compteur en ayant fréquenté les plateaux de cinéma que d’enfance. Ça pique un peu, mais je crois que c’est dans ma nature de conserver un œil naïf et frais. Je continue à découvrir, et j’espère que ça ne me quittera pas.” Les premières découvertes ont eu lieu au moment de la fin du collège puis du lycée. “J’ai eu la chance de faire des rencontres, certains diraient que j’ai eu une bonne étoile”, explique l’acteur du Chant du loup, repéré par une directrice de casting lors d’un spectacle scolaire. “Sans Frédérique Moidon, qui était là pour voir sa fille et a insisté pour que je passe des castings, je ne serais pas là. Après notre rencontre, les choses se sont enchaînées, presque à mes dépens. Ma volonté personnelle est née progressivement. Jouer, ce n’est pas quelque chose que je voulais depuis tout petit.”
François Civil raconte ses premiers tournages, notamment sur la série de Disney Channel Trop la classe !, comme des instants suspendus où il avait le sentiment de vivre sa jeunesse à plein, heureux d’être considéré par les adultes, grandissant plus vite que ses camarades de lycée. Les choix artistiques ne font pas encore partie de l’équation. Ce n’est qu’en étant choisi par Laurence Ferreira Barbosa pour Soit je meurs, soit je vais mieux, un film d’auteur sorti en 2008, que la question du sens se pose. “Avant, je prenais vraiment ce qui venait : un jour sur un court-métrage, le lendemain sur un téléfilm. J’apprenais mon métier, et c’était galvanisant. Si on ne m’avait pas conseillé d’arrêter Trop la classe ! pour accepter le film de Laurence Ferreira Barbosa, je n’y serais pas allé. Parce que devant le scénario, je m’étais demandé ce que j’étais en train de lire. Ça ne ressemblait pas du tout à mes habitudes.” Une pré-nomination au César de la révélation masculine le convainc de poursuivre sur cette voie. Lors du dîner de présentation, il choisit comme parrain Cédric Klapisch… à qui il n’arrive pas à adresser la parole malgré son admiration pour Le Péril jeune et L’Auberge espagnole. Le cinéaste le rappelle pourtant quelques années plus tard pour Ce qui nous lie, qui reste le tournage le plus heureux de François Civil, dans les vignes de Bourgogne où sa famille, d’ailleurs, possède des parcelles. Avec Deux moi et En corps, les compères ont tourné au total trois films ensemble. François Civil a fait évoluer son jeu sous le regard du réalisateur à succès. “Deux moi a été le premier rôle qui m’a demandé une véritable introspection. Sur ce film, j’ai découvert la force du silence, car mon personnage est en dépression. Apprendre et restituer des dialogues de manière naturelle, j’ai toujours été à l’aise avec ça. Par contre, être filmé en ne disant rien, c’est un tout autre exercice. Alors, on pense des choses que le personnage ne dit pas. On comble le vide de l’activité cérébrale. Maintenant, j’écris des dialogues intérieurs quand il y a des silences. Généralement, je n’en parle pas au réalisateur, mais il arrive que certaines de ces répliques sortent toutes seules ! De toute façon, l’idée du tournage, c’est aussi de rater.”
Au-delà des clichés, on découvre avec François Civil un acteur en recherche constante, ce qu’il confirme en affirmant avoir “seulement commencé à gratter la surface” de ce qu’il pourrait faire. On le verra bientôt dans une série pour Netflix réalisée par Igor Gotesman, Fiasco, conçue comme un faux documentaire sur un tournage qui vire à la catastrophe. Il y retrouvera l’un de ses meilleurs amis, Pierre Niney, avec qui il partage un goût pour la comédie anglo-saxonne des vingt dernières années, de Steve Carell à Ricky Gervais en passant par Judd Apatow. Dans un tout autre style, il sera à l’affiche du nouveau film de Teddy Lussi-Modeste, qu’il vient de tourner, dans la peau d’un professeur en banlieue. “À un moment, j’ai dû plier un tout petit peu les jambes pour donner un regard à la bonne hauteur, et c’était clairement le truc le plus physique que j’ai eu à faire de tout le film. Et pourtant, je me suis senti poussé par Teddy et obligé par un personnage magnifique.”
“Tout le côté chevaleresque et panache du personnage me paraissait un peu ‘forceur’, à défaut d’un autre terme. On a travaillé dans le sens d’une relation plus douce, plus belle et consentie.” – François Civil
Les hommes qu’incarne François Civil ne sont pas tous des forces de la nature. Même durant Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan, l’acteur dit avoir beaucoup réfléchi sur l’image renvoyée par le héros. “On se base sur un roman écrit au 19e siècle et qui se passe au 17e. On a eu envie de faire un film moderne et on a beaucoup parlé, pendant la préparation, du rapport entre d’Artagnan et son amie. Tout le côté chevaleresque et panache du personnage me paraissait un peu ‘forceur’, à défaut d’un autre terme. On a travaillé dans le sens d’une relation plus douce, plus belle et consentie. Le personnage de Constance, joué par Lyna Khoudri – qui est incroyable dans le film –, a gagné en importance.” Être un acteur contemporain, ce serait donc rester à l’écoute de l’époque et apprendre constamment des autres. François Civil se souvient d’un moment qui l’a marqué lors du tournage du film Elles (2011) de la réalisatrice Małgorzata Szumowska, face à Juliette Binoche. “Je jouais son fils. Dans une scène, elle entre dans ma chambre et m’engueule un peu. Eh bien, elle n’a pas fait une prise identique, et tout était d’une grande justesse. Cela m’a complètement dérouté. On n’a pas d’autre choix que d’être bon face à des acteurs comme ça. Il faut les écouter et réagir, cela devient du jazz. Cela m’a fait comprendre que prévoir une manière de dire une réplique, c’est un piège, une promesse d’échec. C’est la mort du tournage et de la recherche !”
Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan (2023) de Martin Bourboulon, au cinéma le 5 avril 2023.