Rencontre avec Camille Cottin, qui réinterprète les chefs-d’œuvre de Picasso, Warhol et Matisse
Camille Cottin a imposé à l’écran une présence insolente et iconoclaste qui a rapidement fait d’elle l’une des plus grandes actrices françaises. Elle incarne également, en tant qu’ambassadrice de la maison Dior, un glamour smart et impertinent digne des plus grandes stars du cinéma. Pour Numéro art, elle s’essaie à un nouveau rôle : muse de l’artiste et photographe Lea Colombo qui la plonge au cœur de son univers pictural flamboyant dans une série hommage à Matisse, Picasso et Warhol. A cette occasion, elle s’est entretenue avec le magazine de son rapport très intime à l’art.
Découverte dans l’irrésistible série caustique Connasse, la comédienne française âgée de 44 ans a depuis considérablement complexifié sa palette d’émotions, en privilégiant les projets audacieux. Excellant autant dans le registre du drame (House of Gucci) que dans celui de la comédie (Dix pour cent), elle a imposé à l’écran son charme mordant et son charisme hors norme, jusqu’à séduire Hollywood. Elle sera prochainement à l’affiche des nouveaux films de Bruno Dumont, Ridley Scott et Kenneth Branagh.
Fille d’un artiste peintre, sculpteur et dessinateur et elle-même passionnée d’art, elle se prête aujourd’hui à une nouvelle aventure pour Numéro art. La comédienne prend la pose pour Lea Colombo, en se plongeant dans l’univers de trois immenses artistes célébrés par des expositions cet été : Matisse, Picasso et Warhol. Elle devient un instant muse, telle une Joconde vêtue de Dior (une maison dont elle est ambassadrice) qui aimante tous les regards. Tout comme elle aimante ceux du cinéma mondial.
Interview de Camille Cottin, photographiée par Lea Colombo
Lea Colombo a réalisé des portraits de vous s’inspirant de Warhol et Picasso notamment. Que représentent ces artistes pour vous ?
J’ai découvert Warhol quand j’étais adolescente, devant The Doors, le film d’Oliver Stone, et je me suis demandé qui était ce personnage tellement étrange avec son toupet. Mon œuvre fétiche serait la couverture de disque du Velvet Underground [sorti en 1967, la pochette représente une banane] car j’ai énormément écouté cet album, et que Warhol est indissociable de son époque, celle des années 70, et de son courant musical majeur. J’ai très envie d’ailleurs d’aller voir l’exposition qui lui est consacrée avec Basquiat. Quant à Picasso, il est un dessinateur hors pair académiquement, qui n’a pas hésité à tout faire voler en éclats pour explorer différemment son art. Il a réalisé des sculptures, des tapisseries, des estampes, des tableaux, etc. Il s’est exprimé par le biais de beaucoup de médiums différents. J’ai été particulièrement touchée par l’exposition au musée Picasso sur le lien qui l’unissait à sa fille Maya Ruiz au gré des œuvres qui ont traversé leur vie. Un tableau fétiche : Maya à la poupée et au cheval.
Quels autres artistes vous bouleversent ?
Caravaggio pour son traitement punk de l’histoire religieuse. Pour les expressions violentes et vives, très cinématographiques, l’émotion, le mouvement, l’instant et le clair-obscur. Très bon chef opérateur ! L’exposition Rembrandt-Le Caravage à Amsterdam en 2006 m’a particulièrement marquée. C’est là que j’ai découvert Caravaggio et ce fut un choc ! L’association avec l’œuvre de Rembrandt était fascinante.
« Mon père dessinait tout le temps, c’était son moyen de communiquer, de nous transmettre son affection aussi. » Camille Cottin
Pouvez-vous nous en dire plus sur la pratique artistique de votre père, Gilles Cottin, à la fois peintre, plasticien et dessinateur ?
Il a beaucoup dérivé les objets, les jouets, il a notamment travaillé sur l’obsession des dinosaures de toute une génération en faisant des sculptures à partir de jouets, il a aussi travaillé à partir du Neko chinois [petit chat porte-bonheur japonais en céramique à l’entrée des restaurants], une série sur les vanités. Dernièrement, il s’est consacré à Proust, qu’il vénérait, notamment en créant des bustes, dont l’un est exposé à Combray. Et puis va paraître, à titre posthume, un livre avec des citations de Freud accompagnées de ses illustrations. Il dessinait tout le temps, c’était son moyen de communiquer, de nous transmettre son affection aussi. Il créait sans cesse, il ne parvenait pas toujours à vivre de son art, mais il ne pouvait pas s’arrêter. Il était dans la création perpétuelle.
Avez-vous une pratique artistique ?
Je ne suis vraiment pas douée en dessin mais je prends beaucoup de plaisir à dessiner avec les enfants… mais ce n’est jamais mon dessin que l’on accroche au mur.
Avez-vous déjà ressenti une émotion très vive devant une œuvre ?
Je me souviens avoir été bouleversée lors de ma première visite au musée Rodin. La puissance émotionnelle des sculptures m’a émue aux larmes, tant pour celles de Rodin que de Camille Claudel.
« L’art questionne et, oui, c’est sa force bien sûr. Il est un rempart contre la censure et l’uniformisation de la pensée. » Camille Cottin
Avec quels artistes plasticiens ou photographes êtes-vous amie ?
Mon frère vient de finir les beaux-arts, un de mes très bons amis est un peintre très talentueux qui s’appelle Antoine Roegiers et dont la dernière série sur des paysages qui s’embrasent m’a beaucoup touchée. Ce qui me frappe, mais je risque de me répéter par rapport à ce que je disais sur mon père, c’est ce besoin vital d’exprimer son émotion, sa sensibilité, sa perception du monde par le biais des couleurs, des formes, de la matière, et comme pour la musique, il y a une variation infinie d’expressions. La peinture est une poésie muette. Et les peintres des poètes.
Vous avez tourné une publicité pour Wes Anderson où vous re-jouiez une sorte de Déjeuner sur l’herbe, topless, avec Brad Pitt qui passait dans le coin. L’œuvre avait fait scandale à son époque. Pensez-vous que l’art doit faire scandale ?
Ha ! ha ! oui, mais moi j’étais entourée de femmes et je crois que ce qui a choqué à l’époque sur le tableau, c’est que la jeune femme était nue sous le regard de deux hommes entièrement vêtus. Je pense qu’il y a en effet un clin d’œil au tableau mais surtout au film de Jacques Tati Les vacances de Monsieur Hulot (1953). Mais pour répondre à votre question, l’art questionne et, oui, c’est sa force bien sûr. Il est un rempart contre la censure et l’uniformisation de la pensée.
Pensez-vous que l’on peut rire de tout ? Et que cette liberté de ton dans l’art est toujours possible aujourd’hui ?
Oui, mais seulement si c’est drôle.
« J’aime bien remettre le corps au centre du travail d’acteur. » Camille Cottin
Quelles sont les femmes artistes, musiciennes ou actrices qui vous inspirent et pourquoi ?
Il y en a tant ! Je pense à Niki de Saint Phalle, puisqu’on parle de l’idéal féminin, et de ses sculptures de corps girons magnifiques, Virginie Despentes et son regard sur le féminin qui a littéralement révolutionné le féminisme avec King Kong theory, Cate Blanchett dans Tár (2022), qui livre une interprétation magistrale, Miss.Tic (street artiste connue pour ses pochoirs) qui enchantent les rues de Paris, Catherine Ringer, je pense aussi à Liliane Rovère. Je suis très touchée par les femmes dont l’esprit est aussi libre et punk à 80 qu’à 20 ans, peut-être même plus.
Quel regard portez-vous sur “l’idéal féminin” qui circule sur les réseaux sociaux ?
C’est drôle, en même temps, il a beaucoup évolué cet idéal féminin, et les tribunes pour changer le regard qu’on porte sur les femmes sont nombreuses. Néanmoins on continue à entretenir une vision idéalisée de la femme et de son corps.
Dans une interview, vous aviez repris une formule d’Antonin Artaud, “sportive affective”, pour définir le métier d’actrice. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, j’aime beaucoup cette image. Parce que le corps est l’instrument premier. Je pense qu’on peut avoir un corps intelligent. L’intuition pourrait être l’intelligence du corps. J’aime bien remettre le corps au centre du travail d’acteur. Bien sûr il y a une réflexion et une recherche, et des choix à faire pour construire un personnage et jouer une situation. Je me souviens d’une scène que je jouais avec Miou Miou qui m’avait marquée parce qu’elle avait été prise d’une émotion magnifique et je lui avais demandé comment elle travaillait. Elle m’avait répondu “je réfléchis, j’y pense, et j’attends que ça descende dans le corps”. C’est pour ça que j’aime beaucoup l’approche des Anglo-Saxons qui combine danse et chant dans l’apprentissage du jeu.
« Mes projets au cinema ? Je suis la reine du bien (qui est presque pire que le roi du mal), une mère de cinq enfants qui voudrait reprendre ses études, une nonne tombée amoureuse du plombier qui s’est reconvertie en femme de ménage maladroite. » Camille Cottin
Vous portez dans la série de photos de Numéro art les créations de Maria Grazia Chiuri. Quelle est votre relation avec la maison Dior et sa directrice artistique ?
C’est une relation de confiance et, en ce qui me concerne, d‘admiration ! Je suis très sensible à la démarche artistique de Maria Grazia Chiuri et l’esprit porté par la maison Dior. Je me reconnais dans ses créations et elles m’accompagnent dans les moments importants. Maria Grazia est une femme très cultivée et de chacun de ses défilés émane une source d’inspiration qui nous fait voyager dans histoire de l’art. C’est un voyage spatio-temporel, un régal esthétique et un plaisir ludique de découvrir ce qui l’a inspiré. Quant à l’esprit de la maison Dior, il se caractérise par une élégance minimaliste doté d’un caractère fort et inspiré.
On connaît l’engagement de Maria Grazia Chiuri auprès des artistes femmes. En avez-vous découvertes certaines grâce aux défilés ?
J’ai découvert le travail d’Eva Jospin que j’ai trouvé fantastique ! Elle avait créé à l’occasion du défilé prêt-à-porter printemps-été 2023, une grotte baroque immense faite en carton, inspirée notamment des Buttes Chaumont. Récemment, Maria Grazia a présenté sa collection fall 2023 à Mumbai. Elle a pu mettre en lumière sa collaboration étroite avec les
ateliers de broderie Chanakya et leur directrice Karishma Swali. Karishma a fondé une école de broderie qui forme uniquement des femmes, la Chanakya School of Craft (en Inde, la broderie est un art principalement réservé aux hommes). Un sublime Toran brodé par les ateliers Chanakya était installé devant la Porte de l’Inde. Le défilé était somptueux et ses créations étaient empreintes de traditions vestimentaires indiennes.
Que pouvez-vous vous nous dire sur vos derniers projets ? (L’Empire de Bruno Dumont, Toni en Famille, Golda, Mystère à Venise, France Terre d’Asile)
Ce sont des projets très variés, mais en quelques mots, si je cible les personnages, dans l’ordre, je suis la reine du bien (qui est presque pire que le roi du mal), une mère de cinq enfants qui voudrait reprendre ses études, une secrétaire dévouée en temps de guerre, une nonne tombée amoureuse du plombier qui s’est reconvertie en femme de ménage maladroite et une ex-avocate en droit d’asile qui s’est engagée dans une association d’accueil aux réfugiés. Et présentement je prends des cours d’équitation pour interpréter une chasseuse d’esclaves à l’île Maurice en 1739. Par ailleurs je vais également travailler sous la direction de Pierre Schoeller dans un film où certains tableaux de Rembrandt joueront un rôle central.
Quelle est la question qu’aucun journaliste ne vous pose mais à laquelle vous aimeriez répondre ?
(rires) Parfois, j’aimerais surtout qu’on me souffle la réponse que j’aurais aimé lire si ce n’était pas mon interview.
Camille Cottin est à l’affiche de Toni en famille (2023) de Nathan Ambrosioni, au cinéma le 6 septembre 2023 et de Mystère à Venise (2023) de Kenneth Branagh, au cinéma le 13 septembre 2023.