20 nov 2022

Rencontre avec Anya Taylor-Joy, l’héroïne magnétique du film Le Menu et de Dune 2

Quatre ans après le succès phénoménal de l’excellente mini-série Netflix Le Jeu de la dame, le charme gothique et le minois mutin d’Anya Taylor-Joy, 28 ans, sont partout. Et ce n’est pas sa prestation magnétique dans le thriller gastronomique et horrifique Le Menu, disponible sur Disney+, qui va calmer le jeu. Interview d’une actrice intense apparue dans Dune, deuxième partie et bientôt à l’affiche du film Furiosa.

propos traduits par Violaine Schütz.

Anya Taylor-Joy dans Le Menu (2022) par Eric Zachanowich © 20th Century Studios.

Quatre ans après le succès phénoménal de l’excellente mini-série Netflix Le Jeu de la dame, le charme gothique et le minois mutin d’Anya Taylor-Joy, 28 ans, sont partout. L’actrice enchaîne les projets, du sexy et étrange Last Night in Soho (2021) au très attendu Mad Max : Furiosa (qui sera présenté au Festival de Cannes) en passant par le film de vikings The Northman (2022). L’ambassadrice et égérie Dior est aujourd’hui l’un des noms les plus demandés d’Hollywood grâce à son jeu habité et son regard hypnotique qui en font une version blonde de Christina Ricci, une fille cachée de Mia Farrow ou encore une Bette Davis moderne. Sa beauté mystérieuse, tout sauf ordinaire se prête particulièrement aux films d’horreur et aux univers dérangeants. Mais son talent lui permet de briller dans tous les registres, du thriller policier historique (Amsterdam) à la série de gangsters ultra lookés (Peaky Blinders).

 

L’actrice de la série Le Jeu de la dame à l’affiche du film fascinant Le Menu

 

Son dernier coup de maître ? Une prestation magnétique et mordante dans le thriller gastronomique et horrifique Le Menu (2022), disponible sur Disney+ dès le 26 avril 2024. Elle y incarne une jeune femme ambiguë et fascinante, Margot, se rendant en couple sur île pour dîner dans le restaurant huppé d’un chef très en vue. Le long-métrage est une satire cruelle du milieu de la cuisine et de la façon dont il s’est embourgeoisé ces dernières années. La figure du chef n’est pas épargnée, ni celle des convives avides de sensations fortes à exposer sur les réseaux sociaux. Lors de la sortie du film en salle, en novembre dernier, Anya Taylor-Joy revenait sur les coulisses de cette truculente satire d’une ère qui porte « l’expérientiel » aux nues et se confiait sur ses goûts culinaires et ses rôles intenses.

 

Interview de la charismatique actrice Anya Taylor-Joy

 

Numéro : Comment présenteriez-vous Le Menu ?
Anya Taylor-Joy : Pour moi, c’est une satire extrêmement sombre qui étrille sans retenue la prétention qui peut entourer le monde de la gastronomie.


Au début, le film ressemble à une comédie loufoque…
Je suis d’abord tombée amoureuse de l’écriture. Je trouvais que les deux scénaristes Seth [Reiss] et Will [Tracy] étaient si vifs et drôles. A chaque fois que vous rigolez tout seul lorsque vous lisez un script, vous pouvez penser : « Ok, ça va marcher« . Puis j’ai adoré à quel point c’était inattendu et j’ai passé un moment vraiment amusant à le lire, donc je me suis dit que si je m’amusais à le lire, alors les gens allaient s’amuser à regarder ce film. Cela m’intéressait de faire quelque chose d’amusant, d’étrange et de satirique !

 

Margot semble décalée par rapport aux autres personnes (très bourgeoises, ndlr) qui dégustent les plats dans le restaurant. Comment imaginez-vous ce personnage le reste de sa vie ?
Je pense qu’elle est très autonome et satisfaite en dehors de cette expérience. J’imagine qu’elle n’a pas beaucoup d’amis mais pas parce qu’elle n’a pas pu s’en faire, juste parce qu’elle est plus à l’aise toute seule. J’imagine aussi qu’elle a un chat et un appartement avec beaucoup de livres. Elle aime ce qu’elle aime et – sans donner trop de détails pour ne pas spoiler le film – aime son travail, jusqu’à un certain point. Car je pense que lorsque nous la rencontrons au moment du film, elle arrive à un point où elle n’apprécie plus ce qu’elle fait dans la vie.

 

Le chef Slowik (incarné par Ralph Fiennes) désigne Margot comme une alliée. Que pensez-vous qu’il voit en elle ?
Je pense qu’ils ressentent une insatisfaction quant à l’endroit où ils en sont tous les deux dans leur vie. Et ce sont tous les deux étrangers. Ils sentent cette proximité l’un chez l’autre et dès qu’ils commencent à se parler, tout se passe de manière naturelle.

 

Est-ce que Margot ressent de la sympathie pour ce chef ?
Il y a une différence entre la sympathie et la compréhension. Comprendre ne signifie pas que l’on trouve quelque chose mauvais ou bon. Il n’y a pas de jugement moral là-dedans. Elle peut le comprendre tout en n’étant pas d’accord avec lui.

« Les personnages vous choisissent autant que vous les choisissez. » Anya Taylor-Joy

 

Il y a une dureté dans le personnage de Margot dans Le Menu qui fait penser à celle de Beth dans la série Le jeu de la dame (2020). Comment choisissez-vous vos personnages ?
Je pense que les personnages vous choisissent autant que vous les choisissez. Je vois définitivement une corrélation dans tous les personnages que j’ai joués, dans le sens où ce sont généralement des outsiders qui se révoltent et utilisent leur intelligence pour triompher d’une situation dans laquelle ils se trouvent. Ce qui est toujours amusant parce que cela signifie que vous vous embarquez dans un voyage avec eux, avec une nette évolution entre le moment où vous commencez et celui où vous arrivez à la fin. Mais oui, j’ai aimé que Margot soit piquante et qu’elle ne semble vraiment pas se soucier de ce que les autres pensent d’elle. C’était fun à jouer.

 

Pourquoi pensez-vous que l’on vous propose ce genre de rôles ?
J’ai toujours essayé d’être très différente dans mes choix, mais pour ce qui est des raisons pour lesquelles les gens viennent vers moi pour des rôles qui allient vulnérabilité et force, je pense qu’il faudrait demander aux réalisateurs ! J’ai l’impression d’être définitivement très connectée à mes émotions et sensible, mais je suis aussi dure. Cette industrie, tout comme le reste du monde, peut être impitoyable. Alors oui, je suis assez dure.

 

Vous semblez travailler énormément…
J’ai toujours travaillé dur. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait une autre vie pour un acteur qu’une vie où il fallait beaucoup travailler, donc je me suis habituée à bosser de cette façon. Je veux juste raconter ces histoires, parce que c’est ce que je préfère faire. Je pense que chaque rôle que j’ai endossé m’a appelé pour une raison et j’ai à chaque fois fini par apprendre quelque chose non seulement sur mon métier, mais sur moi-même. Je me sens très, très chanceuse d’être embarquée dans ce voyage.

 

Sur le tournage du film Le Menu, qu’avez-vous appris en particulier ?
C’était tellement amusant parce que c’était presque comme une pièce de théâtre et une grande partie du film était scénarisée, mais il y avait aussi beaucoup de place pour l’improvisation. Et comme tout le monde était à l’écran à chaque moment, même si ce que vous faisiez ne se retrouvait pas, au final, dans le film, vous le faisiez pour essayer de faire rire votre partenaire de jeu. Nicholas Hoult et moi étions en rendez-vous au restaurant pendant trois mois. Et nous essayions tous constamment de nous faire rire. C’était un groupe d’acteurs vraiment super, et nous sommes devenus de très bons amis. Tout le monde s’est amusé et nous avons juste passé un bon moment. Nous avons vraiment apprécié la compagnie des uns et des autres et de Mark Mylod, qui est un réalisateur formidable avec qui travailler. Il est si gentil, solidaire et compréhensif.

Anya Taylor-Joy à l’avant-première de The Menu à Londres, le 9 novembre 2022. Photo par Jeff Spicer/Getty Images pour Disney.

« Sur un tournage, vous devez rester un peu sain d’esprit d’une manière ou d’une autre ! J’ai pris beaucoup de pauses à l’extérieur. » Anya Taylor-Joy

 

Comment s’est déroulé ce tournage ? Aviez-vous l’impression d’être très éloignés, avec les autres acteurs, du reste du monde (le film se passe sur une île très isolée, ndlr) ?
Nous avons eu la chance de travailler à Savannah, en Géorgie, qui est une très belle ville. Nous ne vivions pas tous les uns sur les autres, mais nous étions ensemble sur le plateau pendant des mois. Il y avait très peu de fois où nous quittions cette pièce. Nicholas (Hoult, ndlr) a apporté un panier de basket pour qu’il puisse jouer au basket entre les prises. Vous devez rester un peu sain d’esprit d’une manière ou d’une autre ! J’ai pris beaucoup de pauses à l’extérieur. Je sortais, je regardais le ciel, puis je revenais… Savannah a des orages incroyables, alors parfois entre les prises, vous entendiez tout le bâtiment vibrer et vous pouviez vous exclamer : « oh, il pleut dehors… Cool ! »


Vous avez tourné face à Ralph Fiennes, un acteur avec une stature et une gravité particulières. Était-ce un défi ?
Absolument, Ralph possède cette gravité de façon innée. Il est aussi incroyablement généreux et doux avec ses manières et dans le temps dont il dispose pour vous. C’est donc quelqu’un avec qui vous pouvez vous sentir très à l’aise, assis dans un silence complet, en train de réfléchir ou de se laisser aller à un sentiment. Il installe une sorte d’espace sacré pour cela. Il crée de l’espace pour vous, pour la scène et pour que les deux personnes puissent évoluer dans cette scène. Il est aussi tout simplement merveilleux à regarder. Comme tout le monde dans ce film. Cela faisait partie du plaisir de tourner ce long-métrage. Chaque fois que la caméra n’était pas sur vous, c’était presque plus amusant parce que vous deviez regarder les autres être géniaux.

 

Est-ce que le film reflète ce que vous avez imaginé en le tournant ?
Mark, le réalisateur, et le monteur ont fait de très bons choix. Ce dont je suis vraiment heureuse, en tant que cinéphile – aller au cinéma est vraiment une expérience que j’adore – c’est que les commentaires que nous avons reçus sur le film de la part du public sont très bons. Et honnêtement, c’est la chose qui compte le plus pour moi. Les gens se sont tellement amusés à aller le voir et ils ont voulu aller le voir dans une pièce avec tout un tas d’autres personnes. J’adore les expériences cinématographiques comme celle-ci. Plus récemment, j’ai ressenti la même chose en allant voir Top Gun : Maverick (2022). Tout le monde passait un bon moment dans la salle, de manière personnelle et collective. L’idée de faire partie d’un film qui peut être aussi amusant pour le public, donnant envie aux gens de se donner rendez-vous et d’y aller en groupe d’amis ou avec leur famille, c’est ça qui me plaît.

Anya Taylor-Joy à l’avant-première de The Menu à New York, le 14 novembre 2022. Photo par Todd Williamson/JanuaryImages pour Searchlight Pictures.

Et si nous parlions de food et de vos goûts culinaires…
Je dirais que ma nourriture préférée est la nourriture italienne mais je suis aussi végan. Donc je prends tout ce qui est végan italien, sous n’importe quelle forme ! J’ai été incroyablement chanceuse car j’ai tourné un film à Philadelphie où il y avait des restaurants incroyables avec des plats végan. Il y avait notamment un super restau appelé Charlie was a sinner qui m’a confortée dans mon idée que le véganisme n’a pas à exclure toutes les recettes que vous aimez. Vous pouvez toujours les avoir mais avec d’autres ingrédients à l’intérieur.

 

Que dit, d’après vous, Le Menu, sur la nourriture et sur les classes sociales, soit les deux sujets qu’il aborde directement ?
Je pense qu’il met en garde contre le fait de devenir si gorgé d’expériences que vous risquez de devenir apathique face à une nouvelle expérience. La nourriture et la vie sont censées être appréciées. Mais il y a un niveau de prétention où vous arrêtez de profiter de quoi que ce soit. Tout devient une question d’image plutôt que d’une question d’expérience réelle. Et j’espère que c’est ce que les gens retiendront du film : qu’on peut parfois se permettre de prendre les choses moins au sérieux si cela veut dire en profiter davantage. Vous savez, c’est l’ironie de l’assiette de pain sans pain ! Ces gens sont ravis de ne rien recevoir. Parce que s’ils recevaient quelque chose, ce serait très commun. Ce qui est absurde. Je suppose que l’une des raisons pour lesquelles le chef Slowik veut faire ce qu’il fait dans le film est qu’il en a juste assez de regarder ces gens. Vous ne pouvez pas satisfaire ces clients. Il n’y a rien que vous puissiez faire pour les satisfaire parce qu’ils ont été si gorgés d’expériences qu’à un moment donné vous ne faites que poursuivre quelque chose en vain ou alors, vous êtes devenu absolument apathique.


Le Menu (2022) de Mark Mylod avec Anya Taylor-Joy, Ralph Fiennes et Nicholas Hoult, disponible sur Disney+. Remerciements à Jean-Baptiste Pean.