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Rencontre avec Alma Jodorowsky, bouleversante héroïne de la série Split
La talentueuse comédienne de 32 ans multiplie les projets et enchaîne les rôles exigeants, comme celui qu’elle interprète, actuellement, dans la série Split, une cascadeuse en couple hétérosexuel qui tombe amoureuse de la comédienne qu’elle double. En janvier, c’est dans une tout autre ambiance, celle d’un thriller, qu’on pourra apprécier l’étendue de son talent, dans le nouveau film d’Yvan Attal, Un coup de dés. Cette année, la ravissante ambassadrice Chanel passe aussi, pour la première fois, derrière la caméra et signe un premier court-métrage, L’Aînée, portant un regard sensible sur l’adolescence. Portrait d’une artiste discrète, en prise sur son époque, qui n’a pas fini de nous surprendre.
propos recueillis par Olivier Joyard.
Rencontre avec Alma Jodorowsky, à l’affiche du film Un coup de dés (2024) d’Yvan Attal
Pour essayer de comprendre ce qui traverse nos sociétés depuis quelques années, quelles mutations s’exercent, quelles images émergent, rencontrer Alma Jodorowsky aide à réfléchir différemment. À 32 ans, l’actrice qui tourne régulièrement depuis le début des années 2010 n’a peut-être pas le profil-type du monde nouveau : ultra parisienne, “blanche et fine, pas vraiment un emblème de la diversité”, comme elle se décrit elle-même avec un certain humour. Pourtant, la jeune femme est animée par des inquiétudes et des espoirs radicalement différents de ceux de ses aînés. Elle incarne à sa manière une génération qui a pris conscience des inégalités hommes-femmes et des violences qui les structurent, transformant sa vision des rapports humains et de l’art. “Je n’ai jamais eu le fantasme de représenter la jeune actrice parisienne, mais on a peut-être projeté cela sur moi”, explique- t-elle lucidement dans un café du quartier du Père-Lachaise. “Quand j’ai commencé à travailler, il y avait ces stéréotypes tenaces autour de la ‘jeune fille’, avec peu de rôles intéressants dans la tranche d’âge 20-30 ans. Sincèrement, je suis hyper contente d’être passée du côté des trentenaires : ce qu’on me propose aujourd’hui est bien plus intéressant ! Après #MeToo, davantage de réalisatrices travaillent et écrivent des rôles proches de nous. Je me sens profondément alignée avec ce moment.”
“Quand on se sent en confiance, on peut soulever des montagnes. Ainsi, dans Split, beaucoup de choses sont sorties de moi instinctivement ” – Alma Jodorowsky
À l’automne, Alma Jodorowsky a mis ses principes en pratique avec un premier rôle dans Split, la série radicale d’Iris Brey, qui raconte comment une cascadeuse en couple hétérosexuel tombe amoureuse de la comédienne qu’elle double. La cascadeuse, c’est elle, alors que tout semblait indiquer a priori que l’autre personnage lui était promis. Une façon assez réjouissante d’inverser les clichés et les attentes. “Dans cette série, Iris a cherché à voir au-delà de l’image que nous pouvons renvoyer, pour toucher à l’essence de chacun.” Une façon d’appliquer des idées que la réalisatrice a théorisées dans son ouvrage Le Regard féminin (éd. de l’Olivier, 2020) dont Alma Jodorowsky a été une lectrice attentive. “J’admirais déjà en elle la réalisatrice, du point de vue intellectuel et critique. La rencontre avec la personne est venue confirmer à quel point nous nous rejoignons sur de nombreux aspects. Quand on se sent en confiance, on peut soulever des montagnes. Ainsi, dans Split, beaucoup de choses sont sorties de moi instinctivement. Une certaine vérité est apparue de façon naturelle, sans que je la cherche consciemment.” Cette série, qui montre des lesbiennes heureuses, fait aussi référence à diverses artistes féminines majeures, de Musidora, grande dame du cinéma muet, à la réalisatrice expérimentale Germaine Dulac, en passant par l’écrivaine Violette Leduc. Mais les questions féministes n’ont pas surgi d’un seul coup dans l’existence de celle qu’on verra aussi prochainement dans Un coup de dés, le nouveau thriller d’Yvan Attal. Alma Jodorowsky évoque le tournant de son adolescence, quand sa mère lui a offert l’essentiel King Kong Théorie de Virginie Despentes à sa sortie en 2006. Elle avait alors tout juste 15 ans. “J’ai eu la chance d’être éduquée à ce genre de réflexion, y compris par l’école, où nous avons pu étudier des autrices. Le sujet est aussi de plus en plus présent dans le débat public, on a davantage accès à des livres et des films féministes. J’ai pu élargir mes horizons.”
“Je trouve parfois difficile d’assumer une part du métier dans laquelle on projette sur nous des fantasmes. Comme beaucoup de femmes, j’ai envie d’exprimer mes envies et mes désirs. C’est aussi pour cette raison que la réalisation m’intéresse beaucoup.” – Alma Jodorowsky
Le mot “horizons” résonne puissamment. Dans chacune de ses paroles, on sent une soif de découverte, comme si tout lui restait à accomplir. Et quand Alma Jodorowsky se tourne vers une carrière de comédienne, elle suit là encore la voie d’une subtile émancipation. Ses parents, Brontis Jodorowsky et Valérie Crouzet, sont tous deux comédiens, en particulier au théâtre, depuis sa naissance. “Choisir de devenir actrice était une façon évidente de me rapprocher d’eux, de rester dans un cercle familial proche. J’ai été témoin d’un univers professionnel merveilleux durant mon enfance dans les coulisses des théâtres, un monde tellement spécial. C’est assez fou de se dire que ça peut être un travail : on se demande comment on peut vouloir faire autre chose !” Peu à peu, Alma Jodorowsky a enrichi sa cinéphilie pour se diriger plutôt vers les plateaux de films : “Un moyen de prendre un chemin différent”, lance celle qui a mis ensuite des années à affiner cette vocation. “Il y a dans le métier d’actrice une temporalité étrange, des moments où l’on travaille plus qu’à d’autres. Se limiter à cela, c’est aussi répondre à une injonction de la société qui nous demande de rester dans une case. Ces dernières années, je me suis un peu écartée de cette façon de voir pour me connecter à ce que je voulais vraiment. Que ce soit réaliser ou encore jouer dans des projets comme la série d’Iris Brey, je me sens là où je voulais être, épanouie et libre.”
La réalisation, Alma Jodorowsky s’y est attelée depuis plusieurs années, sur les traces de son grand-père, le cinéaste franco-chilien iconoclaste Alejandro Jodorowsky, auteur notamment du mythique La Montagne sacrée en 1973. Celle qui a aussi été chanteuse du groupe Burning Peacocks et a collaboré avec La Femme en 2021, a laissé de côté la musique mais a mis en images les chansons des autres, via des clips pour Clara Luciani, Jaakko Eino Kalevi ou encore Corine. Ce n’était qu’un début. Elle vient de franchir le pas de la fiction avec son premier court-métrage, L’Aînée, qui mêle la découverte du désir par une jeune adolescente et le dévoilement d’un secret familial. “Devenir réalisatrice de fiction était en gestation depuis plusieurs années. Je l’ai vécu comme une révolution dans ma vie, une expérience bouleversante qui correspond à mon tempérament, car j’ai toujours aimé être le moteur d’une idée. J’y retrouve aussi un esprit de troupe qui manque un peu dans le travail d’actrice. On crée des liens affectifs forts pour façonner une histoire ensemble, porter une voix.” Elle cite Claire Denis, Alice Rohrwacher, Joanna Hogg ou encore Charlotte Wells, la cinéaste d’Aftersun, comme des repères. Même dans son métier de comédienne, Alma Jodorowsky cherche aujourd’hui les expériences novatrices. Elle a tourné cet été dans Les Reines du drame, le nouveau film d’Alexis Langlois, un réalisateur “à l’univers très glam, queer et punk” qu’elle adore. Début 2024, elle retrouvera la folle bande d’Antonin Peretjatko (La Fille du 14 Juillet), l’un des piliers de la comédie décalée en France, trois ans après un moyen- métrage en commun.
Son émancipation permanente passe aussi par une introspection, alors que le star- system demande aux jeunes actrices de se conformer à ses exigences. Un jeu qu’Alma Jodorowsky est capable d’apprécier, par exemple en tant qu’ambassadrice Chanel, mais auquel elle réfléchit constamment. Le premier plan de Split montre ostensiblement ses aisselles non épilées, bien loin de certains standards contemporains de la beauté féminine. “C’est moi qui ai suggéré cette idée, précise-t-elle. Cette question de la beauté me travaille. Dans mes réflexions féministes, je trouve parfois difficile d’assumer une part du métier dans laquelle on projette sur nous des fantasmes. À quel endroit a-t-on notre mot à dire ? Comme beaucoup de femmes, j’ai envie d’exprimer mes envies et mes désirs. C’est aussi pour cette raison que la réalisation m’intéresse beaucoup.”
Split d’Iris Brey. Sur la plateforme France.tv Slash. Un coup de dés d’Yvan Attal. Sortie le 24 janvier 2024.