Quels sont les meilleurs films de 2023 ?
Numéro a sélectionné les meilleurs films de l’année 2023, de la Palme d’or Anatomie d’une chute au blockbuster Barbie en passant par l’émouvant Aftersun et le spectaculaire Babylon.
Aftersun de Charlotte Wells
C’est un film évanescent et elliptique d’une telle beauté et d’une telle justesse qu’on a du mal à ne plus y penser, une fois la projection terminée. Dans Aftersun, premier long-métrage et véritable coup d’éclat de la réalisatrice écossaise Charlotte Wells, Paul Mescal incarne un père divorcé en vacances avec sa petite fille de 11 ans, en Turquie, à la fin des années 1990. Si dans cette carte postale du passé (dont se remémore, une fois adulte, l’héroïne), les deux êtres se livrent à des activités estivales a priori banales (piscine, glace, karaoké) aux alentours d’un hôtel low cost, on sent poindre chez cet homme mystérieux une fragilité et un mal-être aussi secrets que déchirants. En donnant un visage, magnifique, aux hommes qui souffrent en silence, Paul Mescal aurait pu remporté l’Oscar du meilleur acteur 2023, pour lequel il était nommé cette année aux côtés d’Austin Butler, de Colin Farrell et de Brendan Fraser. Une récompense précoce mais qui aurait été amplement méritée pour un comédien qui possède un don inné pour nous ravager le cœur. (VS)
How to Have Sex de Molly Manning Walker
Capturant avec justesse les moments d’euphorie comme les questionnements intérieurs que traverse Tara, l’une des héroïnes du film, Molly Manning Walker interroge dans How to Have Sex la pression sociale qui repose sur la première expérience sexuelle. En rentrant d’une soirée, les trois étudiantes font ainsi la rencontre d’un groupe de garçons occupant un appartement voisin. Dès lors, un rapport de séduction malsain s’installe entre Tara et Paddy (interprété par Samuel Bottomley).
Rappelant le thème et l’esthétique aux couleurs saturées du film Spring Breakers (2013) d’Harmony Korine, Molly Manning Walker ajoute à son long-métrage un propos éminemment sociétal et féministe lorsque Tara subit un rapport sexuel non consenti. Effrayée à l’idée d’en parler à ses amies, l’adolescente préfère dans un premier temps garder pour elle le récit de cette expérience traumatisante, laissant poindre une sensation d’angoisse dès lors qu’elle croisera le regard de son agresseur. Avant que ses amies ne prennent conscience de la situation, Tara sera plongée dans une solitude profonde, révélant un sentiment d’oppression chez les spectateurs. (NM)
The Fabelmans de Steven Spielberg
Autobiographie bouleversante pour les uns, interminable fresque d’une mièvrerie sans nom pour les autres, The Fabelmans, le nouveau long-métrage de Steven Spielberg est une longue déclaration d’amour au 7e art taillée pour les Oscars. Dans ce film-confidence directement inspiré de sa jeunesse – la caméra de l’Américain ne nous emmènera pas plus loin que son adolescence – Steven Spielberg s’adjoint encore les services du compositeur John Williams et du scénariste Tony Kushner, déjà aux manettes de Munich (2005), Lincoln (2013) ou West Side Story (2021) sacré “meilleur film musical” aux Golden Globes mais pas vraiment aux Oscars où seule Ariana Debose décrochera la statuette du “meilleur second rôle”. (AT)
Babylon de Damien Chazelle
Too much, sexy, grandiloquent, foutraque… Babylon, trip hallucinant et halluciné, ose à peu près tout et nous perd, parfois, par ses longues digressions (notamment lors de scènes dérangeantes dans un sous-sol peuplé de crocodiles et d’hommes mangeurs de rats, avec un effrayant Tobey Maguire). Mais la plupart du temps, l’épopée aux airs de carnaval qui se veut une lettre d’amour contrariée au cinéma s’avère palpitante, à la manière d’une version tragique et satirique de Chantons sous la pluie (1952).
On pense également à la série Netflix Hollywood (2020) de Ryan Murphy, aux films flamboyants et multicolores de Baz Luhrmann (Moulin Rouge, Gatsby le Magnifique), à la frénésie du Loup de Wall Street (2013) de Martin Scorsese, à l’exubérance sensuelle de Boogie Nights (1998), au Once Upon a Time… in Hollywood (2019) de Quentin Tarantino et surtout au livre Hollywood Babylone (1959) du cinéaste Kenneth Anger. Un ouvrage devenu culte qui conte les dessous trash de l’usine à rêves située à Los Angeles. (VS)
Anatomie d’une chute de Justine Triet
Anatomie d’une chute de Justine Triet – la Palme d’or 2023 – annonce sa teneur dès son titre : le long-métrage est bel et bien l’anatomie (dans le sens d’une analyse si détaillée qu’elle confine à la dissection) d’une chute, celle du corps d’un homme, qui tombe du haut d’une maison, et celle d’une relation amoureuse qui s’effrite. La métaphore médicale est appropriée jusque dans les mouvements de caméra, qui s’approchent au plus près des visages des héros comme mieux enfoncer dans les plaies. Le film débute par un drame : Samuel, prof de fac et écrivain raté, est retrouvé mort, dans le neige, après avoir chuté d’un étage élevé de chalet de montagne. On découvre alors Sandra, écrivaine, et Daniel, son fils malvoyant de 11 ans, effondrés par la tragédie. Une enquête pour mort suspecte s’ouvre, et les soupçons se dirigent, comme souvent dans les cas d’homicides, vers Sandra. La femme a-t-elle tué son mari ou s’est-il suicidé ? Ou est-ce un accident ? Le film nous plonge ensuite, avec réalisme et minutie, dans le procès de Sandra et les plaidoiries enlevées des avocats qui alternent piques cruelles concernant les stéréotypes de genre et saillies à l’ironie mordante. Le morceau de bravoure ? Sa scène d’ouverture au son de 50 Cent, durant laquelle Samuel écoute du rap à fond pour signaler son mécontentement durant une interview de sa femme. (VS)
Oppenheimer de Christopher Nolan
Alors que Cillian Murphy donne chair à cette figure historique qu’est Oppenheimer, Christopher Nolan lui donne un sens, entrecoupant son récit biographique de sauts en avant dans le temps. Ainsi, entre un cours donné à l’université de Bekerley et une réunion scientifique secret-défense à Los Alamos, le réalisateur insère des scènes en noir et blanc qui prennent, au fur et à mesure de l’histoire, toute leur signification. Star de ces plans : l’acteur Robert Downey Jr., qui interprète l’homme politique américain Lewis Strauss (1896-1974), membre de la présidence de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis aux côtés de Robert Oppenheimer. Seules entraves au déploiement chronologique du film, ces coupures nous plongent dans les débats houleux qui opposent les deux personnages dix ans après la création de la bombe… et prennent une nouvelle tournure lorsque les enjeux des deux partis se retrouvent liés par une seule et même personne. Les séquences repassent alors en couleur et s’intègrent au film, qui reprend une temporalité quasi linéaire et tranche ainsi avec le reste de la production de Christopher Nolan. (CBM)
Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras
Dans Toute la beauté et le sang versé, on (re)découvre la vie difficile de Nan Goldin, qu’on devinait déjà dans ses autoportraits crus et ses photos de ses amis marginaux. La photographe a été marquée par le suicide de sa sœur aînée, dépressive, et a quitté très tôt le domicile familial. Après la disparition de sa sœur, elle ne parlera pas pendant six mois. C’est la pratique de la photographie qui va la sauver. Capturer des moments de vie intimes d’êtres aimés (comme ses colocataires drag queens) la sort de son aphasie. Nan Goldin raconte, en voix-off, tandis que ses photographies – dont certaines inédites – défilent à l’écran, ses histoires d’amour lesbiennes, la violence physique d’un conjoint, son passage en maison close, ses expériences de go-go danseuse et de serveuse de bar. Sans tabou et sans filtre, à l’image de ses images frontales, l’artiste se remémore aussi des moments tendres comme son amitié avec l’actrice, auteure et critique d’art Cookie Mueller. Le témoignage précis et précieux de Nan Goldin permet de nous replonger avec vivacité dans le New York underground des années 80, fait de fêtes décadentes au Bowery ou au Mudd Club, de rencontres déjantées et d’esprit DIY. (VS)
Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese
Suivant les traces des western tardifs des années 1960 et 1970 (Little Big Man d’Artur Penn, Les Cheyennes de John Ford) qui reconnaissaient les violences atroces commises contre les Amérindiens, Scorsese dans Killers of The Flower Moon adopte un point de vue méditatif. Si les héros du film sont des blancs incarnés par DiCaprio et De Niro, le cinéaste des Affranchis en fait des bourreaux dont la violence est impardonnable en même temps que des figures de cinéma fragiles qu’il faut aimer. Il s’attache aussi à soigner les personnages amérindiens (géniale Lily Gladstone, aussi bien placée que ses congénères dans la course aux prochains Oscars) et à scruter leur terre avec amour, même si le film qui emprunterait radicalement leur point de vue reste à faire. Scorsese n’en aurait pas été capable : Killers of The Flower Moon reste une expression de culpabilité (thème scorsesien s’il en est) qui tente, non pas de réparer le mal qui a été fait, mais d’en imprimer puissamment les images. Dans la scène finale, le cinéaste apparait lui-même à l’écran. En dressant la morale noire de cette histoire au pays du roi dollar, il offre à ce film attachant, sincère et droit, sa profondeur définitive. Et sa brûlante actualité. (OJ)
Barbie de Greta Gerwig
Barbie est une fable (voire une farce) à la fois féministe, étrange et critique qui aborde les aspects positifs de la poupée Barbie – elle est censée donner envie aux petites filles de devenir présidente ou Prix Nobel – et négatifs et aliénants de celle dont les courbes filiformes irréelles et le côté très genré ont été vilipendés par les féministes. Le long-métrage entend, ce faisant, plaire à la fois aux fans de l’univers artificiel de Barbie, comme aux détracteurs de ce vecteur de féminité cliché, fonctionner comme une satire tout en étant un film de marque (Mattel). Le pari est dans l’ensemble réussi, et au passage, Greta Gerwig se permet de délivrer un message sur notre société moderne, faite de perfection truquée (l’ère d’Instagram et des filtres), de culte de l’apparence et de demandes contradictoires faites aux femmes. On regrette par contre que le scénario s’avère parfois un peu basique, didactique et simpliste. Si la démarche de la réalisatrice se révèle le plus souvent jouissive, surtout quand elle met en scène les dirigeants de Mattel – tous des hommes-, des longueurs se font aussi sentir, surtout dans la deuxième partie du film, quelque peu répétitive. (VS)
Le Règne animal de Thomas Cailley
La France a-t-elle un problème avec les films de genre ? La question s’est longtemps posée jusqu’à ce que Julia Ducournau s’impose avec Grave puis Titane. Le règne animal confirme que le cinéma français regorge de pépites. Une véritable claque signée Thomas Cailley. Il s’agit de son second film après Les Combattants qui glissait déjà vers un univers fantastique. Ici, le cinéaste assume pleinement ses envies quasi SF et imagine un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux. Paul Kircher y livre une prestation époustouflante et emprunte la voie royale en direction des César. (AT)
Showing Up de Kelly Reichardt
La grande force de la scénariste la réalisatrice Kelly Reichardt, qui a déjà collaboré plusieurs fois avec Michelle Williams (dans Wendy et Lucy, La Dernière Piste et Certaines femmes), c’est de dépeindre avec beaucoup de réalisme, de tendresse et d’humour, la vraie vie des artistes contemporains. Loin de la vision hollywoodienne de la figure du plasticien en être humain exubérant, multipliant les frasques et les envolées lyriques, la cinéaste montre une Lizzie très sobre, galérant, notamment financièrement et travaillant à côté de sa pratique artistique (en exerçant un métier plus administratif dans une école d’art).
Les gestes de l’héroïne interprétée avec beaucoup de subtilité, et sans fioriture, par Michelle Williams sont filmés avec minutie et justesse. On la voit peaufiner ses petites sculptures de femmes aux visages expressifs, avant d’aller les faire cuire dans une école d’art pour obtenir des couleurs vibrantes. Parfois, ça ne fonctionne pas, et l’une de ses créations phares brûle. C’est là toute la beauté de la pratique artistique : elle est aussi accidentée que miraculeuse. Dépouillé et intimiste, Showing Up atteint son climax lors de l’une de ses scènes finales : le pigeon recueilli et soigné par Lizzie (et sa propriétaire) prend son envol après le vernissage de l’exposition de l’artiste dans une galerie branchée de Portland. Difficile de faire plus symbolique : la femme asphyxiée du début du film s’est muée en artiste reconnue, accouchant à la vie par le biais de la création artistique et de la réception positive de son travail, qui a su toucher d’autres âmes marginales. Du chaos naît l’art, dit le slogan du film, mais de l’art, naît, la vie. (VS)
Chien de la chasse de Jean-Baptiste Durand
Chien de la casse est une histoire d’amour… Une idylle entre deux amis qui ne peuvent se passer l’un de l’autre. Jean-Baptiste Durand signe ici un premier film subtil sur fond de misère sociale qui sera certainement sacré aux César. Dog (Anthony Bajon) et Mirales (Raphaël Quenard) s’ennuient dans leur petit village du sud de la France, jusqu’au jour où Dog tombe amoureux d’une fille et délaisse peu à peu le second membre du duo. Le long-métrage frappe par la justesse avec laquelle il aborde le sentiment d’abandon, la jalousie voire la vantardise. On retient surtout les envolées lyriques improvisées (incroyables) de Raphaël Quenard. (AT)
Le Garçon et le Héron de Hayao Miyazaki
Durant son voyage et ses explorations successives, Mahito découvre finalement que le monde qui l’entoure subsiste malgré un équilibre précaire, à l’image d’une succession de pierres empilées qui pourraient à tout moment s’écrouler. Lors de sa rencontre avec l’un de ses descendants (qui a bâti la mystérieuse tour à la lisière de la forêt) il prendra conscience que si cet équilibre venait à être perturbé, le monde s’écroulerait et la nature reprendrait le dessus sur l’Homme.
Miyazaki livre ainsi avec Le Garçon et le Héron une vision poétique du monde selon laquelle l’harmonie d’une société est forcément nécessaire pour qu’elle ne sombre pas dans le chaos. Le jeune Mahito arrivera-t-il à trouver son propre équilibre pour que son monde ne tombe pas en ruines ? C’est une question que chaque spectateur peut, intimement, se poser. (NM)