Que devient Garance Marillier, l’actrice cannibale de Grave qui avait ébranlé Cannes ?
À tout juste 25 ans, Garance Marillier a déjà bien affirmé sa voix dans le paysage du cinéma à travers ses choix de rôles marquants, notamment auprès de la réalisatrice Julia Ducournau. Dans le film Marinette, à l’affiche le 7 juin, elle incarne une grande footballeuse française. La jeune comédienne et amie de la maison Fendi aborde ainsi, à travers le sport, des sujets féministes qui lui tiennent à cœur.
portraits par Sofia Sanchez & Mauro Mongiello.
texte par Olivier Joyard.
réalisation par Fernando Damasceno.
Rencontre avec l’actrice Garance Marillier, à l’affiche du film Marinette
Au printemps 2016, Garance Marillier venait d’avoir 18 ans quand elle a ensorcelé la Croisette avec les dents acérées de son personnage d’adolescente cannibale dans Grave. Le premier film de Julia Ducournau était présenté à la Semaine de la critique du Festival de Cannes. On parlait de révélation et de fraîcheur dans la représentation d’une jeune femme au désir vorace. Celle qui s’assied face à nous vient d’avoir 25 ans. Elle porte toujours les traces de ce rôle, avec cette certitude bien ancrée que les actrices ont le pouvoir de figurer des êtres complexes, retors, sûrement insaisissables. Elle croit dans la force de changement que portent les images et se dit “chanceuse” de pouvoir choisir les rôles qui ont un sens à ses yeux. Le prochain est particulièrement attendu : il s’agit du premier biopic sur une joueuse de foot. Marinette, réalisé par Virginie Verrier, dresse le portrait de la meilleure footballeuse française de l’histoire, de son enfance jusqu’à sa retraite prise à l’âge de 31 ans, après 112 sélections en équipe de France. Le film sort le 7 juin, avant la Coupe du monde féminine en Australie et en Nouvelle-Zélande : “Avec Marinette, j’ai le sentiment de porter un discours important. Elle a été une battante sur tellement de sujets : l’égalité homme-femme dans son métier, l’homosexualité dans le sport et dans la vie, les violences faites aux femmes, rien ne l’a épargnée, mais elle s’est battue.”
Du haut de son quart de siècle, celle que l’on a vue dans la série Ad vitam sur Arte estime que des changements sont en cours. “Je les perçois depuis que je travaille, et heureusement, car j’ai commencé il y a plus d’une décennie. Je vois de plus en plus de scénarios où le personnage féminin n’a pas juste vocation à être une amoureuse. Plein de rôles féminins sont forts et donnent envie, mais c’est acquis dans la sueur ! Adèle Haenel a parlé, beaucoup ont essayé de casser ce mouvement. Pour ça, c’est compliqué la France. C’est culturel.” Celle qui s’est aussi engagée contre la réforme des retraites prend la parole avec le sourire et une forme d’espoir implacable. “Je pense que dans la douceur on peut faire avancer beaucoup, glisse-t-elle. En même temps, l’énergie de la colère, je la trouve légitime et nécessaire.” Ce désir de s’exprimer au-delà de ses rôles lui vient de loin, d’une famille qu’elle décrit comme “très politisée”. Elle dit avoir besoin de se sentir utile, mais précise : “Cela ne veut pas dire que j’ai envie que l’espace public que j’occupe soit militant. Je sais que tout le monde n’est pas enclin à parler de politique. Les acteurs et les actrices n’y sont absolument pas obligés ! Je comprends que des gens soient mal à l’aise. Je n’ai pas du tout envie que ma parole soit politique, je n’en ai pas forcément les compétences. J’essaie juste de rester connectée. C’est très facile de se déconnecter de la réalité quand on est privilégié.”
La trace principale que laisse Garance Marillier reste liée à son art, une passion d’enfance. Sa mère l’a emmenée au casting de Junior, le troisième court-métrage de Julia Ducournau, car elle la voyait jouer des heures aux Playmobil et se mettre dans la peau de tous les personnages. “À 10 ans, j’ai regardé Vertigo et j’ai développé une obsession. J’ai visionné le film vingt fois en un mois. Je crois que je m’interrogeais sur le fait de jouer deux rôles dans un seul film. Petite, j’avais besoin d’incarner, de me transformer physiquement tout le temps. C’était possible parce que je pouvais jouer, mais quand j’ai grandi, il fallait que ce soit concret. Et le seul moyen était de faire du cinéma.” Ensemble, avec Julia Ducournau, elles ont construit une œuvre faite d’un court-métrage, du téléfilm Mange et de deux longs-métrages dont Titane, la Palme d’or 2021.Un travail sur la puissance et la violence féminine inédit dans le cinéma français contemporain. “Je pense que tout ça, ce sont des énergies. On produit ce qu’on est, et si avec Julia nous avons fait surgir quelque chose, c’est à cause de nos énergies. Elle fait malgré elle des films politiques, qui n’ont rien à voir avec le militantisme. Ils ont ouvert la porte à beaucoup de femmes, créent du débat.”
“Je vois de plus en plus de scénarios où le personnage féminin n’a pas juste vocation à être une amoureuse. Plein de rôles féminins sont forts et donnent envie, mais c’est acquis dans la sueur !” – Garance Marillier
Alors qu’on la croise souvent dans les défilés, la jeune femme évoque sa collaboration avec Fendi comme une extension naturelle de son travail, remodelant l’idée que l’on peut se faire d’une jeune actrice d’aujourd’hui. “Pour moi, la mode est une forme d’expression. Avec Fendi, je me retrouve, j’ai l’impression qu’un pas est fait vers moi tandis que je fais un pas vers eux. Il y a dans la marque quelque chose de dramatique, mais aussi d’intemporel et d’hyper moderne. Quand j’ai commencé le cinéma, on me donnait des habits, je n’avais pas forcément mon mot à dire. À un moment, j’avais l’impression d’être déguisée. Et j’ai commencé à porter des baggys, des sweats qui correspondent à ma personnalité. J’ai compris que les vêtements étaient pour moi une manière d’interpréter.” Est-ce que tout cela contribuerait à mettre la comédienne dans la case mode ? “Si je suis dans une case, je préfère m’y mettre moi-même. Je suis d’une génération qui a grandi dans les années 2010, avec des icônes pop aux identités fortes et revendiquées, aux directions artistiques assumées. Je pense à Lana Del Rey, dont j’étais fan quand j’étais petite. Elle avait quelque chose de différent, avec une image radicale. Billie Eilish aussi, l’une des premières pop stars dont on ne voyait pas les courbes car elle portait des vêtements amples, loin des carcans de la féminité. En tant qu’artiste, cela me passionne, même si ça ne vient pas d’acteurs ou d’actrices. Aujourd’hui, j’adore Rosalía. J’aime aussi beaucoup la Française Oklou, à l’univers très dark et fantaisiste.”
Ne comptez pas sur Garance Marillier pour tenir un discours alarmiste à propos de l’état du cinéma, tant elle porte, dans son attitude et dans ses choix, un élan vital. Elle parle des films qu’elle a aimés ces derniers mois, le magnifique Saint Omer d’Alice Diop et l’intense Rodéo de Lola Quivoron. Elle vante les mérites d’Isabelle Huppert pour son jeu, mais aussi sa manière de contrôler son image sans subir le système ; évoque les actrices de son âge tournées vers la sororité – “Tout le monde n’est pas systématiquement d’accord, mais on essaie de s’élever ensemble” – et finit par conclure, à son image : “J’ai envie de me dire que de tous les débats actuels, de belles choses surviennent.”
À ses heures perdues, Garance Marillier court aussi sur les terrains avec son équipe du Gadji FC. Elle a découvert le ballon rond assez tôt. Marinette Pichon était encore en activité mais elle ne la connaissait pas. “J’ai grandi comme beaucoup de petites filles dans un monde du foot où les femmes étaient invisibilisées. Mes parents ne voulaient pas que je pratique ce sport. Je jouais un peu dans la cour d’école, mais j’étais la seule fille. Les garçons me laissaient participer uniquement parce que je les faisais gagner. Maintenant, je peux enfin me faire plaisir et connaître tout l’élan du sport collectif. En m’intéressant à Marinette Pichon, j’ai aussi découvert qu’à un niveau bien moindre, je fais face aux mêmes problématiques qu’elle : pour trouver un créneau, mon équipe a du mal, les autorités laissent la priorité aux mecs.” Garance Marillier pourrait parler pendant des heures des difficultés de l’équipe de France, des inégalités salariales et de l’impossibilité pour la plupart des joueuses de haut niveau de vivre de leur passion. Mais on entend aussi autre chose, comme un écho du cinéma. “Quand je parle du sport, c’est aussi une manière de parler du cinéma, oui. À partir du moment où la société n’est pas égalitaire, cela apparaît dans tous les domaines. Les institutions ont du mal à se déconstruire et le débat y est compliqué. Heureusement, beaucoup de femmes essaient de faire bouger ça.”