Pourquoi le biopic sur Bob Marley est une catastrophe absolue
Le réalisateur Reinaldo Marcus Green défend Bob Marley : One Love, actuellement au cinéma. Produit par Brad Pitt et une partie de la famille du chanteur jamaïcain, ce biopic fade et franchement inutile ne prouve qu’une seule chose : les images d’archives suffisent amplement.
Par Alexis Thibault.
Bob Marley : One love, un biopic aussi fade que sa bande-annonce
Bob Marley avait-il vraiment besoin de ce biopic ? C’est la question que l’on se pose évidemment en sortant de la projection de Bob Marley : One Love, quatrième long-métrage de l’Américain Reinaldo Marcus Green, en salle ce mercredi 14 février. En 2022, le cinéaste délivrait pourtant une passe décisive à un Will Smith au bout du rouleau qui, après avoir giflé de toutes ses forces l’humoriste Chris Rock sur scène, avait rejoint son siège nonchalamment puis remporté dans la foulée l’Oscar du Meilleur acteur pour sa prestation dans La Méthode Williams (2021). Cette fois, Reinaldo Marcus Green délaisse l’entraîneur de tennis (père des championnes Venus et Serena) pour s’attaquer à Bob Marley, monstre sacré du reggae aux 250 millions de disques vendus et dont l’opus Exodus (1977) avait été sacré meilleur album du XXe siècle par le magazine Time, en 1999. L’artiste nous avait quitté tragiquement en 1981, à l’âge de 36 ans.
Il y a quelques mois, on avait déjà eu droit à une bande-annonce qui ne présageait rien de bon. L’ouverture par Redemption song et les plans hollywoodiens annonçaient clairement une caricature proche de la parodie qui ne lésinait pas sur les aphorismes un peu minables : la vie c’est beau et la paix c’est quand même pas mal. Comme si le reggae, et par extension le rastafarisme – un culte politico-religieux né en Jamaïque dans les années 30 –, transformait tous ses adeptes en baroudeurs pacifistes un peu déconnectés du réel. Si cette méthode cinématographique a encore de beaux jours devant elle, proposer un film “grand public” ne devrait jamais signifier “prendre les spectateurs pour des imbéciles”.
Malgré un angle très précis, le film ne raconte pas grand chose
Dès les premières images, on comprend que Bob Marley : One Love sera un long-métrage lisse et complaisant. Pire, on pressent que l’œuvre ne sera absolument pas… un film sur la musique de Bob Marley. Quant à Kingsley Ben-Adir (Barbie), l’acteur britannique qui incarne le musicien aux dreadlocks démesurées, on dira qu’il fait à peu près ce qu’il peut en tirant le meilleur de sa partenaire de jeu, l’actrice Lashana Lynch (Rita Marley). Sa performance ne restera clairement pas dans les annales mais, il faut aussi le reconnaitre et prendre sa défense, elle était complètement casse-gueule.
Proposer une biographie d’un artiste de cette trempe au cinéma (en une heure quarante) ne permet évidemment pas d’en exposer toutes les subtilités. Lorsque certains optent pour le spectacle façon Bohemian Rhapsody (2018), Rocketman (2019) ou Elvis (2022), d’autres misent sur la passion dévorante – Tina (Turner) de Brian Gibson ou Ray (Charles) de Taylor Hackford. Comment dévoiler toutes les facettes du personnage ? Comment montrer les différents visages du compositeur, du père et du conjoint sans trahir un peu la réalité ? Car c’est bien de subtilité que manque terriblement ce film. Un constat d’autant plus pénible lorsque l’on sait que l’équipe n’a pas lésiné sur les moyens en termes de promotion. On notera au passage un embargo critique drastique qui annonce, en général, un film très moyen.
Un contexte politique très intéréssant
Bob Marley : One Love survient douze ans après Marley, le documentaire de Kevin Macdonald qui avait, lui aussi, reçu un accueil mitigé. “Une enquête passionnante évoquant les travers de la star pour les uns” mais “une biographie informe et convenue” pour les autres. Alors, les légendes de la musique méritent-elles vraiment autre chose que des images d’archives ?
Reinaldo Marcus Green promettait de révéler une facette encore méconnue de Bob Marley en se fondant sur de réelles conversations. Il a choisi de s’intéresser à une certaine période de la vie du chanteur, de 1976 à 1978 pour être précis. Catégorisé comme un “musicien apolitique” (une définition sujette à débats), Marley était considéré par de nombreux jamaïcains comme un soutien du premier ministre Michael Manley (et non pas Marley), élu en 1970 à la tête du PNP (Parti national du peuple socialiste démocratique), peu après la démission de son propre père Norman Manley. Mais en pleine guerre froide, le sentiment anticommuniste s’éveille et le pays se divise clairement. Très vite les ghettos s’embrasent et la violence inonde les rues jamaïcaines. En résumé, le “socialisme démocratique” instauré par Michael Manley se confronte à la violence politique induite par la déstabilisation du régime. Le reggae devient alors un symbole politique d’insoumission sociale.
À 20h30, le 3 décembre 1976, deux jours seulement avant le concert Smile Jamaïca organisé au National Heroes Park de Kingston, plusieurs hommes armés s’introduisent dans la résidence de Bob Marley. Ils lui tirent dessus et tentent également d’abattre sa femme Rita, son manager Don Taylor et l’assistant du groupe Louis Griffiths. Touché à la poitrine et au bras, le chanteur montera malgré tout sur scène avant de se réfugier à Londres…
Le fan service aurait-il pu sauver le film ?
On cherche encore la “facette méconnue de l’artiste” dans ce biopic sans grand intérêt. La raison d’une telle déroute se trouve sans doute du côté des producteurs du long-métrage : l’acteur américain Brad Pitt, les deux enfants du chanteur, Ziggy Marley et Cedella Marley, ainsi que sa veuve, Rita Marley donc. Car sa femme joue ici un rôle important, comme si le film faisait office d’hommage posthume à son défunt mari et à leur histoire d’amour (légèrement) tumultueuse.
Quant à la dimension musicale de l’œuvre, cet intérêt pour une période précise nuit clairement au fan service qui aurait peut-être pu sauver le projet. On évoque par exemple Stevie Wonder sans le montrer, on fait l’impasse sur la rencontre entre Bob Marley et Mick Jagger en Jamaïque (bien plus tôt) mais aussi sur celle entre le musicien et George Harrison : le plus jeune membre des Beatles avait croisé l’interprète de Jamming en 1975. Qu’on se le dise, Bob Marley : One Love ne plaira pas aux fans. Aux cinéphiles non plus.
Bob Marley : One Love de Reinaldo Marcus Green , en salle.