Pourquoi “I Am Not Your Negro” est un documentaire essentiel
Sélectionné aux Oscars en 2017 et sacré meilleur documentaire au Festival de Toronto, “I Am Not Your Negro”, du réalisateur haïtien Raoul Peck s’inspire de l’oeuvre de James Baldwin pour s’attaquer crûment et profondément à l’une des failles endémiques des Etats-Unis : le racisme.
Par Camille Moulin.
James Baldwin approche de la fin de sa vie lorsqu’il débute son manuscrit Remember this house, resté inachevé. Né en 1924 à Harlem, il est l’un des plus grands écrivains afro-américains du XXe siècle, auteur de nombreux essais, pièces de théâtre et romans. À travers ses essais, il a su dénoncer le racisme chronique des sociétés occidentales, en particulier celui de la société américaine. Dans ce dernier manuscrit, il retrace et connecte la vie de trois hommes : Malcom X, Martin Luther Kings et Medgar Evers, trois militants qui ont tous sacrifié leur vie pour défendre les droits des Afro-Américains. Près de trente ans plus tard, en 2016, le réalisateur haïtien Raoul Peck s’est emparé de Remember this house, et lui a donné vie dans un documentaire poignant : I Am Not Your Negro.
Comme le déploiement d’un livre enfin terminé, le documentaire de Raoul Peck s’étend en six chapitres “Payer mes dettes” / “Héros” / “Témoin” / “Pureté” / “Vendre du nègre” / “Je ne suis pas un nègre”, évoquant tour à tour les mécanismes complexes de la ségrégation raciale aux États-Unis. Suivant le fil rouge tracé par James Baldwin lui-même et consacré aux trois militants morts pour la cause, le réalisateur condense en 1 heure 30 quatre siècles d’oppression, de l’esclavage aux manifestations de Ferguson en 2014 suite à la mort de Michael Brown, jeune Noir non armé tué par un policier blanc. Incarnant le texte de James Baldwin, la voix-off de Joey Starr – et celle de Samuel L. Jackson dans la version originale – exprime d'une voix rocailleuse les tensions suraiguës d’une lutte centenaire.
Alternant photographies d’archive et extraits de films hollywoodiens, I Am Not Your Negro oppose des clichés de manifestations pacifistes violemment réprimées à des scènes de films aux préjugés racistes fabriqués de toute pièce par la culture populaire. Mais ces images en noir et blanc ne font que renforcer une dynamique malheureusement toujours à l’oeuvre aujourd'hui. D’un talent oratoire saisissant, James Baldwin apparaît dans de courts mais captivants extraits, dont les paroles restent longtemps en mémoire, à l’image de sa dernière apparition dans le documentaire, où il analyse : “Ce que les Blancs doivent faire, c’est essayer de trouver au fond d’eux-mêmes pourquoi, tout d’abord, il leur a été nécessaire d’avoir un “nègre”, parce que je ne suis pas un “nègre”. Je ne suis pas un nègre, je suis un homme. Mais si vous pensez que je suis un nègre, ça veut dire qu’il vous en faut un.”
I Am Not Your Negro (2016), de Raoul Peck, disponible sur Netflix.