Perfume Genius, the good genie of pop
Avec un quatrième opus au glam-rock flamboyant et à la sensualité explosive, l’Américain Mike Hadreas, alias Perfume Genius, s’impose en digne héritier de David Bowie, de Marc Bolan et de Prince. Album bigger than life et décomplexé, No Shape est le manifeste pop queer d’une génération. Numéro a rencontré l'artiste à Paris à l'occasion d'un photoshoot exclusif.
Aux États-Unis, il y a toujours eu les cow-boys, les self-made-men et les yuppies. Et puis les Indiens, les freaks et les paumés. Il y a eu John Wayne. Et il y a eu Kurt Cobain. Et s’il y a aujourd’hui Donald Trump, il y a aussi Mike Hadreas. À la face arrogante d’une Amérique “virile” sans foi ni loi, le trentenaire originaire de Seattle jette avec fierté son personnage de Perfume Genius, fragile, exubérant et gender fluid. Ce genius d’une pop queer flamboyante se présente maquillé. Il n’hésite pas à porter des rollers dorés (dans sa vidéo Fool) et à se faire photographier en corset (pour Numéro). Ni sa jeunesse marquée par des épisodes violents ou homophobes, ni ses anciens problèmes d’addiction ne sont un secret. Il n’est pas une star malgré ça. Il est une star grâce à ça. “Tout ce que j’ai vécu, confie-t-il, de passage à Paris, a fait de moi un outsider. Et il y a quelque chose de profondément magique dans le fait d’être un outsider : une injonction à s’inventer loin des sentiers battus.”
“Il y a quelque chose de profondément magique dans le fait d’être un outsider : une injonction à s’inventer loin des sentiers battus.”
Évidemment, Perfume Genius n’est pas encore Beyoncé ou Bowie (avec lequel il a en commun une belle étrangeté vocale et un art assumé de la fluidité des identités) mais son précédent album Too Bright, sorti en 2014, l’a déjà installé en héraut d’une musique glam et sensible. Le site de référence américain Pitchfork le sélectionne alors parmi les meilleurs albums de l’année. Son tube Queen atterrit sur la bande originale de la série culte Mr. Robot : la vidéo enregistre quelques millions de vues sur YouTube. Ce n’est pas encore la gloire, mais assez “pour ne plus attendre dans les queues” s’amuse l’Américain.
No Shape est son meilleur album : le plus éclectique, euphorique, sexy, sensible, explosif, fébrile, excitant et vivant.
La gloire attendait sagement le nouvel opus de Mike Hadreas. No Shape est son meilleur album : le plus éclectique, euphorique, sexy, sensible, explosif, fébrile, excitant et vivant. Un immense disque pop. “J’ai gagné en confiance, commente le musicien. Je me suis senti capable de dépasser la simplicité des compositions piano-voix de mes débuts.” Mike Hadreas y convoque les voyages galactiques de Bowie et de son avatar Ziggy Stardust, les guitares ténébreuses de The Jesus and Mary Chain, la sexualité moite de Prince ou de Sade, l’intimité folk d’un Devendra Banhart, les envolées digitales d’un M83, l’émotion déchirante de Kate Bush, d’Antony and the Johnsons ou de Sigur Rós…
Le jeune Américain dessine pourtant les contours d’un territoire musical singulier et contemporain, réagissant violemment à son époque. Sa musique s’y déploie en forme de marche triomphante et de manifeste d’une Amérique métissée, queer et généreuse. “C’est grâce aux épreuves que j’ai traversées que j’ai appris la compassion”, explique-t-il avec la timidité qui le caractérise en privé. “J’écris pour tous ceux qui ont besoin de paroles réconfortantes. Pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls. Je chante ce que j’aurais aimé entendre quand j’étais plus jeune.”
“Mon enfance, c’était aussi des films comme L’Histoire sans fin ou Legend. Des contes épiques, mais aussi terriblement sombres qui ont infusé dans l’album.”
Tentative réussie de sortir des carcans imposés, l’album No Shape sonne aussi comme une invitation à retrouver une enfance idéalisée, “ce moment où l’on pouvait encore faire confiance à son instinct, explique le musicien, et où le regard des autres n’était pas encore une prison. Quand j’étais jeune, je ne faisais que danser et tournoyer dans tous les sens. J’ai voulu retrouver cette façon d’être… Mais mon enfance, dans les années 80, c’était aussi des films comme L’Histoire sans fin ou Legend. Des contes épiques, mais aussi terriblement sombres. Cet imaginaire a infusé dans l’album.”
La beauté de Perfume Genius tient tout entière dans cette ambiguïté, entre lumière et obscurité. “J’étais attiré par ces univers ténébreux, comme plus tard j’ai été attiré par les drogues, jusqu’à me brûler les ailes. Et en revenir”, ajoute-t-il. Ce retour à la lumière prend la forme, aujourd’hui, d’un grand spectacle jubilatoire et fantasmagorique. Il semble avoir pris ses quartiers dans une cathédrale, comme pour offrir un royaume à la mesure du son puissant et du personnage camp et bigger than life de Perfume Genius. “Il y a toujours chez moi un mélange subtil d’art de la performance et de naturel, commente Mike Hadreas. Si je porte du rouge à lèvres par exemple, c’est parce que ça me va bien. Je ne suis pas une drag-queen, ce n’est pas un déguisement. Et ce n’est pas non plus pour paraître cool, comme tous ces musiciens hétéros chez qui c’est devenu à la mode dans les vidéos et sur les photo shoots, mais qui se garderaient bien d’en porter dans la rue.”
”J’étais attiré par ces univers ténébreux, comme plus tard j’ai été attiré par les drogues, jusqu’à me brûler les ailes. Et en revenir”
Il y a quelques semaines sortait sur les écrans de cinéma Logan, un blockbuster atypique consacré à ce célèbre super-héros mutant des X-Men. Un univers a priori bien éloigné de Perfume Genius, et pourtant… Dans le long-métrage de James Mangold, la figure de Logan incarne l’Amérique mythique des origines, brutale, sauvage, mais chevillée à ses principes moraux. Cette Amérique, tout comme le héros, est mourante. Ses vrais héritiers y sont incarnés par une nouvelle génération de mutants : des enfants d’origine mexicaine persuadés qu’ils pourront fonder – tout comme l’avaient rêvé avant eux les pères fondateurs, immigrés eux aussi – une nouvelle nation, libérée de la violence. Comme si, face à l’Amérique pathétique des “winners” version Trump, l’entertainment grand public américain se souvenait – brutalement – de ce que le pays devait aux outsiders, ceux d’hier et ceux de demain… et aurait ainsi toutes les raisons, aujourd’hui, d’ouvrir grand ses bras à Perfume Genius.
No Shape de Perfume Genius (Matador Records/Beggars), disponible le 5 mai.
Perfume Genius est à l’affiche du festival We Love Green le 11 juin.