Un futur classique du hip-hop réunit A$AP Rocky, MF DOOM, Joey Bada$$ et Raekwon
Avec, à l’affiche, les superstars du genre, l’album de hip-hop Cheat Codes, première collaboration des légendes Black Thought (The Roots) et Danger Mouse (Gnarls Barkley), est un retour appréciable mais peu audacieux à l’ère fabuleuse du boom-bap…
Par Chloé Sarraméa.
Ce vendredi 12 août, Black Thought et Danger Mouse ont réveillé les morts. Le fondateur du groupe de hip-hop des années 90 The Roots et le producteur et ex-membre, avec CeeLo Green, de Gnarls Barkley ont, à coups de batteries, de synthés et d’instruments à cordes, ressuscité, le temps d’un album aux allures de mirage, ce que tous les amateurs de hip-hop ne cessent de pleurer : MF DOOM et le boom-bap. Ils dévoilent d’un coté, à titre posthume, un couplet du rappeur masqué le plus célèbre, adulé et déifié au monde (disparu tragiquement en 2021) et de offrent, en même temps, un lifting au genre caractérisé par l’omniprésence de la batterie et des samples, boudé par les rappeurs aujourd’hui glorifiés.
Il faut dire que Cheat Codes, le disque collaboratif resté dans les tiroirs de Black Thought et Danger Mouse depuis presque vingt ans – la faute, selon eux, à leurs emplois du temps – est un pur produit du courant musical qui a, au début des années 1990, propulsé le hip-hop en haut des charts aux Etats-Unis et fait décoller les carrières d’artistes originaires de la East Coast comme Prodigy et Havoc de Mobb Deep et le Wu-Tang Clan. Il a mué, au début du XXIe siècle, en chipmunk soul, genre initié par J Dilla, théorisé par Questlove (l’un des membres des Roots) puis repris par les artistes signés sur le label de Jay-Z Roc-A-Fella (Kanye West en tête) qui produisaient en utilisant des samples de titres de soul accélérés… Bref, c’est tout un pan de l’histoire du hip-hop qui renaît, là, sous nos pieds. Alors, on se demande : ce retour dans le temps est-il vraiment nécessaire ?
Sans conteste, la réponse est oui. À l’heure où l’on est assaillis de trap sous toutes les sauces et de drill venue de tous les continents, un peu de rap old school ne peut pas faire de mal. C’est même carrément, comme diraient les anglophones, un blessing. Sur les douze titres ultra efficaces de ce disque tant attendu, le producteur de New York et le rappeur de Philadelphie continuent de redéfinir le récit Afro-Américain. Une réécriture qu’ils ont amorcée, chacun de leur côté, dès le début de leur carrière. En 2004, Danger Mouse réalise la prouesse de réunir Jay-Z et les Beatles sur The Grey Album, un mix des textes de Shawn Carter sur des samples du neuvième album du boys band anglais. Black Thought, lui, produit depuis trente ans avec les Roots une musique politique qui lui confère le statut, auprès de la critique, du publie et de ses pairs, de théoricien du hip-hop, voire de sage.
Ces deux-là s’unissent donc, avec chacun leur bagage, pour produire un son qui rend hommage à culture noire. L’un livre des mélodies qu’on croirait tout droit sorties des 45 tours de soul des années 60 – et parfois de funk des années 70 – et l’autre enchaîne les rimes bourrées de références à l’histoire afro-américaine – citant, notamment (sur le titre Sometimes, en ouverture de l’album), Jamel Shabazz, célèbre photographe new-yorkais connu pour ses clichés de Brooklyn et dont l’une des photos a été utilisé par les Roots pour la pochette de leur chef-d’œuvre sorti en 2011, Undun. Ils cumulent les invitations habiles, réunissant Michael Kiwanuka, chanteur folk britannique souvent comparé à Otis Redding et lauréat, en 2020, du prestigieux Mercury Prize, l’icône du rap et membre fondateur du Wu-Tang Clan Raekwon et, MF DOOM, donc. On suppose que Danger Mouse, qui a déjà travaillé avec lui par le passé, en 2005, pour un album à quatre mains intitulé The Mouse and the Mask et sorti sous l’alias Danger DOOM, a du sortir ce couplet de ses précieuses archives.
Qu’importe, la qualité et la diversité des collaborations ne sont pas vraiment ce que l’on attend de ce disque… Même s’ils convient le nouveau et l’ancien – et font, au passage, dans le politiquement correct ou le mainstream, c’est selon -, dont un A$AP Rocky fatigué et flemmard, le duo de vétérans Run the Jewels, le rappeur de Buffalo Conway the Machine (accompagné de son producteur Griselda) et (là, on n’a pas du tout compris pourquoi) Russ, les deux légendes ont servi des ballades quand on voulait de la rage (Violas and Lupitas) et des récits quand on voulait des poèmes. Bien qu’irréprochables, il faut bien le reconnaitre, dans leurs domaines de compétence – à savoir les rimes et les mélodies – Black Thought et Danger Mouse livrent un futur classique qui ne s’écoute pas en boucle. Ils manquent, ici, de quelque chose que l’on invente pas : l’audace.
Cheat Codes (2022) de Black Thought et Danger Mouse, disponible chez BMG.