Rencontre avec Sofie Royer, l’ancienne DA de Boiler Room devenue musicienne
L’ancienne directrice artistique de la célébrissime entreprise de diffusion de DJ sets sort chez Stones Throw – le label de J Dilla et Madlib où elle a débuté sa carrière en tant que stagiaire il y a plus de dix ans – Harlequin, un album de pop-rock qui rend hommage à Twin Peaks et au cabaret. L’occasion de rencontrer la chanteuse autrichienne née en Californie, danseuse et boxeuse à ses heures perdues, entre un show au Soho House à Paris et la première partie du concert de Lewis OfMan à La Cigale.
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
Numéro : Alors que sera dévoilé, le 23 septembre, votre nouvel album, Harlequin, chez Stones Throw Records, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Sofie Royer : Je suis musicienne, multi-intrumentiste et compositrice Je fais de la musique depuis l’âge de 4 ans, surtout du violon. J’ai appris le piano seule, je chante aussi, mais depuis peu – un an environ.
Il paraît que vous avez appris seule à jouer du piano.
Je ne suis pas excellente, mais ayant toujours pratiqué le violon, j’ai appris qu’il n’y a pas d’à peu près. On ne peut pas jouer faux : si un doigt n’est pas bien positionné, ce sera une catastrophe. Le piano, c’est mécanique, tout sonne bien. C’est mécanique. Tout le monde peut apprendre tout seul… J’ai d’ailleurs composé la plupart des morceaux de mon album sur mon piano, dans mon salon.
Sur cet album, vous semblez être très influencée par le cabaret.
Je suis très influencée par le cabaret baroque. Notamment Arthur Schnitzler [auteur austro-hongrois de la première moitié du XXe siècle] qui, à travers son art, exprimait déjà des critiques sur la société et le système de classes.
Qu’est ce qui vous plaît dans le cabaret ?
C’est l’art ou l’on peut mêler engagement, comédie et drôlerie tout en étant sexy. On ne voit jamais ça à l’opéra, par exemple ! J’adore tout ce qui est contrasté et je suis saoulée par l’homogénéité de la culture et de la création qui, peut-être, existe à cause des réseaux sociaux… Tout est ennuyeux et les artistes ne prennent plus aucun risque. Ils font dans le politiquement correct, c’est regrettable.
Après avoir longtemps vécu à Los Angeles, vous êtes retournée à Vienne, où vous avez grandi. En quoi cela modifie-t-il votre pratique en tant que jeune musicienne ?
Il y a des points positifs et négatifs. Concernant les concerts, c’est compliqué : on ne m’appelle pas beaucoup pour jouer dans ma propre ville. C’est assez dur parce qu’on est éloignés de tout et, en même temps, cela permet de vraiment développer son art sans être influencé par telle ou telle scène.
Pourquoi y être revenue ?
À 19 ans, j’ai rencontré, à Los Angeles, le fondateur de Boiler Room. À l’époque, je travaillais chez Stones Throw Records et j’ai commencé à bosser pour la plateforme anglaise en même temps, la première année qui a suivi son lancement. C’est devenu gros très vite, j’ai eu beaucoup de responsabilités et, à 20 ans, je me suis retrouvée à devoir gérer des levées de fonds, à trouver des clients… Ça a duré des années puis ma mère a eu un cancer. C’était très dur et je me suis séparée de mon compagnon, avec qui j’étais fiancée. J’étais trop jeune pour me marier dans tous les cas… Aujourd’hui, elle va mieux et je me dis que, dans un sens, c’est bien que ce soit arrivé comme ça : je ne ferai pas ce que je fais aujourd’hui si je n’avais pas quitté mon travail.
Rêviez-vous déjà de devenir musicienne ?
Je jouais déjà à l’époque. Je joue du violon depuis que j’ai 4 ans, à 9 ans, j’ai joué au Carnegie Hall à New York, à 14 ans je suis rentrée au Conservatoire de musique de Vienne, j’ai toujours écrit des morceaux, je produis pour d’autres artistes, notamment Rejjie Snow, et Anderson .Paak et Knxwledge pour qui j’ai joué du violon sur leur projet NxWorries.…
Travailler chez Stones Throw Records vous a-t-il donné l’impulsion pour vous lancer ?
Quand j’y travaillais, j’ai signé Knxwledge et mon coloc de l’époque, Mndsgn. Ça a été un moment décisif, pour eux comme pour moi. Idem pour Kaytranada, dont j’ai aidé à organiser sa première Boiler Room. Souvent, ce sont des artistes que j’ai découverts sur SoundCloud…
Lorsque vous travailliez chez Stones Throw et Boiler Room, aviez-vous le temps de créer ?
Je n’y arrivais pas. On pense qu’on aura toujours plein d’énergie créatrice, mais non. Avec le temps, je me suis demandée si je voulais utiliser cette énergie pour moi ou pour les autres. Parce que tu ne peux pas avoir deux jobs à plein temps dans l’industrie de la musique, rentrer chez toi et écrire des morceaux.
Vous êtes très active sur les réseaux sociaux. Est-ce par obligation ?
Non, je m’amuse sur TikTok ! Je fais des trolls, c’est fun. Je suis enfant unique. Mes parents et moi avons beaucoup déménagé, j’ai sauté deux classes et j’étais toujours la plus petite… Être sur les réseaux, c’était cool, j’ai directement senti que je pouvais connecter avec d’autres gens.
Quelle est votre collaboration rêvée ?
J’adore Todd Rundgren, Donald Fagen, Steely Dan et 10 CC. Jane Birkin, aussi !
Harlequin (2022) de Sofie Royer. Disponible le 23 septembre chez Stones Throw.