13 avr 2022

Rencontre avec le producteur Darius : « La French Touch 2.0, ça veut tout et rien dire »

Il est DJ, producteur, graphiste et photographe. Connu pour les tubes house et disco Maliblue (2012) et Hot Hands (2014), Terence Meunier alias Darius a dévoilé, ce vendredi 22 avril, son deuxième album, Oasis, cinq ans après Utopia. Le talentueux trentenaire s’est entretenu avec Numéro sur les coulisses de son nouvel opus.

L’artiste français Darius est de retour avec une nouvelle prouesse musicale. Cinq après avoir sorti son premier opus Utopia, Darius a enfin dévoilé ce 22 avril, son deuxième album, Oasis. Quatorze titres aux influences soul, funk, disco et R’n’B, dont six étaient déjà sortis sur un premier EP/prélude à la fin de l’année 2021. Toujours fidèle au style originel qui a fait le succès de ses deux premiers EP Velour (2012) et Romance (2014), l’artiste français, membre du label Roche Musique, a travaillé, sur ce nouvel album solaire et dansant, en proposant de nouvelles sonorités. Pour y parvenir, il a eu recours à un panel de collaborations, en totale correspondance avec son univers. Notamment, la californienne Kadhja Bonet (sur le titre Nothing To Me) ou encore Darianna Everett, la chanteuse de Hot Hands – le titre le plus écouté de l’artiste (45 millions d’écoutes sur Spotify) – mais aussi l’artiste néo-soul Flwr Chyld.

 

Bercé par les notes de piano et de guitare de son père et par les références funk de sa mère, Darius a toujours été fasciné par la musique. Tandis qu’il s’engage dans des études de graphisme, il commence tout naturellement à composer, pour son seul plaisir, sur le logiciel FL Studio. Une activité qui finit par dévorer le reste et le conduit à tout plaquer pour se lancer à temps plein dans la musique. À 19 ans, Darius part à la rencontre d’un certain nombre de musiciens pour leur soumettre ses maquettes musicales et avoir leur avis. Ils adorent. Le jeune homme continue à approfondir sa maîtrise technique des logiciels et des machines jusqu’au jour où il rencontre les artistes Kartell et Cezaire, qui deviendront ses amis. Ils vont ainsi le pousser à partager sa musique et à se produire sur scène. L’engouement qu’il suscite est tel qu’à 22 ans, en 2012, Darius sort Velour, son premier EP, qui rencontre un succès considérable. Le titre Maliblue enflamme les amateurs de house et de disco. Deux ans plus tard, il dévoile son deuxième EP Romance, incluant son tube Hot Hands, titre le plus apprécié et playlisté à ce jour. En parallèle, l’artiste s’accomplit dans le milieu de la photographie argentique, sa deuxième passion. En ce début d’année 2022, Darius dévoile enfin son deuxième album, Oasis. Rencontre avec une figure phare de la scène électronique française.

© Manu Fauque

Numéro : Qu’est-ce qui différencie Oasis de votre premier album Utopia ?

 

Darius : Franchement, Utopia a été l’album de la souffrance et m’a demandé énormément de travail. Dans ce projet, je voulais vraiment m’affirmer en tant que producteur et aller au bout de mes idées. Ça a donné finalement quelque chose d’atmosphérique et d’ésotérique, avec beaucoup de symboles. Puis, en 2020, j’ai eu envie de revenir aux sources avec un morceau plus funk, disco et dansant, et j’ai sorti le titre Equilibrium. J’ai enfin réussi à obtenir les couleurs que je voulais et ça m’a vraiment libéré. Puis, les deux années qui ont suivi, je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir proposer. Et ma mère m’a répété plusieurs fois : « Mais, fais des musiques dansantes ! » Je me suis alors lancé dans la composition d’un second album. Oasis regroupe beaucoup de mes inspirations et de ce que j’ai pu faire à mes débuts, mais j’ai essayé de varier les plaisirs. J’ai mêlé la couleur et la chaleur que j’avais sur Velour, la puissance et la rythmique de Romance et l’atmosphère planante d’Utopia. Ma volonté, sur Oasis, c’était vraiment de faire un cocktail de tout cela et de regrouper des artistes talentueux et internationaux. J’aime tout mélanger.

 

Pourquoi l’avoir d’abord sorti en EP/prélude avant de le sortir en album ?

 

La composition d’Oasis a été un processus lent : les morceaux sont arrivés au compte-goutte. Au bout d’un moment, j’en avais six qui étaient terminés, et comme ça faisait un moment que je n’avais rien sorti, j’étais tout excité et j’avais envie de les partager le plus rapidement possible. C’est comme ça que j’ai sorti Equilibrium, le premier volet d’Oasis, en 2020. Ça me permettait à la fois de m’inscrire dans une perspective d’album et de proposer des morceaux, sans tout dévoiler. Le fait de le présenter non pas comme EP mais comme “prélude”, cela annonçait qu’il allait y avoir une suite.

 

Quel est votre titre fétiche d’Oasis

 

En fait, il y en a deux. Ease Your Mind, j’en suis vraiment content et fier. C’est un peu pour moi la continuité d’Equilibrium, où j’ai cherché le côté dansant, avec des sonorités rétro et funky, accompagné d’une voix plus pop. J’ai eu beaucoup de chance car je devais le sortir en version instrumentale, et finalement, le chanteur Devin Tracy est venu me trouver sur Instagram. On a discuté, je lui ai envoyé deux démos et dès le lendemain, il m’a retourné le morceau avec sa voix. Quand je l’ai écouté, j’ai pleuré. J’étais un peu à fleur de peau, j’avais bossé toute la nuit. Mais c’était littéralement parfait, il ne me restait plus rien à faire, c’était totalement ce que j’attendais. Cela a été un hasard total, mais Devin est arrivé pile à temps. Surtout que le titre Ease Your Mind, « apaise ton esprit », a un aspect très symbolique. Ça fait vraiment du bien d’être enfin apaisé après avoir trouvé la bonne personne.

 

Le deuxième morceau que j’aime particulièrement, c’est Cherie, auquel collabore Darianna Everett. C’est elle qui chante sur le titre Hot Hands de mon EP Romance (2014). Depuis ce titre justement, elle n’avait rien sorti. Elle m’a envoyé les démos au dernier moment, comme Devin Tracy, et là aussi, j’ai directement adoré et validé. Ce titre est très chargé en émotions, car Darianna a dû récemment affronter la disparition de ses parents, et, pour moi, c’était aussi une manière de leur rendre hommage.

Comment a démarré l’histoire avec le label Roche Musique ?

 

Jean Janin, alias Cezaire [fondateur du label Roche Musique], a été le premier artiste à me faire jouer. Lorsque nous sommes devenus plus proches, il m’a avoué, avec Kartell, qu’ils ont très tôt eu l’envie de me signer. J’avais un deuxième EP tout prêt, Romance, et vu qu’on se connaissait et que Roche Musique était déjà créé, c’était naturel de sortir ce second projet sur ce label. Durant des années, nous nous sommes vus très très souvent, beaucoup en studio, en soirées, en after, on se ressemblait même musicalement. C’était ma seule bande de potes avec qui je pouvais partager autant sur la musique. Ils m’ont apporté beaucoup d’inspiration. Aujourd’hui, nous sommes toujours très proches.

 

Selon vous, pourquoi vos deux premiers EP Velour et Romance ont aussi bien marché ?

 

L’EP Velour proposait quelque chose de nouveau que les gens attendaient. Il y a rapidement eu un engouement sur YouTube. Sur ma propre chaîne, je voyais des recommandations de mes titres! Certains morceaux de ces EP ont été bien référencés car beaucoup de gens les utilisaient sur leurs propres vidéos de skate ou de voyage. Mais si on devait seulement parler de Maliblue, c’est clairement le morceau qui a invité les gens dans mon univers. Quand je découvre un artiste, ce sont souvent les premiers morceaux que j’entends qui vont le plus me marquer, et là, je pense que c’est ce qu’il s’est passé avec ce titre et le reste de l’EP. L’une des premières fois où je me suis rendu compte qu’il était vraiment apprécié, c’est lors de l’un de mes concerts au Social Club. Je venais tout juste de sortir Romance et j’avais réussi à enchaîner mes deux premiers projets sans problème, les gens étaient à fond. C’était génial.

 

Par quoi êtes-vous inspiré lorsque vous composez ?

 

À mes débuts, j’écoutais beaucoup d’artistes de la French Touch. J’écoutais aussi Justice et Breakbot qui proposaient des sons plus funky que je trouvais très cool. Je cherchais des sonorités disco, mais si je remonte encore plus loin, je me rappelle écouter Jamiroquai, Daft Punk forcément, Georges Michael, puis des artistes et groupes moins connus comme The Ones qui ont sorti seulement un son intemporel qui s’appelle Flawless. D’ailleurs, je pense qu’on peut clairement deviner que c’est encore une de mes références aujourd’hui. Ce sont des classiques indémodables. Même Michael Jackson avec son premier album Off the Wall a été une grosse inspiration pour Oasis. Dans ma démarche, je voulais vraiment quelque chose qui soit à la fois actuel et qui reste dans le temps, funk, disco et house.

 

Quel est votre rapport avec la French Touch ?

 

Je ne suis pas réellement convaincu par le terme « French Touch ». Chez Roche Musique, on nous a longtemps associés à ce mouvement, « la French Touch 2.0 », mais ça veut tout et rien dire. Les gens n’arrivent pas vraiment à définir cette étiquette et l’emploient à tout-va. Et personnellement, je ne saurais même pas me classer dans un style, j’oscille entre la disco, la house, le funk, la soul… c’est hybride, je ne veux pas appartenir à quoi que ce soit.

Vous êtes aussi très investi dans la photo. Quel est votre rapport à cet art ? A-t-il un lien avec votre projet musical ou est-ce quelque chose de distinct ?

 

J’aimerais beaucoup assembler les deux. Cette passion pour la photographie est liée à mon père, car en plus d’être musicien, il est très intéressé par cette discipline comme par le graphisme, la peinture, etc. Alors un jour, je me suis acheté un premier appareil numérique, un Canon EOS 5D, pour me faire la main. Et j’ai adoré. Je suis parti en road trip en Californie et j’ai vraiment pris cet art à cœur. Je retouchais pas mal mes photos pour leur donner du grain et obtenir un effet plus vintage. Je me suis alors dit “autant prendre mes clichés directement avec un vieil appareil”, et c’est là que j’ai trouvé, par hasard, à un Emmaüs, mon appareil. Les amateurs de photo le savent : nous avons chacun le nôtre, et celui-là je savais que ça allait être le mien. Un Minolta 600SI à dix euros. J’ai trouvé mon premier développement très réussi, c’était exactement ce que j’attendais d’un appareil argentique, j’étais vraiment très content. Tu ne contrôles rien, c’est ça la magie de l’argentique. À chaque fois que je pars en vacances, je l’emmène avec moi et il m’aide à rester créatif. J’ai du mal à me couper de la musique. Je suis tout le temps focus sur mes projets musicaux.

 

Envisagez-vous alors de mêler la photo à votre musique ?

 

J’ai plusieurs objectifs, plusieurs cases à cocher sur toutes les périodes de ma vie. J’ai notamment le désir de faire un album photo. J’ai vraiment une bonne collection d’images, j’ai gardé toutes mes pellicules. Comme pour les vinyles en musique, j’aime l’objet en lui-même. C’est tellement gratifiant de l’avoir en main, de pouvoir le toucher, c’est la même chose avec un album photo. Une fois que tu encadres une photo que tu adores, ou que tu l’as dans les mains, elle prend une toute autre dimension. Alors je rêve en effet de faire un album photo pour lequel je ferais une belle mise en page, une belle couverture et, pourquoi pas, une exposition avec ma musique en fond… Avec le label, on commence à chercher des lieux, des espaces où l’on pourrait à la fois projeter mes clips avec mes sons qui tournent et mes photos dans des cadres avec du merch. Ce serait fou.

 

 

Oasis (2022) de Darius, disponible partout.