28 mar 2023

Rencontre avec le fondateur des mythiques soirées Concrete : “On a monté le projet avec 500 balles !”

Ex-directeur artistique de la Concrete et du Weather Festival, Brice Coudert présente Underscope radio, sa nouvelle émission dédiée à la musique électronique sur Apple Music. House, techno, bass music… Il dévoile ses pépites musicales entre titres ultra nerveux et pop futuriste de l’an 3000. Rencontre.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

House, techno, bass music… Vous écoutez ce show pour découvrir ce qui se fait de mieux en matière de musique électronique underground en France. Je suis Brice Coudert et je vous ai sélectionné quelques bombes toutes fraiches !” Dans le studio cotonneux et immaculé d’Apple Music, l’ex-directeur artistique de la Concrete et du Weather Festival ne peut s’empêcher de sourire. Cette nouvelle émission diffusée par la célèbre plateforme n’est pas un simple job… mais son activité favorite : partager ses plus belles trouvailles en matière de musique électronique. Intitulé Underscope radio – et divisé en six épisodes d’une heure – ce programme exclusif reprend justement le nom de la structure de Brice Coudert (Underscope), plateforme d’édition et de distribution à la recherche des talents cachés.

 

Révolutionner la musique, c’est essayer de ne pas plaire à tout le monde… Passionné de hip-hop, de funk et de soul, Brice Coudert s’éprend finalement de la musique électronique grâce aux synthétiseurs de Giorgio Moroder et à l’Assault on Precinct 13 (1976) de John Carpenter. Pour Apple Music, l’homme de 44 ans propose “des choses énervées, des choses cool, des choses hybrides, de la drum electro avec des breakbeats dans tous les sens et de la musique pop qu’on écoutera dans le métaverse en l’an 3000”… Numéro a rencontré Brice Coudert qui évoque la création de l’émission, ses soirées les plus difficiles et sa vie de prospecteur à la recherche de la pépite d’or…

 

Numéro: La honte ! Vous n’avez même pas de page Wikipédia…

Brice Coudert: Ce n’est clairement pas mon objectif de vie. [Rires] Et les gens y écriraient certainement des mensonges… J’ai vécu 30 ans à Garges-lès-Gonesses (Sarcelles). J’ai débuté comme programmateur de logiciels puis j’ai fini par vendre des projets informatiques à de grosses boîtes pleines de types en costard-cravate parce que j’en avais marre d’être entouré de nerds… Vers 2004 ou 2005, j’ai acheté un vieux camion avec des amis pour faire le tour de l’Europe. Première étape : Berlin. À l’époque, nous n’écoutions même pas de musique électronique. Moi, j’étais un passionné de hip-hop. Une fois sur place, nous nous sommes retrouvés dans un club de R’n’B miteux… avant de finir au Berghain. Là-bas, j’ai pris ma première claque avec Positive Education de Slam. Après ça, je prenais l’avion chaque week-end en direction de Berlin ou d’Amsterdam. J’ai fait la fête jusqu’à en devenir un professionnel. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, je suis plus heureux devant mon ordinateur, un casque sur la tête, à la recherche de petites pépite.

 

“Les musiques électroniques sont bien plus sincères que la pop et cherchent souvent à s’émanciper du marketing.”

 

Quels sont les critères indispensables à l’organisation d’une très mauvaise soirée ?

Lorsque l’artiste génial que vous venez tout juste de découvrir se prend un four monumental… Personne n’a compris son univers et vous prenez des torrents d’insultes le lendemain sur les réseaux sociaux. Par exemple, la première fois que j’ai fait venir Theo Parrish à Paris, il a joué du hip-hop, et les gens n’étaient clairement pas venus pour ça. Dans ce milieu, la critique est très difficile à accepter car vous ne vendez pas seulement un produit… vous vendez vos propres goûts. Quelques années plus tard, j’ai été rassuré lorsque certains anonymes qui étaient passés chez nous étaient devenus de véritables stars. Pour le reste, les critères sont ceux du monde de la nuit. Un club comme Concrète nécessite 30 à 40 agents de sécurité. Vous avez beau être l’homme le plus zen du monde, il est très agaçant de se faire provoquer par des gringalets ivres morts à 5h00 du matin…

 

En quoi ce podcast Underscope [Apple Music] est-il aussi nécessaire qu’intéressant ?

D’abord parce qu’il est diffusé sur une plateforme de streaming, un canal encore très formaté où les musiques underground n’ont pas souvent la parole. Pourtant, elles sont bien plus sincères que la pop et cherchent souvent à s’émanciper du marketing. J’aimerais aussi montrer que l’on peut écouter ces morceaux chez soi et qu’ils ne se résument pas aux boîtes de nuit. Au départ, j’avais l’intention de proposer six épisodes thématiques. Mais les fans de bass music risquaient de n’écouter que l’épisode évoquant leur genre musical de prédilection alors que je voulais justement créer des ponts entre les genres. Construire une playlist me permettant de naviguer d’un morceau à l’autre, pouvoir changer radicalement de style tout en conservant un fil rouge. Finalement, je mets un peu de tout dans chaque épisode : de la bass music, de la techno, ou un morceau hybride mêlant hip-hop, grime et dubstep… On me reprochera certainement de proposer trop de morceaux taillés pour le dancefloor mais c’est totalement volontaire. J’écoute plus de dance chez moi qu’en club.

 

“La trance, l’eurodance, les soirées La Darude… Pendant longtemps je me suis dit : “Mais qu’est-ce que c’est que cette merde !” Il faut croire que je n’avais simplement pas fait l’effort de comprendre…”

 

Dans chacun des six épisodes, vous proposez des “bombes toutes fraîches”. À quoi reconnaissez-vous un bon morceau de musique électronique ?

À son originalité. Lorsqu’un morceau fonctionne bien, 200 producteurs tentent de refaire la même chose dans la foulée… Personnellement, j’aime le twist, la surprise. Une rythmique techno puis soudain une voix autotunée qui surgit. Si je n’ai jamais voulu devenir DJ moi-même c’est parce que qu’il y en a trop et que j’avais peur d’être affilié à un genre musical. Quel interêt de produire de la musique qui ne représente pas vraiment ce que vous êtes ? Je suis à la recherche de la pépite d’or. Ce qui me procure le plus de plaisir, c’est de faire découvrir de la musique aux autres.

 

Regrettez-vous l’époque des soirées Concrète ?

J’aimerais vraiment rouvrir un club à Paris, mais aujourd’hui, c’est presque impossible à cause des nuisances sonores. Je n’ai jamais rédigé de business model… Concrète était très simple : on l’a monté avec 500 balles. Vous trouvez un lieu et vous payez la location et les DJ après la soirée. C’est parce que 2000 personnes venaient nous voir tous les week-end que nous avons voulu monter quelque chose de plus gros. Le Weather a accueilli 16 000 festivaliers dès la première édition. Je pense que c’était facile parce que c’était sincère et que nous voulions vraiment nous amuser. Mais le Covid nous a cassé les genoux.

 

Comment les plateformes de streaming ont-elles transformé la musique électronique ?

Elles ont désacralisé la musique, tous genres confondus. Acheter deux ou trois CD par mois et les écouter en boucle n’a rien à voir avec le fait d’écouter tous les albums du monde sur son Smartphone. Vous ne donnez pas non plus la même valeur à la musique qui a une durée de vie bien plus courte et beaucoup moins d’impact. Aujourd’hui, peu de morceaux restent vraiment dans la vie des gens. Dans les années 90, un type comme DJ Deep a visité tous les magasins de disques du monde pendant 10 ans pour dessiner le portrait-robot de la deep house. Aujourd’hui, un gosse peut faire la même chose en un mois depuis son canapé. Les jeunes producteurs sont nourris de tout ce qui a été fait avant, ils zappent au sein même de leurs morceaux, c’est une richesse phénoménale. En une journée, ils digèrent une incroyable quantité d’informations et comprennent des choses que nous avons mis bien plus de temps à assimiler…

 

Avez-vous eu peur de devenir un énorme boomer ?

Je l’ai été un moment… sur Facebook. [Rires] Les plus jeunes sont meilleurs que nous dans de nombreux domaines. Ils ont grandi avec Internet, ont tout à disposition et n’ont jamais eu besoin de voler un CD à Carrefour pour écouter de la musique. Aujourd’hui, je commence à apprécier des choses que je ne supportais pas avant : la trance, l’eurodance, les soirées La Darude… Pendant longtemps je me suis dit : “Mais qu’est-ce que c’est que cette merde !” Il faut croire que je n’avais simplement pas fait l’effort de comprendre.

 

En tant que mélomane invétéré, estimez-vous que votre avis vaut davantage que celui d’un autre ?

Ce n’est pas tant une question de connaissance que de compréhension. En ce qui me concerne, j’ai eu très tôt la sensation de “comprendre la musique”, de reconnaitre que ce titre perdu au fond de Soundcloud avec ses 30 pauvres petites écoutes avait quelque chose de particulier que d’autres n’avaient pas su saisir. Chaque semaine vous prenez encore un peu plus confiance en vous jusqu’au jour où vous rencontrez quelqu’un comme DJ Deep, Antal du label Rush Hour ou le disquaire Victor Kiswell… Des gens qui connaissent vraiment la musique. Là, vous vous rendez compte que vous avez encore beaucoup à apprendre…