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Rencontre avec Kiddy Smile : “Dans le quartier d’où je viens, les caïds, les grands du quartier… Tout le monde est fier de moi.”
Depuis ses débuts, le très talentueux DJ et producteur Kiddy Smile marie des rythmiques house dansantes et des messages politiques sans concession au sujet de la condition des personnes queers et racisées. Évoquant les violences policières, son dernier clip Spread It, qu’il a réalisé lui-même, marque une nouvelle étape artistique très aboutie.
Propos recueillis par Delphine Roche.
Qui ne connaît pas Kiddy Smile ? Depuis 2016, la grande silhouette du chanteur, producteur et DJ, qui a aussi dansé dans une vidéo de George Michael, propage partout où elle passe des envies de danser et des messages politiques qui éveillent les consciences. Il y a six ans, le monde découvrait son EP de house music Enough of You, et le clip de son morceau Let a Bitch Know éclaboussait la Toile : il mettait en scène la culture des ballrooms [scène artistique regroupant plusieurs danses fondée par des personnes LGBTQIA+ et racisées] dans la cité des Alouettes, à Alfortville. Dans un pays où les “banlieues” sont l’objet de tous les fantasmes négatifs, la vidéo, qui déconstruit les clichés médiatiques bien ancrés, défraie la chronique et fait grand bruit. Deux ans plus tard, en 2018, Kiddy Smile enfonce le clou avec son premier album, One Trick Pony, qui l’installe en tant que chanteur. Cette même année, il est invité à l’Élysée pour mixer lors de la Fête de la musique. Autant dire que dans les communautés LGBT et noires, sa décision d’accepter l’invitation du Président ne passe pas vraiment comme une lettre à la poste…Sans céder à la pression, le DJ assume son choix et en profite pour glisser là aussi un message, arborant un tee-shirt explicite qui décline son pedigree : “Fils d’immigrés, noir & pédé.” Depuis, Kiddy Smile a collaboré avec Angèle, et plus récemment avec le duo de producteurs berlinois Catz’n Dogz et le·a musicien·ne non binaire Planningtorock. Cette année, il a jeté un nouveau pavé dans la mare avec le clip de son morceau Spread It, pamphlet visuel contre les violences policières, où le producteur et DJ interprète le rôle d’un performeur en petite tenue scintillante, jeté à terre, harcelé, menacé, puis finalement mené à un bûcher par un groupe de dirty cops ultra violents. Avant sa tournée-fleuve, et avant de le retrouver cet été à la télévision en tant que jury de Drag Race France, l’adaptation française du concours de drag queens américain RuPaul’s Drag Race, nous avons rencontré Pierre-Édouard Hanffou, de son vrai nom, pour évoquer ses projets à venir et ses engagements qui ne faiblissent pas.
NUMÉRO : Mon petit doigt m’a dit que vous travaillez actuellement à l’écriture d’un long-métrage, pourriez-vous nous en dire plus ?
KIDDY SMILE : C’est vrai, mais j’ai décidé de le mettre un peu en stand-by jusqu’à l’année prochaine, et ce, pour une très bonne raison : j’écris le scénario avec Virginie Despentes, or elle est très occupée en ce moment [l’écrivaine a récemment annoncé la création de sa propre maison d’édition dédiée à la visibilité des cultures queers, des analyses féministes et de l’étude des genres]. Nous nous sommes rencontrés par un hasard heureux, et il se trouve qu’elle habite à cinq minutes de chez moi. En attendant de reprendre l’écriture de ce long-métrage, j’ai fait mes débuts de réalisateur en commençant par un projet moins ambitieux : le clip de mon morceau Spread It.
“On voudrait croire qu’en tant que personne queer j’ai vécu un enfer à Rambouillet, là où j’ai grandi. Or dans le quartier d’où je viens, les caïds, les grands du quartier, tout le monde est fier de moi.”
Il y a quelque temps, vous me disiez vous être senti un jour en danger face à la police américaine. Cette expérience est-elle le point de départ de votre morceau et du clip ?
Le titre est né des mouvements qui ont commencé pendant les confinements de 2020, lorsque les États-Unis, puis l’Europe, ont pris fortement conscience des discriminations imposées aux personnes racisées et des violences policières. Le morceau dit : “You woke now/ Spread it all around” (“Maintenant que tu vois la réalité, fais en sorte que tout le monde la voie”) À la base, en tant que touriste français, la police américaine incarnait pour moi quelque chose de rassurant. Jusqu’à ce que j’aie une interaction non choisie avec elle. J’étais à Harlem, où des policiers étaient en train d’arrêter une personne. La scène était spectaculaire, j’avais l’impression de voir un film. Je suis donc resté à regarder, alors que les gens autour de moi s’en allaient, et j’ai compris que j’aurais dû faire de même : tout à coup, un policier s’adresse à moi et me demande de me retourner doucement. Lorsque je suis face à lui, je vois qu’il a posé la main sur son pistolet. Je me suis adressé à lui, et il a compris que j’avais un accent français, ce qui a soudain détendu la situation, je n’étais apparemment plus suspect. Moi qui rêvais d’aller vivre aux États-Unis, cette expérience m’en a immédiatement coupé toute envie. Les rappeurs américains, comme Childish Gambino avec le clip de sa chanson This Is America, n’hésitent pas à mettre en avant ce genre de sujets, alors qu’en France, la communauté hip-hop ne le fait pas suffisamment, et je trouve ça dommage.
En France, la question des violences policières a surgi en 2020, mais elle a vite disparu des débats, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis.
Notre bénédiction, c’est qu’ici les morts sont rares, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, c’est pourquoi la mobilisation sur ce sujet reste faible. Aussi, si on regarde par exemple la façon dont les médias présentent Adama Traoré [décédé en 2016], ils ne cessent de rappeler qu’il avait un casier judiciaire. Or je suis désolé, mais même un criminel n’est pas censé mourir aux mains de la police.
“Les quartiers ne sont pas plus homophobes que le reste de la société, ce sont juste des endroits où il faut affirmer sa force, et malheureusement l’homosexualité y est parfois assimilée à une forme de faiblesse.”
Dans le clip de Let a Bitch Know, vous aviez déconstruit la vision caricaturale des cités présentée par les médias.
Oui, car on voudrait croire qu’en tant que personne queer j’ai vécu un enfer à Rambouillet, là où j’ai grandi. Or dans le quartier d’où je viens, tout le monde est fier de moi. Les caïds, les grands du quartier m’ont félicité, et ils viennent parfois à mes DJ sets pour me soutenir, bien qu’ils n’écoutent même
pas de house music. Les quartiers ne sont pas plus homophobes que le reste de la société, ce sont juste des endroits où il faut affirmer sa force, et malheureusement l’homosexualité y est parfois assimilée à une forme de faiblesse. On devrait plutôt parler du stigmate qui pèse sur les personnes issues des quartiers : pour m’en sortir, j’ai dû user de stratagèmes, mentionner sur certains documents une autre adresse que la mienne… On dit aussi que les parents ne veulent pas s’occuper de leurs enfants, mais comment le pourraient-ils quand ils ont trois jobs pour boucler les fins de mois. Ma mère était dans ce cas, et elle m’emmenait parfois avec elle récupérer des courses aux Restos du Cœur. On ne montre jamais la complexité de la vie dans les quartiers. D’ailleurs ces gens sont aussi les “travailleurs essentiels”, ceux qui ont dû risquer leur santé pendant le confinement, qui ne pouvaient pas télétravailler.
Votre EP, Paris’ Burning Vol. 1, qui sort le 10 juin, propose de nouvelles collaborations, notamment avec Planningtorock…
Il a une tonalité très club, et perpétue, à mes yeux, l’esprit de la French touch. J’y mêle des thèmes personnels et, comme avec Spread It, je continue de dénoncer des problèmes sociaux.
Vous êtes une figure du voguing, une danse qui a été récemment présente un peu partout. Ne devient-elle pas un effet de mode ?
C’est le cas, et je trouve cela positif, évidemment, que les représentants de la communauté ballroom puissent gagner de l’argent grâce à cet effet de mode. Tout en regrettant que le voguing soit compris comme un style de danse, sans conscience du mouvement auquel il participe.
Votre activité de DJ a-t-elle connu un frein brutal en 2020 à cause de la pandémie ?
J’ai eu la chance, personnellement, dene pas avoir connu de véritable coup d’arrêt. Mais je suis heureux de pouvoir faire cette année une vraie tournée de 70 dates.
Les gens font-ils la fête différemment aujourd’hui ?
Oui, les clubs ont moins de succès. Mais les festivals restent un type d’expérience qu’on ne peut pas reproduire chez soi. Ma tournée passera par Ibiza, Barcelone, Amsterdam, Londres, et elle traversera l’Allemagne, l’Italie, la Grèce. Je vais également participer au festival Sónar en Espagne.
La tournée française de Kiddy Smile passera notamment par Bordeaux les 9 et 10 juillet dans le cadre de l’Initial Festival, et à Cannes le 6 août dans le cadre des Plages Électroniques.
Paris’ Burning Vol. 1 de Kiddy Smile (Neverbeener Records/ Grand Musique Management), disponible le 10 juin.