Rencontre avec Hanni El Khatib, des premières parties de Johnny aux sushis à la weed
En période de confinement, Numéro continue à s'intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, le chanteur américain Hanni El Khatib évoque son nouvel album “Flight”, Johnny Hallyday et les sushis au cannabis.
Par Camille Moulin.
Repéré en 2011 avec un premier album digne du garage rock de Nick Cave, Will Gun Come Out, le chanteur américain Hanni El Khatib cite aussi bien le Wu-Tang Clan que Louis Armstrong en référence. Sa carrière ressemble à un grand écart maîtrisé, entre la première partie de Johnny Hallyday à Bercy et ses productions pour le chanteur Yellow Days. Retour aux origines pour ce Californien qui a débuté la musique en produisant des instrus de rap : il évolue désormais vers une musique plus électronique. Sorti le 15 mai, son nouvel album, Flight, lui a notamment été inspiré par les producteurs américains J Dilla et Madlib. Ce nouvel opus mêle ainsi sonorités électroniques, solos de piano jazz et rythmes effrénés d’un rock plus sombre… le tout à grand renfort de samples. Une oeuvre hétéroclite, sorte de playlist digne d’un mélomane curieux. Rencontre avec un rockeur aux goûts aiguisés.
Numéro : En 2014, vous vous êtes enfermé pendant un mois chez vous pour composer votre troisième album Moonlight. J’imagine que vous êtes donc habitué au confinement.
Hanni El Khatib : Oui c’est à peu près la même chose. Je suis pas pas vraiment dérangé par le confinement car je suis plus productif en ce moment. Avec Internet, je peux partager ma musique avec un public… confiné lui aussi. Tout le monde est à la maison et consomme de la musique, de l’art et des films. Donc tout cela a joué en ma faveur. Avant d’attaquer mon dernier album, il y a deux ans, j’avais décidé d’arrêter les tournées pour une durée indéfinie. Je n’étais même pas sûr de vouloir travailler un nouveau projet, mais je savais que si j’en travaillais un, je ne ferai pas de tournée. Et ça marche bien avec la quarantaine, puisque de toute façon nous n’avons pas le droit d’en faire. Ce qui est cool, c’est que tous mes amis musiciens sont également à la maison donc ça a été plus facile de produire cet album avec eux. J’ai profité de cette pause pour composer de nouveaux morceaux avec des amis.
Vous semblez préférer vous produire face à une audience virtuelle plutôt qu’un véritable public…
C’est deux choses complètement différentes. Être face à une audience dans des conditions du direct, avec l’énergie des personnes dans la salle, ça peut vraiment influencer votre performance. Mais quand vous vous produisez chez vous, face à votre ordinateur ou votre téléphone, la seule interaction que vous avez sont des commentaires ou les petits coeurs en bas de l’écran. C’est étrange mais je me sens plus libre à la maison, parce que je suis dans un espace confortable, sans personne pour me juger. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, sans voir l’expression de quelqu'un dans l’audience qui a l’air de dire “Oh merde qu’est ce que je fous là ?”. Typiquement, j’avais toujours eu peur de me produire seul sur scène, juste avec une guitare ou un clavier, parce que j’avais l’impression que la musique ne serait pas bien représentée. Mais avec la quarantaine, sur presque toutes mes performances, je suis seul, avec un clavier ou une guitare. Ça m’encourage à être plus créatif et ouvert d’esprit avec la façon dont je présente ma musique. C’est très libérateur car j’ai toujours fait des efforts pour évoluer en tant que musicien. Ça ouvre beaucoup de nouvelles possibilités.
Sur Alive ou Dumb, deux morceaux de votre dernier album, on a l’impression que vous glissez de plus en plus loin du garage rock qui a fait votre renommée depuis 2011. Comment expliquer ce changement ?
En réalité, pour moi, c’est plutôt un retour en arrière. Avant de commencer ma carrière dans le garage rock, je faisais beaucoup de musique au lycée, plutôt des instrumentales de hip-hop. Quand j’ai sorti mon premier album, je n’avais pas de grandes ambitions, je l’avais fait pour moi dans mon ancien appartement. C'était une réaction à tout ce que j’avais fait avant, parce que j’en avais assez de faire des instrus et je n’étais plus intéressé par l’idée de sampler des albums. À l’époque, le rock et la musique live était les opposés de ce que j’avais fait précédemment, donc ça m’a particulièrement attiré. Et puis mon premier album est sorti et j’ai été signé sur un label. Sauf que le label ne connaissait pas ce que j’avais fait avant, donc ils m’ont catalogué comme un rockeur. Mais personnellement je ne me suis jamais complètement identifié à ce genre. Mes goûts ont toujours été beaucoup plus… hétéroclites. Il y a deux ans, j’ai annoncé à toutes les personnes avec lesquelles je travaillais que j’avais décidé de faire une pause. Je me suis alors mis à produire plus de gens, comme la chanteuse de soul Rudy De Anda, l’artiste Yellow Days ou deux rappeurs de Chicago, Frank Leone et Monster Mike. J’élargissais déjà ma palette musicale quand j’ai commencé à travailler avec Leon Michels, avec qui j’ai produit mon dernier album. C’est en expérimentant que je me suis redécouvert.
Apparemment vous seriez le fils illégitime du rappeur RZA et d’Iggy Pop, mais vous citez aussi régulièrement Louis Armstrong et Nick Cave : quelles inspirations ont alimenté ce dernier album ?
Musicalement pour cet album en particulier j’ai été très inspiré par la manière dont Madlib et J Dilla composent. Leurs albums s’écoutent comme des espèces de collages. J’ai vraiment, vraiment adoré leur dernier opus en duo, Banda, parce que j’avais l’impression que c'était plein d’idées agglomérées en une seule et unique œuvre. On est forcé d’écouter cet album en entier et de la même manière, j’aimerais que les auditeurs écoutent mon album comme un tout. Je me suis un peu senti comme un DJ : vous savez comme un bon DJ peut mixer et mélanger n’importe quel genre de musique, c'était ce que je voulais pour mon album.
“Musicalement pour cet album en particulier j’ai été très inspiré par la manière dont Madlib et J Dilla composent”
Comment composez vous vos morceaux ? Partez-vous d’une harmonie, d’un accord ou êtes-vous inspirés par d’autres champs créatifs complètement différents ?
Je suis toujours inspiré par d’autres champs. Quand je fais un album, j’en fais d’abord la couverture. J’ai besoin de penser un cadre visuel pour voir vers où j’avance. Ça m’aide à fixer un but. Donc la plupart du temps, je sais ce à quoi ressemble l’album avant même de l’avoir composé. À côté de la musique, je suis designer graphique et je créé aussi des vêtements depuis vingt ans. La musique n’est qu’une partie de ce que je fais tous les jours.
En parlant de vos pochettes d’albums, celle de Flight est une photo de votre chienne Harlow. Peut-on donc dire qu’elle a été votre principale inspiration pour cet opus ?
Dans mon album, j’ai écrit pour elle une chanson qui s’appelle Harlow. Elle a toujours été une grande source d’inspiration et d’amour inconditionnel. J’adore la photo de l’album car vous pouvez voir directement son âme dans ses yeux. On dirait qu’elle vous fixe et que quelque chose se passe dans sa tête. Et puis, égoïstement, je me suis dit que ça serait tellement cool, quand l’album sortirait, de voir sa tête dans un magasin de disques ou sur un panneau publicitaire, et de pouvoir me dire “C’est mon chien là bas !”.
Harlow est d’ailleurs l’héroïne de votre clip Stressy, dans lequel vous vous décrivez comme une “poupée de chiffon”, pourquoi ?
Pour moi c’est très cathartique d’écrire des paroles totalement libres, guidées par mon flux de conscience. Ce sont des dialogues internes : parfois mon subconscient parle à mon “moi conscient”. J’ai beaucoup souffert d’anxiété. Je vais beaucoup mieux maintenant, mais il y a deux ans, j’étais vraiment sur le point de me détruire, je souffrais d’anxiétés très fortes, et de dépression. Faire une pause, travailler sur moi et ma santé mentale, voilà ce qui m’a changé. J’ai arrêté de boire et de faire la fête. Après avoir passé la dernière décennie en tournée, j’étais lessivé. Les gens imaginent les rockeurs comme des fêtards allumés mais ce n’était pas moi, et ça ne rendait pas service à ma santé mentale ou émotionnelle. Donc il y a deux ans, j’ai opté pour un virage à 180° et j’ai radicalement changé de mode de vie. J’ai consacré toute cette énergie à travailler sur moi et à reprendre une vie normale.
Dans votre chanson Alive, vous vous confiez sur une expérience particulière, il y a un an vous avez échappé à la mort dans un accident de voiture. Comment compose-t-on après une expérience de mort imminente ?
Quand vous êtes pris dans un accident de voiture, tout se passe au ralenti, vous êtes désorienté et c’est complètement fou. J’ai été blessé dans l’accident et on m’a conduit à l’hôpital. Il a fallu que je fasse beaucoup de rééducation, et même aujourd'hui je me remets encore. Mais ça m’a permis de réaliser ce qui était vraiment important parce que votre vie peut changer tellement vite… C’est cliché, mais il y a une raison pour ça. Tout ce temps, j’avais eu peur d’oser prendre des risques et, après l’accident, je savais que si je continuais la musique, il fallait que je présente un album qui serait 100% naturel et authentique.
“Quand vous êtes pris dans un accident de voiture, tout se passe au ralenti”
Votre chanson Mexico débute par l’enregistrement d’une procession funéraire. Ça n’était pas bizarre de suivre des personnes en deuil avec un dictaphone ?
Si c'était bizarre. J’étais dans un petit village dans le centre du Mexique, en train de faire du skate avec un ami. Tout d’un coup on a entendu de la musique. Ça avait l’air d’être une célébration, donc je ne savais pas que c'était un cortège funèbre avant de m’approcher. Quand j’ai compris, j’ai tout de suite mis mon téléphone dans ma poche, pour n’offenser personne.
En 2013, vous avez fait la première partie de Johnny Hallyday à Paris. Avez-vous dansé toute la nuit avec lui sur Allumez le feu ?
[Rire] Lors de l’un des concerts, il a fêté son 70ème anniversaire donc oui ! C'était super impressionnant, il a donné un concert pendant deux heures et demi, suivi d’une petite fête d’anniversaire. Après ça, il avait un second concert dans un opéra vers minuit, où il a à nouveau chanté pendant deux heures, entourés de ses potes rockeurs complètement fous. Je me fiche de savoir ce que certaines personnes pensent de lui, c'était un vrai bourreau de travail. J’ai joué avec toute sorte d’artistes, des connus et des moins connus, et généralement quand vous êtes capables de remplir une arène comme Bercy, vous ne faites plus vos propres réglages, vous avez une équipe qui gère ça pour vous. Mais à 14 heures, Johnny Hallyday était pile à l’heure pour assister aux réglages. Il a même assisté aux miens ! Quel genre d’artiste pop assiste à la balance de sa première partie en donnant des conseils et en lui disant “C’est une de mes chansons préférées” ? Il a aussi fait venir sa femme et ses filles, et il m’a demandé de leur jouer quelques chansons, et moi je me disais “Putain !”. Il était cool.
Sur une vidéo Instagram, on vous voit apparaître dans un show télévisé, en train de manger des sushis roulés au cannabis. C'était bon ?
[Rires] Oui ! C'était incroyable. En fait, le chef a un excellent restaurant de sushis près de Santa Monica. Pour l’émission, son challenge était de faire des sushis au cannabis, ce qui lui allait bien puisqu’il est lui-même un grand fan de weed. Mais après ça, j’étais tellement défoncé, j’ai été stone pendant deux jours entiers. En plus, on ne vous dit pas combien de temps ça va durer donc j’ai été là-bas pendant facilement huit ou neuf heures, à fumer de l’herbe et à manger de l’herbe. C'était trop.
“J’ai été là-bas pendant facilement huit ou neuf heures, à fumer de l’herbe et à manger de l’herbe. C'était trop.”
Dans votre chanson Dead Wrong vous affirmez “I have a story to tell / A dream of diamond things” (“J’ai une histoire à raconter / Un rêve de choses diamantées”). Vivez-vous ce rêve aujourd'hui ?
À vrai dire, je suis très bien en ce moment. Bien sûr j’ai des aspirations et des rêves pour d’autres choses. Mais je suis assez satisfait de là où j’en suis et de là où je vais. Je sais ce à quoi je veux que mon futur ressemble et je me’y dirige donc j’imagine que oui. Peut-être pas littéralement un rêve diamanté mais métaphoriquement oui.
Flight d'Hanni El Khatib, disponible le 15 mai sur toutes les plateformes de streaming. La sortie en CD et le vinyle est prévue pour le 29 mai.