Rencontre avec Beabadoobee, la rockeuse adulée par Harry Styles et Taylor Swift
Beabadoobee, musicienne et chanteuse philippino-britannique adulée par Harry Styles et Taylor Swift, sort un deuxième album réussi qui mélange pop, grunge et bossa nova : le très réussi Beatopia. Elle nous en a confié les dessous, thérapeutiques, juste avant de dévoiler une prestation électrique au festival Rock en Seine, le 25 août dernier.
Par Violaine Schütz.
Le festival Rock en Seine, qui avait lieu au domaine national de Saint-Cloud, en banlieue parisienne, à la fin du mois d’août, fut riche en controverses. La mise en place, pour la première fois de l’histoire de l’événement, d’un « Golden Pit », zone VIP située devant la grande scène et réservée à ceux qui avaient payé plus cher leurs billets, a notamment été vivement critiquée sur les réseaux sociaux. Mais les polémiques ne doivent pas occulter la qualité d’une programmation haut de gamme. Au milieu des sets survoltés, émouvants ou épiques d’Arctic Monkeys, Tame Impala ou Nick Cave, des artistes moins connus ont enflammé le domaine de Saint-Cloud. C’est le cas de la compositrice-interprète philippino-britannique Béatrice Kristi Laus alias Beabadoobee, qui, accompagnée de son groupe, a livré un live de pop-rock-grunge indépendante remuant.
Quelques heures avant sa performance électrique, on retrouvait l’artiste de 22 ans, née à Iloílo (dans les Philippines), vêtue d’un pantalon cargo et d’un haut découpé et lacé évoquant les années 2000, dans un coin calme du site arboré du festival. La jeune fille, bien plus timide que sur scène, un contexte dans lequel elle déploie l’énergie d’une rock star, nous parlait avec passion de son second album, Beatopia. « Le titre du disque fait référence à un monde que je me suis créé enfant et dès lequel je m’échappais dès que possible. J’avais même fabriqué un poster que j’apportais en classe, avec des dessins naïfs, pour me rappeler ce monde imaginaire peuplé de créatures mignonnes. »
Beabadoobee avait sept ans quand elle a imaginé ce monde fantastique rassurant. Mais elle y renonça, violemment, quand son professeur tomba sur son étrange poster, et qu’il se moqua, accompagné des camarades de classe de la petite fille, de cet enfant jugée « bizarre ». Depuis, le Beatopia devint un secret bien gardé pour l’artiste en herbe, qui avait peur qu’on dénigre sa différence. Jusqu’à ce que l’égérie du label Heaven de Marc Jacobs décide, il y a deux ans, de le faire renaître, en travaillant sur de nouvelles chansons. « Je sentais que c’était le bon moment, nous confie-t-elle, car j’ai beaucoup plus confiance en moi – notamment grâce à une thérapie que j’ai entreprise – aujourd’hui que pendant mon adolescence et qu’à mes débuts. Je commence enfin à accepter des sentiments que je rejetais jusqu’ici. Et je voulais que mon nouvel opus sonne comme un voyage nous embarque dans une foule de sentiments différents. »
Et Beabadoobee a de quoi être fière. Depuis 2017, la compositrice a sorti une vingtaine de singles et d’EP pop-rock-grunge, très influencés par les années 90 et 2000, et tous plus accrocheurs que les autres et deux albums réussis. D’abord écrits et enregistrés dans sa chambre, au milieu de peluches, les morceaux de Beabadoobee (qui parlent d’amour contrarié et d’insécurité comme si elles sortaient tout droit d’un journal intime adolescent) ont rapidement trouvé leur public, certains devenant des hymnes pour la Gen Z. Cumulant plus de 4,6 milliards d’écoutes en streaming et suivie par 1,5 millions de followers sur Instagram, l’Anglaise a fait « pogoté » le public exigeant de festivals prestigieux tels que Coachella et Glastonbury. Celle dont les morceaux rencontrent souvent le succès sur l’application TikTok compte même parmi ses fans la chanteuse Taylor Swift et l’ex-membre de One Direction Harry Styles.
Mais la musicienne, qui a commencé par jouer du violon avant d’apprendre, en autodidacte, grâce à des tutoriels YouTube, la guitare, continue à se réinventer, plutôt que de se reposer sur ses lauriers. Elle explique : « Sur Beatopia, je voulais sonner moins « années 90 » que sur mes anciens morceaux. Je ne suis pas dans une démarche de revival, mais si j’aime que les gens qui écoutent ma musique ressentent de la nostalgie. Les problèmes dont je parle sont des problèmes d’aujourd’hui. Je suis une fille du 21e siècle. Sur ce disque, je me suis sentie plus libre. J’ai expérimenté. On y entend de la bossa nova, du jazz ou encore de la musique des Philippines. Et j’ose alterner une ballade avec un morceau plus rock et survolté. » Un univers plus hétéroclite qui coïncide avec des inspirations diverses (The Cardigans, The Sundays, Aphex Twin, Mazzy Star, Pavement, Elliott Smith, The Beatles). Visuellement, l’artiste puise aussi dans des influences éclectiques, allant des clips de Björk aux films du réalisateur et artiste contemporain thaïlandais Apichatpong Weerasethakul et à ceux de Wong Kar-wai, qui influencent ses looks.
Mais certaines des influences de la Britannique ne sont pas artistiques. La guitariste et chanteuse avoue qu’avant d’écrire l’un des meilleurs morceaux de Beatopia, le single See You Soon, elle avait pris des champignons et fait un trip épique – durant lequel elle avait pleuré pendant des heures. Résultat ? Selon elle, toutes les énergies négatives qu’elle cultivait avaient, lors de cette expérience psychédélique, quitté son corps. Ce n’était pas un cas isolé. Dans la plus pure tradition du rock’n’roll, terre d’excès par excellence, la jeune star admet avoir consommé la même drogue avant de monter sur la scène de Coachella, ce qui avait altéré sa lucidité durant ce show mémorable. Lors de notre entretien à Rock en Seine, la chanteuse ajoute qu’avant chacun de ses concerts, elle doit boire quelques shots de vodka pour envoyer valser le stress. Serait-ce pour faire face à la pression familiale pesant encore sur ses frêles épaules ? La famille asiatique très traditionnelle de l’artiste, qui aurait rêvé de voir plus de musiciennes avec les mêmes origines qu’elle quand elle était enfant, voulait que leur fille devienne médecin, ou, qu’à défaut, elle joue d’un instrument dans un orchestre. En suivant son propre tempo, la songwriteuse guérit aujourd’hui les plaies de l’âme, à défaut de celles du corps.
Beatopia (2022) de Beabadoobee, disponible sur toutes les plateformes.