Qui est Channel Très, star charismatique d’un rap-house sulfureux ?
L’Américain Channel Très était de passage à Paris pour un concert explosif au Trabendo. Entre l’insolent Moodymann et la légende Dr Dre, cette figure montante du rap-house marque les esprits par son charisme hors du commun et sa voix d’outre-tombe.
Par Alexis Thibault.
1. Channel Très enflamme le Trabendo à Paris
Le décor sommaire du Trabendo (Paris XIXe) laissait présager un spectacle modeste : des boules à facettes montées sur des poteaux tournent lentement aux coins d’une scène en forme de carré. Mais ce dimanche 19 mars, l’unique concert de Channel Très en France déjoue tous les a priori. Le natif de Compton (Californie) fait rugir la salle dès son apparition sur scène : lunettes noires, chemise transparente, Converses classiques et charisme de superstar. À ses côtés, deux danseurs sculpturaux en crop-top blancs parfaitement synchronisés illustrent ses quatre EP (2018-2022) de leurs poses lascives. Entre rap West Coast, house érotique et techno jamais vraiment obscure… Channel Très déroule pendant une heure et demie – il ouvre sur Sleep When I’m Dead puis s’efface avec Topdown. Au micro, le musicien harangue la foule et déclame ses vers à la façon d’un prédicateur flegmatique sur des bandes instrumentales; sa voix d’outre-tombe rappelle Moodymann, l’insolent compositeur de Détroit. À l’issue de son sermon électronique, il s’avance nonchalamment vers la fosse en sueur et conquise puis signe, sourire aux lèvres, quelques vinyles brandit par des mains anonymes telle une icône glam des années 70.
2. Des soirées house de Californie à une tournée internationale
Le lendemain matin, Sheldon Young (de son vrai nom) a abandonné ses lunettes de soleil et peine à masquer sa fatigue. L’artiste de 31 ans enchaîne les interviews tandis que son attachée de presse tient presque le chronomètre. C’est un autre homme que l’on découvre alors : “Mon métier consiste à divertir les gens. J’essaie donc de paraître un peu plus exubérant qu’à l’accoutumée. D’ordinaire, je suis plutôt quelqu’un de réservé qui ne parle pas beaucoup.” Paradoxe amusant, Channel Très s’imaginerait bien professeur de philosophie si la musique n’était pas son gagne-pain. À l’aise sur la scène d’un festival, la peau cramée par un soleil de plomb, comme dans un club moite surchauffé à une heure du matin, le producteur reconnait que son rap-house volcanique tient surtout à l’attitude de la fosse en concert : “Un jour, à Bruxelles, ça n’a pas pris du tout. Comme si les gens ne comprenaient strictement rien à ce que je disais… Dans ces cas là c’est plus compliqué. Pas un de mes meilleurs souvenirs…”
À mi-chemin entre la bête de scène et le type amorphe, Channel Très transpose ses souvenirs dans ses disques. Des moments simples. Le son de Marvin Gaye, Sam Cooke ou Issac Hayes et les boucles de basses synthétiques tonitruantes de ses soirées d’adolescents. Les yeux dans le vide, il décrit, d’une voix monotone, le samedi d’un gosse ordinaire du sud de Los Angeles : “Il est un peu plus de six heures du matin. Ma grand-mère ouvre les stores de ma chambre et me prépare un petit-déjeuner. On entend déjà de la musique qui jaillit d’un poste de radio. Par la fenêtre du salon, j’aperçois des voisins laver leur voiture au tuyau d’arrosage tandis que des gosses font le tour du pâté de maison en vélo. Ma grand mère me glisse un billet dans la poche pour que j’aille chez le coiffeur. Avec la monnaie qu’il me restera, je m’achèterai un tee-shirt à la boutique du coin. Plus tard, je retrouve mes amis sur le terrain de basket. Puis chacun rentre se préparer pour la soirée house.” Aujourd’hui, Channel Très parle de sexe, de cannabis et de mode. Il dédie un de ses titres à la fashion week de New York et s’inspire du Chronic de Dr Dre comme du DJ star de Détroit Omar-S. Channel Très s’impose déjà comme le nouveau porte étendard du genre mais fuit le succès trop fulgurant. La fame est une question de santé mentale… et peut vite mener au désastre. Collaborateur de Tyler, The Creator ou de Robyn, il ne s’attardera pas sur le retour de la house chez les artistes bankable tels que Drake ou Beyoncé, préférant une réponse discrète : “C’est très bien…”