Prince, la mort d’une légende
Ce n’est pas un petit prince mais un grand roi qui vient de disparaître, hier, à 57 ans. Prince Rogers Nelson (de son vrai nom) avait révolutionné le genre pop autant que le genre sexuel.
Par Violaine Schütz.
Un génie éclectique et aventureux
Il suffit de réécouter des disques majeurs comme Dirty Mind (1980), Controversy (1981) ou encore Purple Rain (1984) pour rester bouche bée devant leur modernité et leur ambition mélodique. Celui qui s’est surnommé lui-même “Love Symbol” ou encore “The Artist” était un des grands génies musicaux du siècle, qui n’hésitait pas à expérimenter et à repousser sans cesse ses limites. Mélangeant audacieusement R’n’B, funk, rock, pop et new wave, ce multi-instrumentiste –il sait en jouer une vingtaine selon la légende – a signé presque autant de tubes cultes que son rival, Michael Jackson. Prolifique, avant-gardiste et slasheur avant l’heure, l’auteur-compositeur-interprète-producteur-danseur-acteur aurait vendu plus de quatre-vingts millions de disques dans le monde, devenu son royaume peuplé de fidèles prêts à couronner son talent. Il avait aussi entrevu le pouvoir d’Internet et du streaming, confirmant ainsi son statut de pionnier.
Un provocateur
Comme Madonna (pour qui il a écrit), Prince savait choquer et porter violemment atteinte à l’Amérique puritaine de Ronald Reagan. Beaucoup de ses paroles de chansons peuvent être classées X, à l’instar de Darling Nikki sur Purple Rain. Le chanteur n’hésite pas à parler de ses nuits de débauche, de masturbation, d’adultère, de fellation, mais aussi d’inceste frère-sœur. Mais il savait aussi se montrer polémique, politiquement parlant (notamment en abordant des sujets épineux comme la guerre froide et la peine de mort). Sur Controversy, son quatrième album (et peut-être son plus touchant), il chante sur le morceau titre : “J’aimerais que nous soyons tous nus, qu’il n’y ait ni Noirs ni Blancs, qu’il n’y ait aucune règle.” Ni Dieu, ni maître, ni tyrannie. Un bon prince en somme.
La question du genre
À l’image de David Bowie, disparu lui aussi parmi les étoiles, des compagnes qui lui vont comme un gant, le caméléon dandy aimait semer le trouble concernant les genres. Sur la pochette de Controversy, il apparaît ainsi en dessous féminins. Il en va de même durant certains de ses concerts. Se maquillant outrageusement et arborant des tenues de scène androgynes, excentriques et bling, celui que les médias avaient renommé “Le Nain pourpre” mesurait moins d’un mètre soixante, mais compensait sa petite taille par un sex-appeal énorme. La bête de scène aux déhanchés sulfureux avait en fait autant de groupies hommes que femmes.
Un pygmalion
Le Kid de Minneapolis, né le 7 juin 1958, ne s’est pas contenté de révolutionner la pop avec ses propres disques, à travers plus de trente disques studio parus depuis 1978. Pas bégueule, il a aussi prêté ses talents de producteur pour signer de petits chefs-d’œuvre de pistes de danse pour les autres. Il a ainsi écrit pour des femmes fortes comme les Bangles, Chaka Khan, Patti LaBelle ou Madonna. Son morceau de bravoure ? Le mélancolique, puissant et émotionnel Nothing Compares 2 U, de Sinéad O’Connor. Un hymne intense qui pourrait être joué telle une élégie à l’enterrement de ce Prince charmant aussi anticonformiste qu’unique.