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London Grammar : comment le trio anglais va ensoleiller votre été
Avec son deuxième album très attendu, London Grammar monte en puissance et offre un nouveau souffle à ses compositions électro, aériennes et bouleversantes. Le trio anglais confirme au passage son statut de grande formation pop, sur les traces d’Adele et d’U2.
Par Thibaut Wychowanok.
Portrait Éric Nehr.
Depuis ses débuts retentissants en 2013, le trio anglais London Grammar a toujours avancé en équilibriste, sur le fil ténu d’une électro-pop parfaitement élégante, éthérée et mélancolique. Fil ténu tant le groupe semblait prêt à plonger, d’un côté, dans une soupe plaintive pour teenagers neurasthéniques, tandis que l’attendaient, de l’autre côté, les affres du groupe trop formaté. La jolie bulle de savon que formait sa musique semblait prête à éclater, et nul ne pouvait prédire ce qu’il en resterait. Du vent ? Ou un parfum tenace ? La réponse viendra finalement cet été de son deuxième album, Truth Is a Beautiful Thing.
On prendra le titre de ce deuxième opus, “la vérité est une belle chose”, comme un pied de nez à tous ceux qui ont fait un procès en (in)authenticité au groupe : trop beau, trop dans l’air du temps. Il faut reconnaître que l’histoire officielle n’avait pas vraiment de quoi rassurer : c’est sur Facebook, et sur la seule foi d’une jolie photo (où elle tenait tout de même une guitare), que la chanteuse et compositrice Hannah Reid aurait été repérée par ses compagnons, Dominic “Dot” Major et Dan Rothman. Des réserves qui n’ont nullement freiné l’engouement sincère sur YouTube déclenché par leur premier tube Hey Now en décembre 2012, ni empêché leur premier album de devenir disque de platine au Royaume-Uni et en France. Leur mélange d’electronica vaporeuse, de dépouillement dubstep et de mélodies aériennes bouleversantes n’a pas laissé le grand public de marbre. Et on se souviendra encore longtemps de leur reprise déchirante du titre Nightcall, morceau culte du Français Kavinsky, qui figurait sur la BO du film Drive.
D’ailleurs, nul besoin de faire durer artificiellement le suspense, ce deuxième album de London Grammar est un succès. Évidemment, il ne convaincra pas plus ceux qui voient dans le spleen et l’onirisme du groupe de simples complaintes naïves et des poses artificielles. La théâtralité mélancolique est toujours aussi vertigineuse. Les références vont toujours du trip-hop de Portishead et de Massive Attack à une soul langoureuse. Truth Is a Beautiful Thing confirme, également, une grande qualité de London Grammar : sa capacité à incarner un spleen adolescent très contemporain où désespoir total et élan amoureux inconditionnel, communion collective et solitude désemparée s’entremêlent.
La musique sentimentale de London Grammar forme la bande-son idéale d’une fin de soirée de millennials observant le lever du soleil en pleine montée d’ecsta (Rooting for You, Wild Eyed). À d’autres moments, elle évoque les virées entre amis, cheveux au vent, par un dimanche ensoleillé (Big Picture, Everyone Else) ou le dernier slow d’une soirée dans le garage de son meilleur ami (Truth Is a Beautiful Thing, Oh Woman Oh Man). Malicieusement, le groupe joue sur tous les registres d’une nostalgie universelle, et fait mouche. L’autre qualité de London Grammar tient à la dimension cinématographique de ses compositions. Thomas Newman (American Beauty, Skyfall) ou Hans Zimmer (The Dark Knight, Interstellar), c’est tout de suite à de grands noms de compositeurs de musique de film que pense le groupe quand on l’interroge sur ses influences. Plusieurs morceaux du disque trouveraient d’ailleurs naturellement leur place sur un générique de James Bond.
London Grammar a compris qu’il ne gagnerait jamais au jeu du groupe le plus pointu. Libérées de cette pression, leurs productions s’épanouissent sur ce nouvel album en grands morceaux pop, puissants et universels.
Trop longtemps écrasé par une comparaison avec ses compatriotes de The xx, modèle de groupe indé à l’inventivité folle, London Grammar semble avoir enfin compris qu’il ne gagnerait jamais au jeu du groupe le plus pointu. Libérées de cette pression, leurs productions s’épanouissent sur ce nouvel album en grands morceaux pop, puissants, efficaces, accessibles et universels. L’album Truth Is a Beautiful Thing gagne son véritable pari : clarifier le positionnement du groupe à défaut de révolutionner son son. Comme si un groupe qui se rêvait en Radiohead se découvrait en U2, période The Joshua Tree (album qui a d’ailleurs beaucoup en commun avec Truth Is a Beautiful Thing).
Faut-il y voir l’influence du bras droit d’Adele dont le groupe s’est entouré pour ce nouvel album ? Hasard ou coïncidence, la voix de Hannah Reid a gagné en puissance, en profondeur et en nuances, passant, sur le même album, d’un chant proche de la pureté d’une scansion poétique aux envolées d’une diva soul enregistrées au cœur d’une église. Le too much n’est pas loin, mais l’ampleur est réelle. Lorsqu’on le rencontre à Paris, le trio ne résume pas autrement son nouvel essai : “Nous voulions que nos morceaux soient traversés par des dynamiques plus amples et plus complexes. Même si l’idée était de gagner en puissance tout au long des titres, nous voulions intégrer des variations plus… inattendues.” Et Hannah Reid de renchérir : “Et apporter une gamme de couleurs élargie, en contraste avec notre premier album, plus froid.” Très conscients de leur musique et de ce qu’ils représentent, les London Grammar semblent avoir pourtant du mal à véritablement casser leurs propres codes : “Nous opérons au sein d’un certain cadre, concède le trio, mais nous essayons toujours d’en dépasser les limites, chacun à notre manière. Et puis nous décidons ensemble si cela correspond à London Grammar.” Cela donne un parfum singulier, éthéré et solaire, qui certes ne sent jamais le soufre, mais embaume longtemps la pièce après l’écoute de leurs albums.