3 juil 2023

L’interview d’Oxlade, star méconnue de l’afropop : « Je suis né dans le ghetto. Je suis un rescapé »

À 26 ans, l’artiste nigérian Oxlade se situe quelque part entre le sex-symbol et le monsieur Tout-le-monde attachant. Le jeune prodige du mouvement afropop (ou afro-fusion) a accepté de répondre aux questions de Numéro quelques jours après l’annulation du festival Yardland dont il était l’une des têtes d’affiche.

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Oxlade, le prodige de Lagos qui a battu le record de la chaîne Colors.

 

Voilà presque un an que Numéro est supposé rencontrer Oxlade. Depuis septembre 2022 plus exactement, date à laquelle son équipe s’est empressée d’égrainer les innombrables records du jeune prodige à toute la presse : artiste le plus recherché sur l’application Shazam, des streams qui affolent les compteurs (notamment les titres Away ou O2) et une session Colors dont le nombre de vues ne cesse de grimper. La célèbre chaîne diffuse des lives musicaux en ligne et propose une mise en scène pour le moins minimaliste : torse nu, face à un micro, Oxlade interprète son titre Ku Lo Sa en restant statique pendant quelques minutes, comme s’il enregistrait le morceau en studio, situation, il faut l’avouer, peu télégénique. Pour autant, la vidéo compte à ce jour 71 millions de vues…

 

Ikuforiji Olaitan Abdulrahman, dit Oxlade, est donc une véritable star. À 26 ans, ce natif de Surulere, un quartier branché de Lagos (Nigéria), fait partie de cette génération d’artiste pour laquelle les genres musicaux n’existent plus. Mais l’artiste évoquera tout de même quelques repères : l’afro-fusion (qui combine percussions et riffs de guitare africains, sonorités caribéennes, sud-américaines et pop occidentale) – le R’n’B et l’afro-swing, un sous-genre du dancehall né au Royaume-Uni au milieu des années 2010. Mais ce que l’on retient de lui, ce sont surtout des envolées vocales érotiques de falsetto, sa voix de tête reconnaissable. On les retrouvera évidemment dans Oxlade From Africa, son nouvel album dont il assure actuellement la promotion Paris mais n’a pas encore révélé la date de sortie. Numéro a donc profité de la venue du jeune homme pour recueillir ses confessions. Affalé dans un canapé de l’hôtel Hoxton, Oxlade apparaît tout de noir vêtu, lunettes de soleil démesurées sur le nez arborant un grand sourire qui disparaît par intermittence. Son attitude oscillera elle aussi en permanence, comme si le Monsieur Tout-le-monde chaleureux luttait contre un double invisible, un sex-symbol vaniteux… Rencontre.

 

Numéro: Vos fans parisiens sont très déçus : le festival Yardland lors duquel vous deviez vous produire a été annulé suites aux émeutes qui ont éclaté partout en France. Étiez-vous effrayé par la situation ?

Oxlade: Clairement ! J’étais très déçu. Je considère les membres de Yard comme ma famille, ils ont été les premiers à me soutenir et ce bien avant que ma carrière ne décolle. Mais j’ai rapidement compris l’ampleur de la révolte… l’annulation du festival était inévitable. Je vous préviens tout de suite : je ne répondrai à aucune question politique. Bref, ce sera pour une autre fois. J’étais déjà venu à Paris en 2021, Virgil Abloh m’avait proposé de me produire pour l’ouverture de la boutique Off-White. Et en septembre dernier, j’ai rejoint Wizkid sur la scène de l’Accor Arena [Paris – Bercy]. C’était incroyable !

 

La semaine dernière, Numéro a publié un article intitulé : “Comment pallier le manque de diversité dans le public des festivals ?” Vous étiez-vous déjà posé cette question ?

Oui, je la comprends tout à fait. En ce qui me concerne, je m’arrange pour ne jamais être seul. Car je sais pertinemment ce que cela fait… d’être le seul Noir d’un événement. Ce qui est désagréable, c’est ce sentiment de ne pas vraiment appartenir au groupe, au système. Une solitude très désagréable. Donc je propose à mes amis de m’accompagner. Si vous me voulez sur scène, il faudra que vous acceptiez tout mon clan. [Il révèle un tatouage sur son cou représentant le continent africain] J’ai l’Afrique dans la peau. Nous créons des stars du football : regardez les footballeurs Sadio Mané, et Mohamed Salah. L’Afrique est un vivier de stars. Nous faisons même émerger des marques de mode. Aujourd’hui, l’Afrique influence le monde de la culture. Regardez Virgil Abloh ! Regardez Pharrell Williams ! D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Ce sont des Afro-Américains ! Michael Jackson, la plus grande star de l’histoire de la musique était noire. Nous ne devrions jamais avoir honte d’être ce que nous sommes ! Nous devons en être fier ! Vous comprenez ce que je veux dire ? C’est pour cela que mon album s’intitule Oxlade From Africa. Pour comprendre un artiste, vous devez savoir d’où il vient vraiment.

À ce propos, si vous réalisiez une fresque inspirée par vos souvenirs d’enfance, à quoi ressemblerait-elle ?

À quelque chose de très effrayant… Je suis né dans le ghetto. Ça tirait de partout, dans tous les sens. Des gens mourraient tous les jours. C’était de la folie pure. Ce dont je me souviens surtout, c’est de mon lit, car je me cachais en dessous pour éviter de prendre une balle perdue. Voilà l’environnement dans lequel j’ai grandi. Je suis un survivant. En principe, je n’étais pas supposé me tenir ici, devant vous.

 

Ce traumatisme a-t-il fait de vous un homme morose ?

Non pas du tout. J’étais voué à grandir dans la rue mais, finalement, je suis un rescapé. Et comme je rêvais d’être une star, c’est la voie que j’ai empruntée. De nombreux artistes sont nés là-bas, ils n’ont simplement pas eu la chance de réaliser leur rêve. Croyez-moi, c’est très difficile lorsque l’on est issu du continent le plus pauvre de la planète. En fait, je crois que j’essaie simplement de dévoiler une facette positive de l’Afrique et de soigner le monde en musique. C’est mon plan de carrière.

 

Lors d’une interview accordée à la chaîne musicale Colors, vous vous êtes présenté comme “un type lambda venu d’Afrique”. Pourquoi avoir employé ce terme ?

Parce que les gens ne retiennent que trois ou quatre artistes issus de ce continent. Alors qu’il est bien plus que cela. Venez me voir à Lagos, je vous présenterai 40 artistes qui mériteraient tout autant que moi d’être ici aujourd’hui. Le talent est partout. Peut-être que j’ai simplement combattu la pauvreté un peu plus ardemment que les autres.

 

Jusqu’à quel point la célébrité vous a-t-elle transformé ?

À un moment je n’avais plus le choix. Les interviews, les flashs, le succès… C’était devenu ma vie. La célébrité m’a aidé à aller encore plus loin. En y réfléchissant bien, je crois qu’au fond de moi, j’ai toujours été comme ça. Vous le verrez à la façon dont je m’habille, dont je parle, dont je bouge et même à mon aura. Je recherche le plus haut niveau de l’élégance. Pour autant, je n’ai jamais manqué de respect à mon public ou à mes collaborateurs. Cet excès de confiance est l’une des meilleures astuces pour tenir le coup.

Selon vous, quelles sont les raisons de votre succès ? Le talent pur, la chance ou les bonnes connexions ?

La cohérence. Mes collaborations sont très stratégiques et je me suis toujours entouré des gens dont j’avais besoin parce que je ressentais qu’ils avaient, eux aussi, besoin de moi. J’ai de nombreux mentors. Des gens plus expérimentés qui m’enseignent des choses. Car j’ai encore beaucoup à apprendre. Je n’écris jamais vraiment tout seul, je collabore avec plusieurs auteurs qui m’aident à atteindre ce vers quoi je tends. Je serais incapable de faire tout cela seul. Ce n’est pas de la chance, c’est la grâce de Dieu. Je ressens une force spirituelle divine derrière mon succès. Dieu me bénit chaque jour. Sans lui, je ne serais pas ici…

 

Si vous deviez changer radicalement de genre musical, dans lequel seriez-vous le plus épanoui ?

Je m’illustre déjà dans tous les genres. Cet album ne se résume pas à l’afrobeat. Vous y trouverez de l’afro-swing, du R’n’B, de l’amapiano. J’injecte de “l’africanisme” dans ma musique, sans aucune limite, avec une ouverture totale.

 

Quel avis portez-vous sur l’appropriation culturelle dans l’industrie musicale ? En d’autres termes, lorsqu’un artiste issu d’une “culture dominante” utilise des codes et des éléments esthétiques issus d’une autre culture que la sienne pour en tirer profit.

Je n’ai rien contre cela dès lors que c’est fait avec respect. Il faut que l’artiste en question sache pertinemment ce qu’il vient chercher et qu’il comprenne les éléments culturels qu’il emprunte. Si vous souhaitez utiliser un sample de chants africains, allez-y ! Mais contactez la famille des chanteurs. Demandez-leur la permission. Présentez votre projet. Soyez sûr de la signification de ce chant. Et payez ce que vous devez payer. La musique est un héritage culturel, diffusez la avec respect, ne la pillez pas.

 

Je me suis rendu compte que vos morceaux évoquaient souvent un certain sujet : quelle relation entretenez-vous avec l’amour et le sexe ?

Wow ! Nous ne sommes sans le sexe. C’est lui qui nous a permis d’être sur cette planète. Quant à l’amour, c’est le meilleur remède qu’un humain puisse proposer à un autre. L’amour panse beaucoup de plaies et de nombreux chagrins. 

 

Est-ce donc… un rythme qui vous vient immédiatement lorsque vous composez un morceau ?

[Rires] Plutôt un feeling. Je me demande ce qui me mènera au prochain mouvement, à la suite de la mélodie. D’ailleurs, si j’ai une mélodie en tête, j’ai automatiquement l’intégralité du morceau qui se construit dans la foulée. Les paroles viennent dans un second temps. Mais ce n’est pas une science exacte. Il m’arrive parfois de construire une chanson autour d’une simple idée.

 

Oxlade from Africa, d’Oxlade, disponible prochainement.