Interview with Alicia Keys : “Fame is worse than heroin…”
À 38 ans, Alicia Keys est l’artiste R'n'B la plus accomplie de sa génération. Loin des soupes souvent servies dans l’univers du rap et de la soul, les bouleversantes prestations live au piano de miss Keys auront fait d’elle une diva dans la lignée de Billie Holiday et de Dorothy Dandridge.
Propos recueillis par Philip Utz.
Interview by Philip Utz.
Numéro : Douze Grammy Awards, onze Billboard Music Awards, cinq American Music Awards… N’est-ce pas blasant de crouler sous les récompenses ?
Alicia Keys : Si vous commencez à voir les choses sous cet angle, c’est le début de la fin. Très franchement, depuis que je fais ce métier, je m’éclate. La composition musicale est un processus passionnant, magique, qui me comble de joie. Du coup, la consécration arrive comme la cerise sur le gâteau. Je ne suis pas du genre à avoir les chevilles qui gonflent, et c’est toujours avec la plus grande humilité que j’accepte toute forme de reconnaissance.
Comment ça, vous n’avez jamais eu mauvaise presse ?
Par chance, les journalistes ont toujours été très indulgents à mon égard. Exception faite bien entendu de la presse à scandale, qui, par manque de ragots croustillants, brode allègrement un tissu de mensonges à mon endroit.
“Lorsque vous grandissez dans le caniveau, les lumières de Broadway n’en paraissent que d’autant plus vives.”
Il me semblait pourtant que les tabloïds vous ménageaient…
Ils m’épargnent pour la simple et bonne raison que, contrairement à nombre de mes consœurs starlettes, je ne leur passe pas un coup de fil pour leur débriefer la moindre de mes allées et venues. Il ne faut pas se leurrer : les émeutes provoquées par les stars à la sortie d’une boutique ou d’une boîte de nuit sont toujours préméditées. C’est d’ailleurs là le fonds de commerce de certaines. Faire la une de la presse people est un boulot à temps plein. Très honnêtement, je n’ai pas le temps pour ça. D’autres y trouvent sans doute leur compte et se sentent mieux dans leurs baskets lorsqu’elles sont traquées à longueur de journée. Tant mieux, ou tant pis pour elles. Gare à celui ou à celle qui se mettra sur mon chemin. Ma liberté n’a pas de prix.
Pourquoi ne pas avoir retenu Augello-Cook, votre patronyme, comme nom de scène ?
Keys n’est finalement pas si mal. Sachez qu’au début, j’étais partie pour m’appeler – accrochez-vous bien – Alicia Wild. Cela dit, lorsque les gens apprennent à me connaître, ils sont toujours sciés de découvrir à quel point je peux être sauvageonne. J’aime bien qu’ils se fassent leur propre idée sur ma personne, mais
je ne sais pas pourquoi cette image de petite fille modèle, propre sur elle et assidue, me colle à la peau. Croyez-moi si vous le voulez, mais je suis la reine du coup fourré, je suis complètement déjantée et je m’exprime avec toute l’élégance d’une charretière.
Enfant, traîniez-vous avec les travelos, toxicos et autres piliers peu recommandables du Hell’s Kitchen, le quartier insalubre de Manhattan dans lequel vous avez grandi ?
Le quartier était pour le moins métissé : de la station de métro jusqu’à chez moi, à tous les coins de rue il y avait des putes, des macs, des junkies et des dealers. Cela dit, lorsque vous grandissez dans le caniveau, les lumières de Broadway n’en paraissent que d’autant plus vives.
Otez-moi d’un doute : vous êtes blanche ou vous êtes noire ?
Je suis belle.
Usez-vous sans modération de vos droits de diva ?
Plus vous devenez célèbre, plus les gens s’attendent à ce que vous fassiez des caprices de star. Lorsqu’ils se rendent compte que vous n’êtes pas l’emmerdeuse impossible qu’ils s’étaient imaginée, ils sont presque déçus. Croyez-moi, j’en ai rencontré des ignominieuses divas. A vous faire froid dans le dos. J’en sors toujours dépitée et je me dis : “Celle-là, je ne suis pas pressée de la revoir. Dommage, moi qui l’admirais tant !”
“Je n’ai pas besoin d’être à poil pour être sexy. Ces instants nébuleux qui précèdent l’amour me paraissent bien plus excitants et érotiques que le fait de tout déballer comme un malheureux gigot sur l’étal du boucher.”
À une époque où la musique se télécharge sur le Net, comment fait-on pour écouler trente-cinq millions de disques ?
Pendant longtemps il était surtout impossible de trouver un album digne de ce nom dans les bacs. Le public en avait marre d’acheter des CD décevants sur la foi d’un single attirant. L’important est de produire des albums planants, des invitations au voyage qui vous émeuvent du premier au dernier morceau. Et surtout de cesser de prendre les consommateurs pour des cons.
Comment expliquer les play-back torchés de Britney Spears à chaque MTV Awards ?
Cela m’attriste énormément. Il est très facile de se laisser submerger par sa propre notoriété, et je ne sais pas dans quelle mesure il est possible de refaire surface lorsque vous avez vraiment touché le fond. La gloire est bien pire que l’héroïne : on y devient très vite accro, et dès que tous les regards ne sont plus tournés vers vous, le sentiment de manque devient insoutenable.
“Bien sûr qu’il m’arrive de jouer nue, j’ai plutôt tendance à le faire chez moi, rideaux tirés.”
Pourquoi les clips de R&B grouillent-ils de fesses rebondies et huilées qui gigotent dans tous les sens ?
C’est atterrant. Il est impossible aujourd’hui d’allumer la télévision sans tomber sur une brochette de petits culs frétillants. Tenez-vous bien, un jour j’étais aux 3 ans de ma filleule… Je me suis mis en tête d’inventer un petit jeu pour divertir ses copines, et je leur en ai donc expliqué les règles : “Mesdemoiselles ! Celles qui continueront à danser lorsque j’éteindrai la musique seront éliminées.” Rien de bien sorcier, en somme. À peine avais-je mis le son qu’elles se déhanchaient déjà toutes comme des bimbos de la pire espèce. C’est tout juste s’il ne leur manquait pas une barre pour entamer un strip enflammé. Terrifiant. Cela dit, les magazines et la pub concourent eux aussi à faire croire aux femmes qu’elles ne sont belles que lorsqu’elles se conforment aux vulgaires stéréotypes en vigueur. Ce qui est loin d’être le cas.
Comment faites-vous pour garder votre string intact dans le milieu foncièrement misogyne du R&B ?
Je n’ai pas besoin d’être à poil pour être sexy. Ni moi ni personne d’ailleurs. C’est là un concept totalement aberrant. Ces instants nébuleux qui précèdent l’amour, où l’on ne sait pas trop à quoi s’attendre, me paraissent bien plus excitants et érotiques que le fait de tout déballer comme un malheureux gigot sur l’étal du boucher.
À ce propos, vous n’allez tout de même pas dire que vous ne montez jamais ni ne descendez vos gammes en tenue d’Eve ?
Bien sûr qu’il m’arrive de jouer nue. Mais, comme vous devez bien l’imaginer, j’ai plutôt tendance à le faire chez moi, rideaux tirés.
[Archives Numéro]
12 Grammy Awards, 11 Billboard Music Awards and 5 American Music Awards… hasn’t success become something of a routine?
No way! You must be kidding! The minute I start looking at things that way, I’m in big trouble. I’ve genuinely, honestly enjoyed every step of it. The creative process is so fascinating, so magical that I’m forever dumbfounded by it. It’s like, ‘Wow!’ So when things like that come of it, it’s always the biggest blessing. The awards don’t make me feel cocky, quite the contrary: I always accept any form of recognition with the greatest humility. And when people rattle off numbers like that, I’m in shock.
Have you ever had any bad press?
I’ve been lucky, most of it is pretty great. They’ve put some ugly stuff out there, but most of the time, it’s just a pack of lies. Believe me: when there’s no dirt to dig, they’ll go sniffing through your garbage to pick out the choice morsels.
How come the paparazzi seem to spare you?
It’s very simple: celebrities that are relentlessly hounded by the paparazzi pick up their phones to let them know where they’re going to be shopping that afternoon and which flight they’ll be on the following morning. They’ll make sure to have lunch and dinner at the most fashionable eateries, where photo ops are all but featured on the menu. Making tabloid headlines is a full time job, and I simply don’t have the time for it. Some people perhaps feel that they need the attention, that they feel more complete when they’re basking in the limelight. In which case, good on them: I hope they enjoy it. But I need to be able to move the way I want to move, and I don’t like anybody getting in my way. I would become a very nasty person if I had to endure such scrutiny.
Why did you change your name from Augelio-Cook to Keys?
I felt that Keys best represented who I was as a person and an artist. I was originally toying with the idea of calling myself Alicia Wild… Wouldn’t that have been terrible? Having said that, when people get to know me, they can’t believe just how wild I am. I like people to draw their own conclusions, but there’s definitely something about me that gives people the impression that I’m squeaky- clean, intensely focused and dead serious. Let me set the record straight, once and for all: I’m a crazy, boisterous prankster with a filthy mouth.
Did you hang out with the trannies and crack whores when you were growing up in Hell’s Kitchen?
The neighbourhood was so diverse: walking home from the train station, there would be pimps, prostitutes, dealers and junkies on every corner, and yet there, at the end of the street, laid the bright lights and big dreams of Broadway.
Your mother is Irish-Italian, and your father is… what? Jamaican?
Everybody thinks I’m Jamaican, but I’m not. My father grew up in Maryland.
Does that make you black or white?
That makes me beautiful.
How did you deal with your parents’ estrangement at such an early age?
They were never married. You couldn’t really call it a separation; it was more of a mutual decision. I was so young and clueless at the time that I didn’t really acknowledge their split-up. Having said that, I was fortunate enough to be raised by my mother, a brilliant woman who taught me everything: strength, determination, hard work, beauty, grief, diligence, and a healthy sense of kiss-my-ass bravado.
You seem like quite a gentle soul for a bona fide r’n’b diva… don’t you ever hurl cellphones or demand that your assistants never look you in the eye?
People actually want you to act like a diva. People are always telling me: “Oh! Alicia! You’re so normal!” Well, aren’t I supposed to be? People come to expect you to be totally unreasonable, capricious and completely off your rocker. I’ve met ‘em. There are artists that I love, and I’ve met them, and I’m like: “Wow! I don’t ever want to meet you again! You’re acting so damn ridiculous that I’m going to end up hating you!”
How can you possibly have sold thirty-five million records in an age of free downloading on the net?
The problem arose when there was a lack of good, complete albums. People got sick and tired of liking a particular song, and then buying the album, only to discover that it sounded like someone had thrown a bunch of crap songs together on it. When you produce an album that’s a journey, an experience that moves you from beginning to end, then folk will buy it. Music-lovers want to be treated with respect and not just messed around.
How do you account for Britney’s meltdown?
I feel very sad about it. Celebrity can certainly drag you down, and I don’t know to what extent you can ever hope of resurfacing once you hit rock bottom. Fame is worse than heroin. I totally see how you can become addicted to your own notoriety. It’ll freak you out if you’ve been used to a certain amount of fame and attention, and then suddenly it’s not there anymore. It’s like withdrawal symptoms.
To what extent is image a deal-breaker for an accomplished singer, songwriter, composer and producer such as yourself?
Image carries way too much importance in the music industry today. You can completely suck and yet run a successful career as a recording artist on the sole strength of your image. I’ve never played around with my image to sell records: what you see is what you get. It takes too much time and energy to pretend, and it distracts from what ultimately matters: the music.
Why are there always so many tushes bouncing around in those R&B videos?
It sucks. It’s terrible. It’s cheesy. It would be okay if it were just the odd video, but when it’s every damn video the whole asses-ad- nauseum thing gets a little dreary. All I know is that I was with my goddaughter for her third birthday, and I organized this game for her and her friends – none of whom was older than six. I told them: “Ok ladies, I’m going to put the music on, and when the music stops, you have to freeze. If I catch you and you still moving, then you’re out.” Simple game. I put the music on, and these little girls start dancing, and, I promise you, they looked like they were on stripper poles. It was scary. Music videos aren’t the sole offenders, however, as magazines and commercials also contribute to making women feel as though they’ve got to look a certain way to be beautiful. Which is a lie.
How have you always managed to keep your thong on?
I don’t need to be naked to be sexy. That’s such a misconception. There’s a mystique, there’s a moment when you’re wondering what’s coming next that’s way more titillating than laying it all out, smack, bang, on the table.
Don’t you ever wake up in the middle of the night and run a few scales, butt-naked at the piano?
I totally play the piano butt-naked… in the privacy of my own home.
[Archives Numéro]