19 déc 2016

Comment The Weeknd est devenu le roi, surdoué et scandaleux, de la pop

Le producteur et chanteur prodige de R’n’B-pop rétro-futuriste canadien The Weeknd est devenu, à 33 ans, le roi des charts et des stades. Alors qu’il se produira au Stade de France les 29 et 30 juillet 2023, dans le cadre du dantesque et mystique « After Hours til Dawn Tour », retour sur l’ascension fulgurante d’un artiste aussi surdoué que scandaleux.

1. L’enfance façon « Kids » d’Abel Tesfaye alias The Weeknd

 

Abel Tesfaye alias The Weeknd est né en 1990 à Scarborough, dans l’est de Toronto. Issu de parents émigrés éthiopiens qui sont venus au Canada dans les années 80, il fréquente l’église orthodoxe éthiopienne et apprend l’amharique (une langue sémitique) auprès de sa grand-mère. Cette dernière l’élève seule, alors qu’elle a été abandonnée par le père d’Abel, et travaille dur, notamment comme infirmière, pour subvenir aux besoins de la famille. The Weeknd dira, à propos de son père : « Je ne l’ai jamais jugé. Il n’était pas violent, il n’était pas alcoolique, ce n’était pas un connard. Il n’était juste pas présent pour moi. » Adolescent turbulent, Abel Tesfaye fume de la marijuana à 11 ans et trouve de l’espoir grâce à l’écoute assidue de ses idoles : Michael Jackson, R. Kelly et Prince. À 17 ans, il quitte l’école, squatte les mauvais quartiers de la ville, vole à l’étalage et découvre l’attrait des drogues comme l’ecstasy et l’oxycodone. Mais le jeune homme rebelle, qui compare sa jeunesse au film Kids (1995) de Larry Clark, a de l’ambition. Alors qu’il bosse comme vendeur chez American Apparel (sans doute recruté pour son look streetwear pointu et sa coupe de cheveux digne de celle du peintre Basquiat), il commence à produire de la musique. Il se fait alors appeler “The Weeknd” en raison de son goût pour l’école buissonnière. Avec un ami oisif, ils quittent leur vie pour un week-end, et ne reviennent plus à la maison.

2. Un coup de pouce de Drake

 

Ses premiers morceaux de R’n’B sombre, étrange, cotonneux et sensuel, publiés en 2009 sur Internet, ainsi que ses mixtapes publiées sur le Web en 2011 (House of Balloons, ThursdayEchoes of Silence) rencontrent d’abord le succès auprès d’un public de niche, se diffusant entre initiés via des blogs, avant de séduire le média musical prestigieux Pitchfork et le New York Times. En mars 2011, le rappeur Drake parle du jeune prodige sur Twitter, ce qui crée le buzz autour de lui. En concert à Londres en juin 2012, The Weeknd continue de troubler les esprits avec une reprise très sexuelle de Dirty Diana de Michael Jackson, la chanson qui lui a donné envie de faire de la musique. Il se produit aussi au festival de Coachella cette année-là, faisant preuve d’une énergie et d’une esthétique assez rock. Abel Tesfaye séduit aussi par sa façon de cultiver le mystère, refusant les interviews et préférant s’exprimer sur Twitter. Et ça marche. En 2012, The Weeknd rencontre la gloire mainstream avec une compilation intitulée Trilogy, regroupant ses mixtapes. 

« Toujours entre crépuscule et lumière, ses morceaux lents, tordus et hypnotiques, hantés de paroles traitant de sexe, de fête et de drogues ressemblent à des complaintes d’after sous opiacés. » 

 

 

3. Des influences éclectiques, de Massive Attack à Siouxsie and the Banshees

 

L’auteur-compositeur-interprète et producteur canadien a grandi en écoutant des genres musicaux très variés, allant de la soul, du hip-hop, du funk et de l’indie rock au post-punk. Sa collection de disques compte des noms aussi éloignés que Portishead, Massive Attack, Cam’ron, D’Angelo, Cocteau Twins, Deftones, The Smiths, Bad Brains, Talking Heads et Eminem. C’est justement cette richesse qui fera l’originalité des chansons de The Weeknd. Le jeune producteur aventureux n’hésite pas à mêler ses influences R’n’B fifties à des éléments électroniques et des riffs électriques de rock alternatif. L’hymne onirique et punk House of Balloons expérimente en samplant le tube gothique Happy House de Siouxsie and the Banshees. Quand il n’échantillonne pas ses contemporains dream pop Beach House ou sa marraine de cœur, Aaliyah. Son style vocal qui monte très haut (dans des tonalités de falsetto) proviendrait également des chanteurs d’Abyssinie, et son phrasé plaintif, très émotionnel, évoque la musique orientale et son aura dramatique. Toujours entre crépuscule et lumière, ses morceaux lents, tordus et hypnotiques, hantés de paroles traitant de sexe, de fête et de drogues ressemblent à des complaintes d’after sous opiacés.  

4. Les collaborations 5 étoiles de The Weeknd, de Daft Punk à Lana Del Rey

 

 

En 2013, The Weeknd sort son très attendu premier album nommé Kiss Land, comprenant un featuring avec Drake (Live For), et un autre avec Kavinsky (Odd Look). L’un des titres apparaît sur la bande originale du blockbuster Hunger Games, ce qui contribue à faire écouler le disque à près de 100 000 exemplaires, à l’époque. En 2015, l’univers cinématographique de The Weeknd trouve un autre écrin idéal : la bande originale de Cinquante nuances de Grey. The Weeknd connaît désormais des semaines chargées : il tourne en première partie d’un autre sex-symbol, Justin Timberlake, et remixe le Drunk In Love de Beyoncé à sa sauce, plus lente, érotique et mélancolique. Abel Tesfaye participe aussi à l’album de M.I.A., Matangi et le fidèle Drake l’appelle en 2014 pour l’inviter sur sa tournée Would You Like A Tour en première partie. The Weeknd s’est aussi acoquiné professionnellement avec Daft Punk, Rosalía, Lana Del Rey, Madonna, Beyoncé, Kanye West, Disclosure, SZA, Jim Carrey, Quincy Jones, Tyler, The Creator, Lil Wayne, Doja Cat, Travis Scott, Sia, Oneohtrix Point Never, Gesaffelstein, Ariana Grande et Alicia Keys. 

5. Une évolution mainstream maîtrisée avec Starboy, After Hours et Dawn FM

 

 

En 2015, Abel Tesfaye publie son deuxième disque studio Beauty Behind the Madness contenant l’irrésistible tube Can’t Feel My Face, dédié à sa fiancée d’alors, Bella Hadid. On y sent des constructions de morceaux beaucoup plus pop, efficaces et commerciales et l’une des chansons, Tell Your Friends, est produite par Kanye West. Dès les premières semaines, plus de 300 000 copies de l’album s’arrachent et Beauty Behind the Madness devient vite l’album le plus streamé de l’année 2015, avec plus de 60 millions d’auditeurs envoûtés. Début 2016, The Weeknd continue son ascension, avec des apparitions sur l’album The Life of Pablo de Kanye West, et le Lemonade de Beyoncé. En 2016, le producteur publie son tout nouveau disque, l’ambitieux Starboy avec les rares Daft Punk, Kendrick Lamar, Future et l’ensorcelante copine de rêveries, Lana Del Rey, au casting. Numéro 1 dans 80 pays, l’album parvient à maintenir la spécificité vocale (tout en hauteur) de l’artiste, la diversité de ses influences (new wave, house, électro-rock, dance-punk) ainsi que son aura énigmatique et vaporeuse. Au même moment, l’artiste est devenu riche mais il ne semble ne pas avoir oublié d’où il vient, donnant une partie de ses bénéfices à l’université de Toronto ainsi qu’à Black Lives Matter, ou visitant les enfants malades d’Atlanta à l’hôpital. 

6. The Weeknd, le roi des controverses

 

Dans la série très controversée The Idol, imaginée par Sam Levinson (Euphoria) et The Weeknd, les auteurs se moquent à la fois des journalistes musicaux, des managers, des tourneurs et des coordinateurs d’intimité, qui apparaissent tels des vautours sans foi ni loi. Comme si The Weeknd, qui affirme dans l’une des scènes que la pop est un cheval de Troie, se servait de la série pour régler ses comptes. The Idol se rêve en satire acide de l’industrie de la musique et du spectacle et du culte, parfois malsain, qu’elle génère. Tout en étant très malsaine, elle-même, notamment lors de ses scènes de sexe SM et des allusions à la vie de l’ex-petite amie du chanteur, Selena Gomez. Le monde du spectacle est un thème cher à The Weeknd qui est plusieurs fois apparu le visage recouvert de bandages, défiguré ou déformé pour alerter sur les dérives liées à l’ego et l’obsession hollywoodienne pour l’apparence. Il avait en effet expliqué à Variety : « La signification de ces bandages sur ma tête est due à une réflexion sur la mentalité absurde des célébrités d’Hollywood qui passent beaucoup de temps à se transformer pour des raisons superficielles dans le seul but de plaire et d’être validées. » 

 

L’auteur-compositeur canadien, qui a déclaré il y a peu au magazine W qu’il est en train de travailler sur un nouvel album qui pourrait être le dernier sous le nom de The Weeknd, a également plusieurs fois pris parti contre le music business, notamment contre les cérémonies de récompenses telles que les Grammy Awards qui l’ont maintes fois boudé. L’artiste a ainsi décidé de boycotter cette institution qu’il accuse de corruption et de manque de transparence dans le choix des stars sélectionnées. Un parfum de souffre qui ajoute encore un peu plus au mythe The Weeknd.

 

 

The Weeknd sera en concert au Stade de France, à Saint-Denis, les 29 et 30 juillet 2023.

Mais ce Starboy audacieux le hisse bel et bien en étoile incontestée du R’n’B contemporain au groove imparable. Loin, très loin, des contingences de notre terre. Dès lors, la star de 33 ans va continuer son ascension avec les albums After Hours (2020) et Dawn FM (2022) et la BO de la série The Idol (2023). Même si sa performance à la mi-temps du Super Bowl, en 2021, reçoit des réactions mitigées, il est l’un des rois de la pop à la fois accessible et aventureuse grâce à des tubes comme I Feel It Coming (2016) – qui a été brillamment repris par Juliette Armanet – ou Blinding Lights (2020). Et sa tournée actuelle dantesque et mystique, avec masque métallique et statue de femme géante érotico-futuriste signée Hajime Sorayama, débutée en 2022 et intitulée « After Hours til Dawn » – qui passera par le Stade de France de Saint-Denis les 29 et 30 juillet – lui permet de dépasser son idole Michael Jackson en devenant l’artiste noir ayant réalisé la tournée la plus lucrative de tous les temps. Elle aurait déjà rapporté 350 millions de dollars…